La ville de Nouakchott a connu, à l’instar des autres villes de la sous-région, une croissance démographique soutenue et un développement urbain spectaculaire. Une analyse des tendances de l’évolution du processus de développement urbain de la ville pendant les décennies 60 et 70, met en évidence que le taux de croissance auquel progressait Nouakchott était bien plus élevé que celui des villes des pays voisins (Dakar et Bamako).
Hormis les facteurs déclenchants liés, entre autres, à la sécheresse accablante des années 70 et 80, à l’exode massif des populations rurales et à la volonté manifeste de l’Etat d’imposer une sédentarisation aux nomades de l’époque, il convient de préciser que les conséquences de cette expansion démesurée de la ville de Nouakchott auraient pu être atténuées, si la planification de la ville avait pris en compte les prévisions de sa propre croissance et de son extension urbaine future. Or, quand ce petit fortin aux confins de l’ancien Ksar, a été choisi pour abriter les fonctions de la capitale du futur Etat, il ne représentait, alors, rien d’autre qu’une petite bourgade de nomades perdue au milieu de nulle part. Sans arrière-pays, sans patrimoine mobilier et immobilier, sans aucune infrastructure, fut-ce embryonnaire, Nouakchott allait émerger de cette immensité désertique pour continuer à trainer des tares congénitales jusqu’à nos jours.
Nouakchott : une agglomération qui fait exception tant dans sa création que dans son développement
Crée ex nihilo par une simple décision administrative en dehors de critères d’urbanisation reconnus, la ville allait surgir et polariser des administrations, de petits noyaux urbains, des petites structures commerciales, des semi entreprises industrielles et surtout des populations déshéritées de plus en plus nombreuses qui se sont agglutinées au pourtour urbain de la ville naissante. Qui aurait pu imaginer qu’une ville destinée à abriter de 10 à 15 milles habitants en 1970, allait devenir, contre toute attente, une agglomération de plus de 150 000 habitants à cette même date.
Etait-il concevable, voire dans l’ordre du possible, que les réactions des autorités de l’époque étaient non pas de prendre à bras le corps la question existentielle de l’expansion désordonnée de la ville, mais plutôt de laisser traîner ce lourd boulet d’urbanisme qui allait agrandir au fil du temps pour devenir ingérable ?!
C’est justement de cette anarchie urbaine et de ce désordre dont il est question, car le laisser aller conjugué à un manque de volonté pour mettre fin à ces pratiques anachroniques de planification et de gestion urbaine semblait être très visible dès cette époque.
Autoriser des lotissements, sans procéder au préalable, à la mise en place de schémas urbains adéquats, reviendrait à entériner des anarchies urbaines aux conséquences lourdes.
La trame urbaine de la ville s’agrandissant et les décisions administratives judicieuses faisant défaut, le chaos s’installe dans les habitudes, les mentalités et les pratiques de populations sorties tout droit de la brousse et dont les comportements s’accommodaient mal à l’ordre et au droit. L’anarchie urbaine s’inscrirait désormais dans une sorte de normalité et va régir les actions de distributions de lots de terrains et des plans de lotissements !!!
Malgré tous les efforts déployés et les actions menées pour ralentir le rythme d’anarchie urbaine, la ville s’est maintenue en l’état et la pression urbaine va crescendo.
Infrastructures embryonnaires et équipements insuffisants
Au fil du temps Nouakchott est devenue une ville tentaculaire et très horizontale se déployant sur des superficies très étendues englobant des éléments de surfaces dont certains sont impropres à l’occupation humaine. Aussi convient-il de préciser que les investissements n’ont jamais été aussi importants que durant les dix dernières années sur la ville de Nouakchott. Le développement des activités d’exploration et d’exploitation industrielles, minières et pétrolière semblent y être pour quelque chose. Les investissements deviennent, du coup, très localisés sur cet espace urbain. L’attractivité de la ville devenant de plus en plus grande et la croissance démographique aussi, nos décideurs urbains sont restés non réactifs et de vision très courte.
Si l’on y ajoute une déficience dans le choix et l’installation d’équipements collectifs et un certain laxisme dans la planification urbaine, il devient aisé d’imaginer les conséquences de cette inaction de la part de l’Etat et de son indifférence comme si le sort de cette ville ne le concerne strictement en rien.
Voilà que le temps de payer l’addition de cette négligence coupable s’approche inexorablement et les menaces de toutes sortes guettent cette ville anarchique dont la position constitue un point de convergence de toutes les influences des impacts en rapport au changement climatique.
La catastrophe est imminente
L’absence d’un système d’assainissement séparatif adéquat, et pleinement opérationnel, pourrait constituer la brèche par laquelle s’engouffrerait, vraisemblablement, le risque qui peut être fatal à l’avenir de cette capitale.
Si les réalités géomorphologiques ont été négligées dès la création de la ville en 1958, il n’en demeure pas moins que la ville de Nouakchott se déploie en majeurs partie, sur des surfaces dont le plan est plus bas que le niveau de la mer.
La ville de Nouakchott a une topographie très particulière, certains points de sa surface ayant une cote nettement inférieure à celle de la mer.
A ces altitudes très basses, il faut ajouter le caractère hydromorphe des sols et l’affleurement de la nappe, par endroit, qui provoquent des résurgences de plans d’eau à la surface. Les résurgences des corps d’eau, un peu partout visibles, indiquent l’existence d’un phénomène d’autant plus inquiétant qu’il pourrait s’agir d’une remontée du front d’eau souterrain en contact hydraulique avec des aquifères salins alimentés par voie réciproque du front d’eau marin. Donc inépuisables !!!!!!
Dans le même ordre, lorsque l’on découvre que les eaux d’Aftout Essahili qui alimentent notre réseau d’eau potable, se sont déversées, trop prématurément, à travers un réseau déliquescent et obsolète, l’on se rend compte de l’ampleur du volume des fuites, des pertes et des infiltrations des eaux qui rejoignent inexorablement la nappe phréatique, entraînant du coup, un relèvement de la cote d’eau souterraine. Tout ceci ne fait qu’exacerber les conditions d’engorgement et rend l’action de pluies, aussi éparses et circonscrites soient-elles, très efficace en termes de destruction et de dégâts.
Tout ceci vient s’ajouter à une imperméabilisation du sol du fait de la formation d’une croûte de battance consécutive à des longues périodes de sécheresse et qui rend d’autant plus élevée le ruissellement pluvial urbain en cas d’épisode pluvieux. La capacité d’infiltration du sol étant très basse, l’écoulement superficiel prendra des proportions d’autant plus grandes que le revêtement des surfaces, l’élargissement et la construction des chaussées et trottoirs ainsi que leur pavage se multiplient à un rythme croissant sur tout le périmètre urbain.
Encore une fois, nous sommes face à un risque qui se concrétise de plus en plus. Aussi est–il mémorable de souligner que la pluviosité a connu un regain d’activité qui s’est traduit, ces dernières années, par une augmentation de la pluviométrie sur la ville de Nouakchott. Cette tendance à l’amélioration de la pluviométrie a été constatée et confirmée par l’analyse de séries pluviométriques depuis 1940.
Nos décideurs ont-ils été si naïfs et passifs qu’ils étaient incapables de réaliser une lecture juste de ce brusque changement climatique? Sont-ils allés jusqu’à supposer que l’énergie solaire incidente et le pouvoir évaporatoire de celle-ci, pouvait venir à bout de ces humidités temporaires très circonscrites dans le temps ? Sinon ont-ils imaginé cyniquement qu’une catastrophe humanitaire est la seule à même de déclencher l’alerte en provoquant un élan de solidarité des bailleurs de fonds. (N’omettez, néanmoins, pas que cette manière de penser et de se comporter, n’est pas étrangère à nos décideurs tant leur comportement est douteux).
L’état d’esprit de nos décideurs ressemble à s’y méprendre au comportement de l’autruche qui enfonce sa tête dans le désert croyant qu’elle échappera au risque. Le risque est là, bien présent et tout imminent. La ville de Nouakchott est dépourvue d’un réseau hydrographique débouchant sur des exutoires naturels pouvant constituer des voies naturelles de drainage des eaux de ruissellement superficiel.
Ebauche sommaire de scénarii
Pour que l’on soit en mesure de mettre en place une approche d’analyse des hypothèses, plusieurs scénarii de précipitation semblent crédibles. En analysant les relevés pluviométriques de ces dix dernières années, l’on remarque que des pluies de hauteurs variables de l’ordre de 20, 30 et 40 mm se sont abattues sur la ville de Nouakchott.
A une précipitation de hauteur de 40 mm (ce qui n’est pas exclu) sur cette surface quasiment plane imperméabilisée, d’ores et déjà, à 70% et sur toute l’étendue du périmètre urbain, l’on ne peut qu’assister à une inondation d’une ampleur inégalée tant sur le centre névralgique de la capitale que sur les périphéries du pourtour urbain. Les zones classiquement inondables et les dépressions lagunaires iront recevoir l’onde de crue qui aura dévalé les pentes très abruptes sur certaines sections de la surface accentuant la vitesse d’écoulement des eaux de surfaces. Ces eaux ruisselant à vive allure, au ras du sol entraîneront, inévitablement une augmentation de l’énergie cinétique de l’onde de crue, provoquant un décuplement de sa capacité de destruction.
Il devient, alors, facile d’imaginer la quantité et le volume de dégâts et des pertes qu’auront à subir nos biens publics, nos infrastructures routières, sanitaires et nos équipements socio collectifs. Bref un sabotage des investissements publics pour la réalisation desquels d’énormes moyens financiers et humains ont été mobilisés et mis en œuvre. Autant dire que le gâchis est d’autant plus regrettable que les ressources financières publiques sont limitées et le pouvoir du contribuable à se mettre à contribution est minime.
Malgré la prise de conscience des autorités de l’ampleur du risque, et de ses conséquences tragiques sur les infrastructures et les populations, aucune action d’envergure n’a été entreprise pour atténuer les impacts des risques d’inondation d’origine pluviale.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le rythme d’exécution des investissements sur les infrastructures routières s’accélère dans cet espace urbain compartimenté comme il ne l’a été jamais en raison du développement, à la fois vertical et horizontal de l’espace bâti, des lotissements et des routes structurantes. La célérité avec laquelle les investissements s’exécutent donne comme l’impression que les autorités n’ont cure de ce risque d’engorgement temporaire ou permanent et que l’épineuse question d’assainissement de la ville est comme résolue par miracle. En réalité, elles ne font qu’exacerber les risques et aggraver la vulnérabilité étant donné que les dommages prévisibles sur ses investissements, si difficilement acquis, sont bien plus conséquents que ne le laissent penser certains observateurs.
Conscient du danger potentiel qui menace désormais la ville, le département semble précipiter le pas sur la voie d’une solution définitive mais les évènements semblent prendre une tournure très différente de celle qu’ils auraient dû emprunter. A tel point que les solutions entreprises ne pourront être opérationnelles et pleinement fonctionnelles que dans quelques années d’attente tragique.
Dès lors qu’un tel constat d’impuissance de l’Etat est réel, ne faudrait–il pas songer à geler tous ces investissements coûteux en attendant la mise en place d’un système d’assainissement fonctionnel ?!!!
Jamais Nouakchott n’a été aussi vulnérable. Jamais ses maigres infrastructures et équipements collectifs n’ont été aussi exposés. Autant les biens collectifs de cette capitale sont exposés, autant ses habitants, et en particulier les plus pauvres, sont impitoyablement soumis à une contrainte qui ne leur laisse aucune chance de s’en sortir par eux- mêmes.
Seules les solutions durables seront efficaces
L’urgence de la situation dans laquelle se trouve cette ville, appelle une très grande réflexion, des états généraux, des conclaves d’experts et des réunions de crise pour la recherche, l’identification et la mise en place des solutions adaptées et durables. Les solution durables sont celles qui consistent à faire une analyse, aussi exhaustive que possible, de la faisabilité des schémas directeurs d’assainissement liquide déjà établis, à prendre à bras le corps les aspects techniques, réglementaires et institutionnels d’un système d’assainissement séparatif, cohérent et évolutif et à établir des règles de fonctionnement strictes impliquant les communes, les directions publiques et tous les acteurs du milieu associatif ainsi que le secteur privé. Sans cela, l’on ne pourra pas se prémunir et se protéger contre les affres des crues d’eau résultant d’épisodes pluvieux aux caractères davantage irréguliers en termes de fréquence et d’intensité sans nul doute en rapport avec les bouleversements climatiques majeurs. Les moyens financiers seront à la mesure du défi à relever.
Il ne faudrait toutefois pas omettre que ce type de projet est gigantesque par sa dimension, ses caractéristiques et ses activités et sa réalisation nécessite que l’on concède une part non négligeable du PIB national pour la mise en œuvre d’une solution durable qui soit de nature à satisfaire et à rassurer tous les investisseurs nationaux et étrangers qui veulent s’implanter dans cette ville.
Au moins, cela aurait le mérite de nous épargner des plans ponctuels d’urgence concoctés, tous les ans, à l’approche de l’hivernage, non pas dans le but de protéger nos biens publics et nos habitants mais plutôt de se créer des occasions pour justifier des dépenses budgétaires publiques sans grand impact.