Dans un récent article du Calame diffusé sur Cridem en date du 5 août 2015, le Colonel (ER) Oumar Ould Beibacar s'insurge contre le décret de nomination du futur aéroport international de Nouakchott sur une célèbre bataille de la résistance anticoloniale mauritanienne et appelle à "l'annulation sans délais" de cette décision.
Dans son souci de rafraîchir notre mémoire, le Colonel Ould Beibacar qualifie cette bataille de regrettable " embuscade tendue par un ghazi de 120 pillards du nord au Groupement Nomade du Trarza" pendant "la pacification".
Nous aurions été peu surpris si ces lignes ont été rédigées post mortem par le Commandant Gilliers, le Lieutenant Frèrejean, le Capitaine Loyewski ou le Général Gouraud.
La terminologie employée par notre colonel (vendetta, vengeance,...) s'inscrit clairement dans cette lecture pro-coloniale faisant l'éloge de l'entreprise de prise de contrôle du territoire mauritanien par les forces françaises; entreprise appuyée par de puissantes "fatwa" de respectables chefs religieux et par l'appui de plusieurs chefs guerriers entraînant leurs contingents armés aux côtés des officiers français, des tirailleurs sénégalais, des goumiers maures et des unités méharistes créées pour la circonstance ...
Ceci dénote du tiraillement profond au sein de la raison mauritanienne sur cette question centrale de l'occupation et la persistance d'un puissant courant prônant la collaboration avec les forces coloniales, minimisant le courant du refus et défendant l'entreprise "historique" de Faidherbe, Coppolani et autres pionniers de l'empire français en Afrique.
Résistance héroique
Malgré les arguments pro-coloniaux (pacification, préservation des vies humaines, vaine opposition à un ennemi à moyens supérieurs...) et toutes les logiques pragmatiques et utilitaires; nous ne pouvons que reconnaître l'importance et la grandeur de la résistance nationale.
Résistance jalonnée par des dizaines de grandes batailles rangées (Legweychichi, Nimlane, El-Varvaraat, Amatil, Djeol, Tidjikja, Kahedi, El Meynaan, Hamdoune, Treyfiaa, Akjoujt, Toujounine, Bougadoum, Selibabi, Elb Dermouz, Nema, Aghassremt, Azouiga....), des centaines d'affrontements armés, des milliers d'actions héroïques et d'innombrables faits de bravoure.
Cette résistance était loin d’être l'effet de brigands, de bandits de longs chemins, de forçats, de pauvres guerriers, de jeunes désœuvrés, de pillards professionnels, des sans foi ni loi....ou d'autres clichés de la littérature coloniale.
Elle n'était pas seulement le fait de chefs guerriers ou religieux, d'émirs soucieux des privilèges en danger et d'autres. La présence de figures illustres (haut de la pyramide) ne pourrait occulter cette présence populaire, ces milliers de simples "soldats inconnus" originaires de tous les niveaux sociaux, ces innombrables combattants de la liberté (bergers, artisans, éleveurs, chasseurs...hommes, femmes et jeunes à fleur d'âge) offrant l'aide logistique et morale aux "muhajiriin".
Elle était l'expression du refus de soumission d'une population entière à l'occupation étrangère; du refus émotionnel, mental, moral, psychologique et physique ressenti à tous les niveaux du tissu social; maillon incontournable d'une construction patriotique dépassant les clivages tribaux, ethniques, sectaires qui restent si présents dans les actes et les paroles de nos concitoyens tous niveaux confondus.
Nous concédons, avec notre colonel qu'il y avait naturellement des mobilisations à caractère tribal, des règlements de comptes entre fractions et clans ; c'était compréhensible à cette époque et les colons ont brillamment joué ce jeu aussi faut-il le rappeler.
Les pertes en vie humaines restent regrettables des deux côtés mais toute entreprise de libération comporte son lot d'irréparables dommages. La vraie souffrance reste souvent inaudible, quelque part au campement ou au village...surtout quand elle est passée par pertes et profits ici bas.
La place occupée par Oum Tounsi dans l'imaginaire collectif mauritanien est liée à la dimension de cet affrontement entre deux approches de l'histoire après la bataille de Wediane El Kharoub et l'effet de surprise ressentie malgré la mobilisation et les préparatifs du côté colonial.
La géographie de cette résistance du Hodh à Dakhlet Nouadhibou, du Guidimagha au Tiris traduit une étendue couvrant la totalité du territoire national actuel et au delà.
La théorie d'une principale résistance des gens du nord (Ehel Essahil) ne résiste pas à la géographie d'une farouche lutte aux Hodhs, dans la vallée et au Trarza.
Les convictions des résistants étaient naturellement le refus d'une occupation étrangère, la révolte contre la soumission à de non-musulmans, le sens de l'honneur et du sacrifice pour la patrie.
Les hasards de l'histoire ont conduit les français sur nos cotes et nos combattants se battaient contre l'occupant. La lutte aurait été aussi ardue s'il s'agissait des chinois ou des argentins aux portes de notre désert inhospitalier.
Sens de l’honneur et du sacrifice
L'appréciation de notre histoire récente demeure problématique. Au silence "pédagogique" des premières décennies de l'indépendance a succédé une revalorisation "démagogique" de la résistance anticoloniale ces dernières années. Reconnaissance, mitigée, épisodique, passionnelle et par moments zélée et discontinue: nomination de grands axes routiers et de projets nationaux majeurs (Avenue de la résistance, aéroport....), décoration des derniers survivants ...
Le silence reste entier sur la topographie et la chronologie de ce moment fondateur de l'actuel Etat-nation mauritanien, épicentre d'une histoire nationale à écrire et bréviaire patriotique au milieu de tant de tiraillements.
Il est compréhensible qu'un aéroport international prenne un nom unificateur ou pacifique comme Moktar ould Daddah, suivant certaines suggestions à l'instar de Charles De Gaule en France ou Mohamed V au Maroc; ou autre nomination comme la paix, l'unité ou l'espoir...Le nom chez nous est plus souvent un souhait, une imploration plus qu'une célébration.
Une bataille colle moins, peut-être, à un espace international de première fenêtre du pays où les impressions du rêve d'arrivée des passagers se croisent avec les émotions de départ dans un lieu de confort.
Mais de la à mettre en question un moment fort de notre résistance, il y a un rubicon à franchir. Ce rubicon, notre colonel l'a traversé à l'envers pour ne pas dire à reculons; à l'image de cette stèle honorant la mémoire du lieutenant de Mac Mahon et ses hommes morts pour la France..La nôtre reste timide, grise, à achever, sur l'original aérodrome de 1934 de l'autre côté de l'axe Nouakchott-Akjoujt entre les brins à demi asséchés de l'Askaav et les indétrônables arbres Tourja.
La France a honoré les siens en gravant leurs noms sur ses boulevards et places publiques; nous avons cultivé l'oubli des nôtres en complicité avec l'érosion climatique, le silence prolongé et la mise en question de leurs sacrifices.
Bien des choses restent à faire pour reconnaître à sa juste mesure une résistance nationale dont les rochers de Neggir, les cases du Fouta, les champs de Selibaby et les dunes de l'Arawan véhiculent l'immortel esprit. Honorer ses héros passe par un répertoire national exhaustif et objectif. D'innombrables pistes autour du Tarmac interminable de notre devenir national et bien des passerelles à tendre.
Sidi Mohamed ould Abdelwehab
Diplômé en Études Internationales.