L’accélération de la diffusion de l’information, la mondialisation et les enjeux nouveaux de la communication changent la donne pour bien des métiers mais plus particulièrement pour les journalistes. La césure s’est accentuée entre les souhaits et les exigences des États en matière d’information d’une part et d’autre part les réalités du développement confrontées à des pandémies inquiétantes (ebola, chikungunya, choléra…), des conflits larvés ou avérés (Boko Haram/Daesh/Chebab, cartels de la drogue, soubresauts de certains gouvernements, terrorisme, etc.). Dans cette situation, les journalistes sont pris en étau entre la nécessité d’informer – voire de frapper le lecteur par des nouvelles alarmantes plus « vendables » –, les développeurs soucieux de ménager leurs bailleurs de fonds ou de potentiels touristes et les autorités peu désireuses de donner une image écornée de leur pays. Les difficultés des acteurs des médias s’accommodent mal des desiderata des communicants, les publi-reportages ayant pourtant de beaux jours devant eux. Les États, les collectivités territoriales et les professionnels du tourisme sont les premiers à dénoncer la mise en exergue et la publicité faite à des manifestations ou à des révolutions, à des épidémies ou à des événements marquants (attaques de requins, accidents climatiques…), les accusant d’engendrer des psychoses qui éloignent touristes et investisseurs étrangers. La liberté du journaliste est donc mise à mal entre les lecteurs friands de scoops (bien qu’ils s’en défendent) et les exigences des informateurs comme des législateurs. L’irruption dans la blogosphère de particuliers ou d’organismes qui estiment avoir leur place dans le champ de l’information complique encore un peu plus la tâche. Le journalisme citoyen, c’est-à-dire cette possibilité reconnue au commun des mortels ou revendiquée par lui, de produire, de mettre en scène et de faire circuler des contenus informationnels de toutes natures et sur divers supports, rend totalement incontrôlables les informations circulant sur les événements qui se produisent localement. Twitter, blogs et réseaux sociaux exposent constamment des informations de toutes sortes dont l’accessibilité est facilitée par l’essor des technologies numériques, sans cesse perfectionnées, notamment avec le téléphone portable. Le traitement brut de ces informations, sans le recul et la médiation de règles professionnelles, contribue à les rendre parfois plus anxiogènes sinon plus importantes qu’elles ne le sont et plus dramatiques que nécessaire avec le risque là aussi d’éloigner visiteurs et investisseurs. À l’heure où l’on lie très clairement gestion des risques et condition du développement durable (Chakrabarti, 2015), et qu’on reprend conscience de la place centrale qu’occupe l’information dans les activités humaines (Loukou, 2014), la question se pose donc de savoir si on ne peut pas envisager une relation entre l’information/communication sur les risques et le développement. On a toujours voulu mettre les médias au service d’une information qui impulse le changement de mentalités et induit positivement des actes permettant le développement socioéconomique et culturel. L’essor des TIC a remis au goût du jour la même vision optimiste et unidimensionnelle des choses. A-t-on assez pensé que les informations véhiculées par les médias, anciens et nouveaux, ainsi que les technologies de l’information et de la communication peuvent tout aussi bien démobiliser les efforts et être contre-productives ? Ce numéro se propose de débattre sans parti pris des effets de l’alimentation des psychoses et des situations conjoncturelles par les médias et les technologies de l’information et de la communication sur le développement. Il a pour objectif de susciter des contributions qui s’appuient sur des exemples empiriques concrets autour de quelques axes principaux : - Quels effets produits sur le développement, au sens large, la tendance journalistique à égrener les catastrophes et les morts plutôt qu’à présenter des événements heureux ? En situation de crise politique et sociale, certains médias n’hésitent pas à contribuer d’une façon ou d’une autre à renforcer les tensions au sein de la société civile, entre gouvernants et gouvernés, différentes organisations politiques et différents peuples (Frère, 2005 & 2009). On peut penser que cette situation ne contribue pas à la paix, préalable indispensable au développement par les acteurs locaux. Mais on peut penser également que le fait d’amplifier et de caricaturer dans les informations les effets de la crise éloigne des investisseurs économiques, même si l’on sait qu’à l’inverse, cela pourrait provoquer l’intervention d’acteurs plus soucieux de développement social ou culturel qu’économique. Ce premier axe de la réflexion vise donc à donner la parole à ceux qui ont des témoignages sur les avantages et/ou les inconvé- nients d’une trop grande exposition de certaines régions ou de certains pays dans l’actualité. Quelles situations, quels acteurs, quels effets sur le développement ? 10 APPEL À COMMUNICATION Revue Communication, Technologies et Développement n°3/2016 - Le journalisme positif ou responsable contribue-t-il au développement ? Le souhait maintes fois exprimé par les publics des médias de recevoir des informations qui prennent à cœur de souligner ce qui est positif, consensuel, est de plus en plus écouté par certains journalistes qui s’éloignent de pratiques traditionnelles de la profession. Le documentaire et d’autres formes médiatiques mettant l’accent sur la découverte permettent la mise en valeur d’un lieu, d’une culture, d’un potentiel économique et d’une explicitation d’un contexte social et politique. On peut penser que c’est une façon pertinente de contribuer à l’appel au développement. Les contributions s’inscrivant dans cet axe pourront le montrer ou non. Par ailleurs, les médias, anciens et nouveaux, ont-ils encore à cœur de servir le développement ? Ont-ils conscience que l’information et la communication dont ils sont les moteurs servent ou desservent le développement ? C’est l’occasion pour ceux qui le souhaitent de réaffirmer, à partir d’enquêtes de terrain, la contribution positive (ou non) des médias et des TIC au développement. - Quels usages des médias sociaux et des TIC servent le développement ? Comment y contribuent-ils ? Quels acteurs ? Quels secteurs ? Les temporalités de ces médias sociaux et TIC sont-elles compatibles avec celles des acteurs au développement ? Sachant que ces médias facilitent la publicisation, la surabondance informationnelle, l’exposition des événements importants ou moins importants, et sont devenus pour cela incontournables dans l’accès aux informations sur les lieux, les pays, les situations…, il peut être logique de se demander quels effets produisent les informations diffusées par les réseaux sociaux sur l’attractivité ou au contraire la mise à l’écart de certaines régions du monde. Les propositions d’articles (résumé et bibliographie indicative) ne dépassant pas 4 000 caractères espaces compris sont à envoyer avant le 15 novembre 2015 conjointement à Etienne Damome ([email protected]) et Annie Lenoble-Bart ([email protected]) Les articles seront soumis à une double évaluation par deux experts anonymes. Langues acceptées : français, anglais, espagnol, portugais, arabe, allemand, swahili. Le volume prévisionnel des articles est de 35 000 signes, espaces, bibliographies, résumés et mots clés compris. Tout article est précédé par un résumé traduit dans une langue autre que celle de l’article. La taille de ce résumé est de 20 lignes maximum. Il est à composer en Times corps 9 italique, interligné 11 points. Références et bibliographie indicatives - AGNES Yves, La fameuse question de l’objectivité du journaliste, Le Bulletin de l’ACP, n°42, décembre 2014, http://apcp.p.a.f.unblog.fr/files/2010/11/bulletinapcp42.pdf - CHARON Jean-Marie, PAPET Jacqueline (dir.), Le Journalisme en questions. Réponses internationales, Paris, L’Harmattan, 2014. - DHAR CHAKRABARTI P. G. Padrogh, « Gérer les risques condition du développement durable », in Construire un monde durable, Regards sur la Terre, 2015, Paris, Armand Colin, p. 85-89. - DUPONT Christiane, LAPOINTE Pascal, Les nouveaux journalistes. Que se passe-t-il donc dans la profession journalistique ? (2e édition), Québec, Presses de l’Université Laval, 2014. - ECO Umberto, « Il faut défendre le journalisme critique », interview Le Monde à propos de son livre Numéro zéro, 31 mai- 1er juin 2015, p. 11. 11 APPEL À COMMUNICATION Revue Communication, Technologies et Développement n°3/2016 - FRERE Marie-Soleil, Elections et médias en Afrique centrale. Voies des urnes, voix de la paix ?, Paris, Karthala, 2009. - FRERE Marie-Soleil, Médias et conflits. Vecteurs de guerre ou acteurs de paix, Bruxelles, Editions Complexe, 2005. - GALTUNG Johan, “Peace journalism. A challenge”, W. Kempf et H. Luostarinen (ed.), Journalism and the New World Order: Studying War and the Media, Göteborg, Nordicom, 2002. - LENOBLE-BART Annie et TUDESQ André-Jean (dir.), Pour connaître les médias d’Afrique subsaharienne. Problématiques, sources et ressources, IFAS-IFRA-MSHA-Karthala, avril 2008. - LOUKOU Alain François, « Sous-information et sous-développement en Afrique : éléments de recherche corrélationnelle », Afrique et développement, Vol. XXXIX, N° 2, 2014, pp. 69 – 91. - MERAH Aïssa, «Le traitement de l’information sécuritaire en Algérie : les risques d’une invisibilité» in Du Risque en Afrique, Terrains et perspectives, Karthala-Msha, sous presse, p. 117-130. - SANGARE Cheick Oumar Sadab, La radiodiffusion-télévision malienne aujourd’hui : moyen d’information et enjeu en politique de développement rural, mémoire, 1985. [Robert Escarpit et A.-J Tudesq (dir.)]. - TUDESQ André-Jean (dir.), «Information et media en Afrique Noire » (Bruxelles), tome 19, n°73, 1991, 99 p. (numéro Information et media en Afrique noire, publié sous sa coordination, avec un avant-propos p. 9 et 10). Articles d’A. Delarbre, -P. Ngandu Nikashama, T. Vittin, L.-R Miyouna, Y. Achille, D. Pouyllau. Deux articles d’A.-J. Tudesq : «Media et développement en Afrique noire. Enjeux et réalités », p. 11-20 et « Nouvelles technologies de la communication et dépendance renforcée de l’Afrique noire », p. 81-95. - TUDESQ André-Jean, «Défense et promotion du patrimoine par les médias en Afrique subsaharienne» in P. Cosaert, F. Bart (dir.), Patrimoines et développement dans les pays tropicaux, 9e Journées de géographie tropicale, La Rochelle, 13 et 14 sept. 2001, Collection Espaces tropicaux, n°18, Presses universitaires de Bordeaux, 2003. - TUDESQ André-Jean, «L’influence des radios et des télévisions étrangères sur la vie politique en Afrique subsaharienne », in A. Chéneau-Loquay & P. Renaud (dir.), Les enjeux pour le développement, CD-Rom Internet au Sud, Unesco, coll. Publica, 1999.
Faites un petit tour à Nouakchott : allez de la plage des pêcheurs au Port de l’Amitié ou de cette infrastructure vers le carrefour dit Bamako ; partez d’Atak El Kheir 2 en direction de l’Est ; promenez-vous en divers quartiers de la capitale… Rassurez-vous, il ne s’agit pas de villégiature !