Alors que certains parlent de démocratie participative ou délibérative, d’autres leur rétorqueront que c’est là un pléonasme vu que la démocratie ne peut qu’être a priori délibérative ! Peu importe ! Cette démocratie-là est désormais en marche ! Elle est en marche chez nous ! Oui, chez nous en Mauritanie.
C’est au moins le sentiment que j’ai éprouvé au cours d’une longue journée restée mémorable. Une journée s’étalant de 9h à 18h, au village de la biodiversité de Nouakchott ! Nous sommes samedi 6 juin 2015.
On assistait alors au débat planétaire citoyen sur le climat et l’énergie. Répartis en 10 groupes, les 136 participants se sont penchés sur cinq thématiques majeures. Des thématiques qui seront au cœur des négociations lors du sommet de Paris sur le climat et l’énergie, prévu fin novembre 2015 communément appelé COP21.
Les secrets du jeu citoyen
Sous la grande Khaïma, assis par terre, les mauritaniens se sont livrés à un exercice de palabre somme toute familier. Dans un décor à 100% national ! On y voit toutes les couleurs de notre arc-en-ciel, en train de se mixer, les unes aux autres joyeusement, autour de la même table, sans complexe, sans préjugé, ni parti pris !
D’ailleurs, la beauté de notre pays réside assurément dans sa diversité ethnique et culturelle. Une mosaïque haut en couleurs, la Mauritanie est un brassage humain millénaire aux origines variées.
Mais il s’agit là aussi d’un exercice hautement citoyen où la République trouve sa signification profonde. Une seule appartenance compte ici : être mauritanien, ni plus ni moins !
Autour de la même table, on croise de tous les niveaux, de tous les statuts sociaux et professions : jeunes et moins jeunes, femme et homme, noir et blanc, riche et pauvre, etc. Même les illettrés ont eu droit au chapitre. Et malgré tout, le débat restait amical, fluide et serein.
Du coup, les écarts s’effacent devant la gravité du sujet ! Il est question ici de sauver la vie, la nature, la planète et l’écosystème.
La technique est à la fois simple et efficace. Pour chaque thématique, on regarde d’abord une vidéo d’introduction de quelques minutes, en Français et en Arabe, ensuite le modérateur lance le débat au sein de son groupe pendant environ 45 minutes, le temps d’échanger, reformuler et cristalliser son point de vue. Puis on procède au vote en remplissant le questionnaire.
S’approprier les affaires de la Cité
Ce « samedi planétaire » a permis la connexion entre 75 pays, dans lesquels se sont déroulés 96 débats citoyens, d’une façon simultanée impliquant un échantillon de 10 000 citoyens censé être démographiquement représentatif de la diversité de notre planète.
Les résultats sont encourageants et témoignent d’une prise de conscience de plus en plus forte chez nos sœurs et frères africains en termes de lutte contre le changement climatique. Notre continent est une victime passive de la détérioration écologique de la terre. Les effets néfastes de la désertification et la montée des océans s’y accompagnent, paradoxalement, d’une faible empreinte carbonique étant donné la faible industrialisation de l’Afrique.
L’écologie n’est plus un domaine réservé. L’intérêt qu’on lui porte n’est plus l’apanage exclusif des experts.
Le mécanisme de délibération mis en œuvre lors de cette journée planétaire peut nous inspirer ici et maintenant. Il incarne l’essence même du type de démocratie dont on a le plus besoin, à savoir, l’exercice de délibération participative. Il est temps qu’on change notre mode de prise de décision. Le citoyen a besoin de se sentir impliqué dans le processus de prise des décisions.
Depuis des décennies, le citoyen ordinaire semble être exclu du processus de prise de décision. Un monopole dans la prise de décision qui affecte aussi les projets et les programmes de développement. D’où les résultats mitigés des stratégies de développement.
Les allures du prochain décollage
Un changement de situation s’impose de rigueur aujourd’hui. Quand le citoyen pense lui- même son enseignement, sa santé, sa justice, ses infrastructures, son environnement, quand on croit en ses capacités d’interaction et de réflexion, quand on cesse de lui dicter les programmes et les politiques du développement, quand on répond à son feed-back rapidement, respectueusement et sincèrement, c’est à ce moment-là, et c’est seulement à ce moment-là, qu’on pourrait vraiment rêver du progrès du pays.
Mais avant d’y arriver, je voudrais rêver de voir un jour ce débat citoyen se refaire au niveau national aussi bien que régional au point de toucher les points les plus reculés du pays : des wilayas aux moughataas et communes les plus isolées. Je rêve de voir les mauritaniens discuter fraternellement des grands défis existentiels qui les tenaient de la même façon responsable dont ils ont abordé avec succès la problématique de ce jour-là.
Des débats citoyens où les politiciens n’interviennent pas. Et où l’Etat –je dis bien l’Etat, ne fait que faciliter les choses. Des débats citoyens où la jeunesse et la société civile jouent pleinement leur rôle en tant que forces de proposition, de régulation et de création ! Des débats soutenus par les experts et accompagnés positivement par les médias. Des débats qui aboutissent à des solutions imaginatives ; voilà qui relève de la nouveauté chez nous ! Peut être le signe avant-coureur d’un vent d’espoir ! L’espoir d’un décollage imminent !
Mohamed Abdellahi ABBE
Journaliste à la TVM
FB : Nebhani Abbe