Hymne national, Etat fédéral et opulence…/Par Ishaq Ahmed Cheikh Sidia ([email protected])

27 August, 2015 - 01:33

Walsah, 2060.

« - Le Président de l’Etat fédéral ! ».

L’annonce, amplifiée par les haut-parleurs, résonna soudain comme une libération, roula le long des murs de la grande salle de conférences du Palais de la Rédemption, archi-comble pour la circonstance. Le Palais, joyau architectural de la nouvelle capitale, sortie des sables il y a une quinzaine d’années, en impose par son aspect futuriste. L’ancienne capitale, elle, a été engloutie par les eaux suite à une montée vertigineuse et subite du niveau de la mer. C’était il y a environ deux décennies. Le traumatisme de cette catastrophe majeure où périrent plusieurs dizaines de milliers de personnes, et où des quartiers entiers furent rasés, reste encore vivace. C’était un vrai miracle que toute la population de la ville ne fût décimée.

L’assistance s’éleva comme un seul homme, en applaudissant à tout rompre. Le Président, un homme de haute taille, d’ascendance métissée, après avoir salué de la main et invité tout le monde à s’asseoir, prit place sur l’estrade officielle.

Alignés devant le Président, une dizaine d’écoliers entonnèrent les premiers refrains de l’Hymne national de l’Etat fédéral :

Wamo hettar….yaha

Nay deugur, dioung….

Hanniye…..kuyi

Soud  ou mitkhaltin…..

……………………………..

Cet Hymne remplaça l’ancien lequel, après avoir accompagné la naissance au forceps de la Nation, eut à braver toutes les critiques possibles et imaginables et fit l’objet de rejet de la part de certaines « élites » nationales. Son auteur lui-même ne fut point épargné, bien que les vers en question fussent retenus comme hymne national presque quarante ans après la mort du poète. Mali wa li souleim ? « Il vaut mieux subir l’injustice que de la commettre », prétendait Socrate.

Quoi qu’il en soit, ces vers décriés sont maintenant relégués aux oubliettes. Ouf ! Quel soulagement pour leurs pourfendeurs. Le nouvel Hymne, lui, répond sensiblement mieux aux aspirations des « avant-gardes » nationales. Il est vrai qu’il est rédigé dans toutes les langues et dialectes locaux et ses mots sont plus accrocheurs, plus « révolutionnaires » et donc moins soporifiques que ceux du précédent. C’est du moins le point de vue de ses partisans. Quant à ses détracteurs, ils n’ont plus voix au chapitre depuis belle lurette…

« Mon discours sera concis, commença le Président. Juste quelques phrases, car je les répéterai moi-même dans toutes les langues nationales ».

Après la cérémonie, aussi brève que le speech, l’assistance s’égailla dans les rues de la capitale. Une population cosmopolite grouillait à longueur de journée dans ces avenues rectilignes bordées d’immeubles rutilants. Ça sent l’opulence. Et pour cause. Les dernières décennies ont été marquées par la découverte et l’exploitation d’énormes gisements de pétrole et de gaz, qui ont propulsé l’Etat fédéral parmi les tout premiers producteurs mondiaux. D’ailleurs, le développement ultra rapide de la nouvelle capitale n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé un siècle auparavant dans d’autres régions du proche et du moyen Orient.

Ce nouvel eldorado a bien entendu attiré du monde. Et en particulier, engendré une immigration sans précédent. Le dernier recensement de la population de 2056 a chiffré le nombre d’habitants de la Fédération à 15 millions dont 7 millions d’étrangers, en grande majorité issus des pays de la sous-région. La capitale Walsah comptait à elle seule près de la moitié de cette population dont une majorité d’immigrants. Dans les rues, on parle une espèce de patois où se mêlent des accents yoruba, lingala, zoulou, sango, bambara ou même amharique.

Nulle trace ou presque des autochtones. Si ce n’est cet homme accroupi, en train de se soulager, sous l’œil désabusé des passants. Ou encore, cette ménagère déversant des ordures en pleine rue. Des réminiscences du passé. Chassez le naturel….

La voix du muezzin s’infiltra dans ma conscience brumeuse. Des images cotonneuses s’entrechoquèrent dans ma tête. Et cette maudite limace ondulant dans d’obscurs couloirs pierreux…..Mon Dieu, où sommes-nous ?