‘’L’intention du président de renouer avec les populations est bonne. Je reste néanmoins sceptique quant à la manière dont cela se déroule sur le terrain’’
Le Calame : Les Djihadistes qui multiplient un peu partout dans le monde des attaques meurtrières menacent de frapper notre pays. La Mauritanie pourrait-elle être la prochaine victime ? Que peut faire le gouvernement pour mettre ses citoyens et ses institutions à l’abri de telles menaces, pour parer à toutes éventualités ?
Cheikh Ould Jiddou : La menace terroriste n’a jamais été aussi grande. Le nouveau modus operandi de ces fanatiques est insidieux, car il est plus difficile à détecter et plus compliqué à contrecarrer. Dans le passé, nous faisions face à des cellules structurées et identifiées. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des individus isolés, difficilement décelables par les services de renseignement et de sécurité et dont les convictions dogmatiques semblent floues donc plus difficiles à combattre.
En raison notamment de sa place géographique centrale, de sa politique extérieure offensive sans oublier son rôle de garant de la sécurité au Sahel aujourd’hui, la Mauritanie demeurera toujours menacée à l’instar des autres pays de la sous-région et même d’outre-mer. De nos jours, tout le monde est menacé, au sud comme au nord ; nous devenons tous ainsi des cibles et victimes potentielles de ce terrorisme aveugle.
La Mauritanie est épargnée jusqu’à présent car elle mène une politique anti-terroriste très musclée que ce soit le long de la frontière avec le Mali qui dépasse les 2.200 kilomètres ou au niveau des frontières nord ou encore à Nouakchott, la capitale qui devient de plus en plus une ville présentant les caractéristiques d’une grande agglomération avec tout ce que cela implique sur le plan sécuritaire. Je saisis d’ailleurs cette occasion pour saluer le courage et le sacrifice de nos forces armées, de sécurité et de renseignements grâce à qui nous jouissons encore de cette stabilité et cette sécurité constante.
Ceci dit, cela n’est peut-être plus suffisant aujourd’hui si l’on considère tout ce qui se passe autour de nous et il est certainement nécessaire de relever le niveau de vigilance et de veille au niveau de l'Administration du territoire et des services sécuritaires aussi bien aux niveaux central et local ou encore en dehors du territoire national grâce aux renseignements. Sur ce plan, ce n’est que par l’anticipation et la prévention que l’on peut mater le terrorisme.
Il est surtout nécessaire d’agir en amont ; les causes profondes du terrorisme sont structurelles. La pauvreté, l’inactivité et l’absence de perspectives d’avenir sont le terreau sur lequel il prospère. Il est impératif désormais d’aborder ces questions avec une vraie conscience nationale centrée sur le travail et la création d’opportunités en faveur des jeunes qui sont les premières victimes de l’endoctrinement qui est l’arme redoutable des djihadistes.
-Le président de la République a bouclé, juste avant le Ramadan une partie des tournées qu’il effectue à l’intérieur du pays. Quels commentaires vous inspirent ces tournées ? Quelle place les jeunes ont occupé dans ces prises de contacts entre le sommet et la base ?
-Je n’y vois personnellement aucune tentative populiste de la part du pouvoir si c’est que vous sous-entendez ; nous ne sommes encore qu’à mi-mandat et rien ne justifierait une telle tentative. Je pense qu’il s’agit là tout simplement d’une volonté sincère de renouer avec les 50% de la population non-nouakchottoise et de s’enquérir de ses doléances. L’intention est donc bonne. Je reste néanmoins sceptique quant à la manière dont cela se déroule sur le terrain. Les cadres et les hommes politiques locaux (mais résidant à Nouakchott en grande partie) se dressent toujours en barrière entre le président et les populations locales à l’occasion de chacun de ses déplacements. Ils tentent, tant bien que mal, d’occulter certaines réalités et d’en déformer d’autres. Il devient, dés lors, difficile pour un œil non averti de distinguer le vrai du faux, le beau de l’embelli.
De plus, il en résulte une compétition inter-régionale au qui-mieux-mieux, un désir manifeste de tout faire reluire, des dépenses que l’on aurait pu utiliser directement pour améliorer le quotidien des populations que l’on cherche à ne pas laisser s’exprimer en présence du président pour décrire certaines vérités et contredire certains discours… L’intention louable a perdu quelques fois tout son sens sur le terrain. Mais cela ne date pas d’aujourd’hui ; c’est presque devenu une pratique que nous acceptons tous.
La jeunesse, quant à elle, est très présente et active lors de ces tournées. Elle tente de se faire une place dans une politique locale monopolisée depuis des décennies par une gérontocratie expérimentée et maitrisant les circuits et les raccourcis. Le combat ne fait que commencer mais je pense que déjà le pouvoir en place a choisi son allié.
-Le pouvoir tente, depuis des mois de nouer le dialogue avec son opposition. Comprenez-vous pourquoi les préliminaires prennent autant de temps ? Qu’attend la jeunesse de ce dialogue ?
-Il est grand temps d’appeler un chat un chat. Pourquoi parler de dialogue lorsqu’il s’agit encore de monologues parallèles ?
Ledit « dialogue » est, pour le pouvoir, la preuve de son ouverture envers l’opposition qui ne cesse de le réclamer. Il estime toutefois, et à juste titre, que tout dialogue devrait être inconditionnel et sans préalables. Quant à l’Opposition, elle considère qu’une main tendue vers le pouvoir représenterait une négation de sa qualité d’opposition. Dés lors, elle dresse un ensemble de conditions qui ne sont en fait que les résultats qu’elle attend du dialogue lui-même. On en est encore là malheureusement.
Pour sortir de cette impasse et pour éviter que cette nouvelle tentative de dialogue ne se solde par un autre échec, il est impérieux que nous placions l’intérêt suprême du mauritanien au centre du dialogue et de mettre de côté, ne serait-ce que momentanément, ces tractations politiques et ces manœuvres politiciennes. Le mauritanien mérite bien cela de la part de sa classe politique.
Pour ce qui est de la jeunesse, elle a bien entendu toute sa place dans ce dialogue à venir. En Mauritanie, à l’instar des pays de la région, nous sommes dans une période charnière où nous devons agir pour tirer profit du dividende démographique. Plus de 40% de la population a moins de 18 ans. Elle est très inégalement répartie sur le territoire, et de plus en plus urbaine.
Ceci pose avec insistance l’importante question de l’emploi des jeunes : il s’agit d’éviter le
développement incontrôlé du secteur informel et de la précarité. Il est plus que nécessaire de transformer cette ressource potentielle qu’est la jeunesse en véritable richesse avérée. Pour cela, il faut agir rapidement en mettant en place un processus de prise de décision participatif où la jeunesse serait consultée et où sa voix serait réellement prise en compte. Ce sont là, les questions évidentes que la jeunesse aimerait voir aborder dans un dialogue politique sérieux et constructif.
-Dans le programme électoral du président Ould Abdel Aziz, la jeunesse occupe une place importante. Etes-vous satisfait de la manière dont le président matérialise son projet de « renouveler la classe politique » du pays ? Sinon, qu’attendez-vous encore de lui ?
-Comme je viens tout juste de le dire : la jeunesse souhaite occuper la place qui lui sied dans la société. Le renouvellement de la classe politique est certes nécessaire ; mais pas au détriment de compétences avérées et au profit de figurants. Le principe qui doit sous-tendre ce processus est celui de la méritocratie : l’aptitude et le mérite doivent être les seuls critères pris en compte. Des nominations basées sur le seul critère de l’âge ne constituent pas en soi la solution.
Il est évident que le renouvellement de la classe politique ne se décrète donc pas ; il faut que la jeunesse s’impose ou attend tout simplement que la nature fasse son travail.
Une jeunesse sérieuse et désireuse de jouer pleinement son rôle ne doit rien attendre de personne. Elle a les moyens de se prendre en charge politiquement. Il suffit de le vouloir et de décider de faire autrement la politique et de rompre avec la manière dont ses aînés la font actuellement. Une autre manière de faire est possible mais rares sont ceux qui s’en rendent compte.
-Création d’un conseil consultatif de la jeunesse, création d’une commission nationale de la jeunesse de l’UPR, reconnaissance du parti Sursaut de la jeunesse pour la nation, rencontre entre le président de la République et les jeunes. N’y a t-il pas là comme une espèce de cacophonie dans les actions en direction de la jeunesse?
-Vous semblez vous-même faire un amalgame entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas. Tout citoyen mauritanien en âge légal a le droit de créer et d’appartenir à un parti politique. De même que tous les partis politiques dûment reconnus disposent aujourd’hui d’un organe dédié à la jeunesse.
Le Conseil Consultatif pour la Jeunesse est, quant à lui, une institution de la République et qui n’obéit à aucune considération politique. Les futurs membres de son bureau exécutif et de son assemblée générale seront choisis, sur la base de critères préalablement établis, à partir de la liste des candidats qui en ont fait la demandé et manifesté le désir d’adhésion. L’adhésion est donc volontaire et non exclusive à un seul bord politique.
Revenons maintenant à votre question : il est vrai que les initiatives à l’égard de la jeunesse se multiplient et ceci est à saluer. Néanmoins, vu de l’extérieur et surtout sous l’angle politique, il vous semblerait à tort que tout ceci (conseil consultatif de la jeunesse, commissions de la jeunesse des partis politiques notamment) n’est qu’un clin d’œil, une opération de charme en direction de la jeunesse, une manipulation de plus. Mais comme tout chantier en construction, le paysage reste imprécis jusqu’à la mise en place des dernières finitions. Ayez de la patience et ne préjugez en rien de la sincérité des partis politiques comme des pouvoirs publics.
-Ne craignez-vous pas que les contestations et querelles de positionnements qui ont émaillé la création de certaines de ces institutions viennent annihiler les espoirs que la Nation est en droit d’attendre de sa jeunesse, d’une part, donner l’image d’une jeunesse qui ne peut mieux faire que la « vieille garde», d’autre part ?
-Malheureusement oui, je le crains fort bien. D’ailleurs, l’incohérence -en apparence- de tous ces chantiers tire sa justification de ces querelles intestines entre différents pans de la jeunesse. Querelles d’ailleurs souvent créées par des moins jeunes terrés dans l’ombre.
Mais je garde espoir que ces querelles entre les différentes instances et les différentes parties prenantes ne minent pas cette volonté publique manifeste d’associer la jeunesse dans le processus de prise de décision. Mais il appartient aujourd’hui à cette jeunesse d’assumer sa responsabilité historique et de mettre l’intérêt de la nation au dessus des considérations d’égo et des querelles de leadership.
Si elle ne prend pas rapidement cette responsabilité, nous tomberons en effet dans le même scénario que toute cette jeunesse reproche à ses aînés politiques : les déchirures, les conflits personnels et les scissions interminables qui assassinent les institutions et les vident de leur essence.
Propos recueillis par Dalay Lam