Côté pile
Ramadan, mois béni, vient de se terminer. Frénésie à son début, frénésie à sa fin mais l’une et l’autre pas du tout de même goût, pour les Mauritaniens. La première teintée de piété, de volonté de purification, de n’accomplir que de louables actions louables ; la seconde enthousiasmée, pour certains, à l’imminence du retour à moins de rigueur morale et religieuse, à plus de liberté. Il ne devrait, pourtant, normalement pas en être ainsi.
Le Ramadan est, certes, le mois par excellence du partage, de la piété, de l'entraînement vers le meilleur de soi. Les musulmans y sont solidaires, les mosquées se bondent, la ferveur en déborde…
Les Mauritaniens s'y trouvent plus patients, compatissants et, surtout, solidaires. Il y a beaucoup d’entraide, en ce mois, empreinte d'humilité et de détachement ; aussi beaucoup d'échanges et de convivialité.
Le jeûne du Ramadan est, certes, une épreuve qu'il serait difficile de maintenir tout au long de l'année mais les comportements qui y sont associés peuvent être, eux, largement prolongés, inscrits dans la durée plutôt qu’épisodiques.
Côté face
Depuis 1989, le Ramadan ne peut plus être comme avant. La raison en est qu'en plein jeûne, des musulmans jeûneurs furent assassinés, cette année-là, en Mauritanie et au Sénégal, par d'autres musulmans, également jeûneurs, non pas parce qu'ils étaient des criminels, voleurs ou violeurs mais, seulement, parce qu'ils étaient d'ethnie ou de nationalité différentes. De crimes perpétrés sans référence à la moindre justice. Sans qu'une majorité ne s'en émeuve. Parmi les rares à s'y être opposés, on compte quelques imams, comme feu Bouddah ould Bousseïri. Mais la majorité est restée silencieuse et lâche. Le gaspillage aussi est devenu très répandu. Chaque rupture de jeûne, au crépuscule, est devenue une sorte d’orgie de nourriture, dont les restes, souvent copieux et succulents, sont reversés en aliments de bétail, au lieu d'être partagés avec d'autres jeûneurs. Certains imams de quartier ont décrété leurs propres horaires d’Imsak. A Nouakchott, par exemple, des mosquées l’annonçaient à 5h10, quand d'autres le proclamaient jusqu’à dix minutes plus tard. Il faudra expliquer comment, dans une même ville, certains continuent de manger et de boire, alors que leurs voisins d’à peine quelques kilomètres ont cessé de le faire. Ramadan voit encore trop d'indifférence aux souffrances des plus pauvres et des plus vulnérables, non seulement chez eux mais, aussi, dans les hôpitaux et cliniques. Des journaux et des sites en ont beaucoup parlé, avec, malheureusement, trop peu de suites et d'actions entreprises pour adoucir cette situation.
Ramadan pile et face
Les autorités politiques, religieuses et communautaires doivent unir leurs forces, pour que ce mois demeure sacré pour tous, attendu et vécu comme le prophète (PBL) et ses compagnons le faisaient, avec autant de ferveur et de religion. D’un point de vue politique, ce mois peut être l'occasion de régler, définitivement et sans passion excessive, la question des douloureux évènements de 1989. On ne pourra pas revenir en arrière, c’est vrai, mais une commission de type « Vérité et réconciliation en Afrique du Sud », taillée à la mesure de notre contexte national, pourrait nous permettre de tourner vraiment la page. Non pas à juger ou punir, mais pour que plus jamais cela ne se répète et que les personnes spoliées se ressentent, enfin, rétablis dans tous leurs droits et les rapatriés de même. Car des exactions continuent. Le mois béni pourrait être l'occasion de les régler définitivement, sans passion mais avec ouverture d'esprit, volonté d'avancer et de continuer, tous ensemble. Ces iniquités relèvent, surtout, du clientélisme, du favoritisme, du racisme et autre extrémisme de tous bords. Elles pourraient être toutes sensiblement atténuées par la vulgarisation d’un modèle national, forgé dans notre « mauritanité » si singulière et spécifique, basé sur le mérite et nos valeurs socio-religieuses.
Ce mois peut également être une occasion de mettre en place un système de protection sociale basé sur la zakat. En la redistribuant judicieusement tant au niveau local que national. Une réforme et une organisation sont nécessaires pour mettre ce chantier en marche. Cela renforcera la cohésion sociale au sein des ethnies, tribus, départements, régions et, même, de la Nation dans son ensemble. Elle donnera également, aux autorités religieuses, l'occasion de mettre en chantier des actions plus conformes à leur vocation, comme l’organisation pratique de l'équité, l'éducation et la concorde entre musulmans.
Ce mois pourrait encore être mis à contribution pour limiter le gaspillage. Par exemple, une famille qui compte y dépenser cinq mille ouguiyas par jour, pourrait s'efforcer de n'en dépenser que quatre mille et pourvoir une famille proche (voisins ou parents) des mille restantes. Au-delà, chacun peut réfléchir au moyen de gaspiller moins et de partager plus. Certains le font déjà, chaque année. Il s'agirait d’en généraliser la pratique, par une communication ciblée des media de masse.
La dernière mentalité à changer, pour une minorité, je l'espère, d’entre nous, c'est cette propension à croire qu'on peut prier les cinq offices à la mosquée et, le restant de la journée, s’employer à mentir, spolier, corrompre ou être corrompu, tricher, voler, juger arbitrairement… avant de revenir tranquillement, à ces cinq prières, comme si de rien n'était. Quant à ceux qui pensent que la fin du Ramadan n’est que le signal du retour à la loi de la jungle sauvage, ils se trompent lourdement. La « Loi » est là pour le leur rappeler. A bon entendeur, salut !
BEJ