En dépit du refus des deux principaux pôles politiques de l’opposition, le gouvernement mauritanien a lancé des journées de concertations pour les préliminaires au dialogue. Une décision qui ne manquera certainement pas, en attendant ses résultats, de crisper davantage l’arène politique du pays. La décision du gouvernement mauritanien intervient quelques jours après une correspondance du « Monsieur Dialogue» en titre, le docteur Moulaye ould Mohamed Lagdhaf, ancien Premier ministre, invitant, à leur grande surprise, les partis politiques à des journées de concertations en vue de la tenue d’un dialogue. Une décision tombée comme un couperet, alors que l’opposition s’attendait, plutôt, à la relance du processus déjà engagé et mis entre parenthèses, par les visites du président de la République à l’intérieur du pays et le mois béni du Ramadan.
Pourquoi le pouvoir, dont le chef avait invité les partis politiques, essentiellement le Front National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU), à un dialogue politique sans tabou, a-t-il subitement décidé de changer son fusil d’épaule, en opérant comme un forcing, pour organiser des journées de concertation, prélude à un dialogue politique national ? Avec qui le pouvoir va-t-il donc dialoguer, se demandent certains ? En réponse à cette intrigante question, les applaudisseurs ne manquent pas de préciser qu’il ne s’agit pas de dialogue mais de journées de concertations, entre le pouvoir, les partis politiques, les syndicats et la Société civile.
Même si l’objectif n’est pas avoué officiellement et publiquement, les observateurs et l’opposition pensent qu’Ould Abdel Aziz, coulant son deuxième et dernier mandat à la tête du pays, explorerait les voies et moyens, soit de sortir par la grande porte, en préparant, doucement, son départ en 2019, soit, comme le suspecte l’opposition, pour se hasarder, à l’instar de ses compères N’Kurunziza du Burundi ou Kagamé du Rwanda, à tripatouiller la Constitution pour briguer un troisième mandat. D’ailleurs, si le FNDU et la Convention pour l'Unité et l'Alternance Pacifique et Démocratique (CUPAD) ont décidé de bouder ces journées de concertations, c’est qu’elles leur semblent cacher quelque sombre velléité du pouvoir à passer en force : « on gagne ou on gagne », comme dit l’autre…
Monologue ou soliloque ?
Selon ce point de vue, les journées de concertations permettraient donc au pouvoir d’ouvrir un débat sur des amendements de la Constitution relatifs à la suppression ou la modification de l’article 26 qui fixe à deux le nombre de mandats présidentiels successifs, sinon ou voire à l’âge-plafond des candidats à ce poste. Ce dernier amendement est généralement interprété comme un clin d’œil aux opposants que sont Ahmed ould Daddah, président du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), et Messaoud ouldBoulkheïr, président de l’Alliance Populaire Progressiste (APP), qui ne pourraient pas se présenter, en l’état actuel des choses, à la présidentielle de 2019. Mais Ould Daddah aurait, dit-on, déjà décliné l’offre. Le pouvoir en place pourrait également mettre à profit ces journées ou «son » dialogue – à ce point sien, d’ailleurs, que certains ne manquent pas de lui préférer les substantifs « monologue » ou « soliloque» – pour transformer le régime présidentiel en vigueur en un régime parlementaire, et s’y placer lui-même, disent les dubitatifs, à la Poutine.
Autre objectif potentiel du pouvoir : diviser les rangs de l’opposition, à défaut d’entraîner, dans sa mouvance, divers partis de celle-là. Dans son collimateur, essentiellement le RFD et l’UFP. Peine perdue ; jusque-là en tout cas. Certes, Tawassoul et les partis de la CUPAD ont succombé aux sirènes du régime, en prenant part aux dernières élections municipales et législatives. Une participation que le FNDU traîne comme un goulot d’étranglement ou un tendon d’Achille, en ce que ces partis, nantis d’un bon nombre de parlementaires et de maires, s’accommoderaient mal d’une dissolution du Parlement et des conseils municipaux.
Malgré cela, le front de l’opposition reste, aujourd’hui, uni contre l’initiative du pouvoir, même si l’on a pu remarquer la présence de quelques militants du RFD, lors de la cérémonie d’ouverture des journées de concertations. Sentant le vent venir, la direction du parti d’Ahmed ould Daddah avait d'ailleurs menacé d’exclusion, la veille de l’évènement, les militants tentés par l’ «aventure ».
La CUPAD réitère sa demande de report
La CUPAD, qui rassemble l’APP, El Wiam et Sawab, a rappelé au pouvoir, par la voix de son président Bodiel Ould Houmeid, qui s’est déplacé au Palais des congrès, sa demande de report des journées de concertations, afin de donner chance aux négociations et, donc, à la participation des acteurs politiques de tous les bords. Une demande adressée en forme de réponse au ministre secrétaire général de la Présidence invitant les partis de cette coalition aux journées de concertations. Même si les relations, entre les deux pôles de l’opposition, ne sont pas des meilleures, la CUPAD, qui rassemble, rappelons-le, les partis dialoguistes de 2011, estiment indispensable la présence du FNDU, fort de onze partis politiques, au dialogue national.
Interrogé par Le Calame sur le refus, probable, du pouvoir d’accéder à la demande de la CUPAD, Abdoussalam ould Horma, président du parti Sawad, s’est dit persuadé du contraire : « Nous attendons une réponse positive de la part du président de la République, pour permettre, à tous les acteurs politiques, de participer au dialogue à venir ». Dans le cas contraire, Ould Horma affirme que la CUPAD resterait en dehors du processus enclenché par le pouvoir. Sur d’éventuels contacts avec le FNDU, le président de SAWAD dit attendre, d’abord, la réponse du pouvoir, avant que la CUPAD n’engage de telles démarches. Une éventualité que le président en exercice de la CUPAD n’excluait pas, quelque 24 heures avant l’ouverture des journées de concertations. Joint, depuis Nouadhibou, par Le Calame, Boydiel Ould Houmeid déclarait, pour sa part, qu’en cas de report, « nous serons disposés à jouer le facilitateur, si nos amis du forum nous acceptent ». Wait and see.
De son côté, le FNDU a réitéré, au cours d’un meeting organisé, dimanche dernier, à la Maison des jeunes, son refus de prendre part à ce qu’il considère comme une «mascarade ». Tout en maintenant sa disposition à aller à un dialogue inclusif «franc et sincère », le FNDU n’entend pas se laisser embarquer dans un « saut vers l’inconnu ». A la question de savoir ce qu’entend faire le FNDU, pour « contrecarrer» l’initiative du pouvoir, le docteur Kane Hamidou Baba, président du MPR, indiquait que le Front commençait à mettre en œuvre son plan d’action le dimanche 6 Septembre, à la Maison des jeunes. « Vous ne manquerez pas de voir la suite », a-t-il prévenu. Espérons que la raison finisse, d’ici là, par l’emporter et que les uns et les autres mettent l’intérêt du pays au-dessus des intérêts partisans. Mais il n’en reste pas moins que c’est bien au pouvoir qu’il revient de donner la mesure de cette juste attitude...
Dalay Lam