Visitations présidentielles : Entre faste républicain et non-dit

9 July, 2015 - 04:55

Le président Ould Abdel Aziz s’est rendu dans huit régions du pays, entre le 16 Mars et le début du mois de Juin 2015. Un parcours de plusieurs milliers de kilomètres dont les véritables objectifs restent encore sujets à de multiples interrogations. Car, bien au-delà du discours officiel classique –  autorités et thuriféraires du régime classant ces événements à la rubrique « visites de travail et prises de contacts avec les populations, afin de se faire une idée précise de leurs conditions de vie » – il ne manque pas d’observateurs pour percevoir, dans la démarche, la toile de fond d’une volonté, non encore clairement exprimée, de révision d’une disposition constitutionnelle gravée dans un béton massif, d’un point de vue purement juridique.

Toujours est-il que ces voyages à l’intérieur d’une Mauritanie à l’orée d’une rude période de soudure, imputable à un hivernage, calamiteux, venu accroitre la menace structurelle de l’insécurité alimentaire, se sont traduits par des activités aussi multiples qu’intenses. Le père fondateur  de la « Rectification du 6 Août 2008 » s’est rendu dans les deux Hodhs, au Tiris Zemmour, en Assaba, au Gorgol, dans le Guidimakha, au Brakna et au Trarza. Un programme au pas  de charge, mené tambour battant. Grosse mobilisation sécuritaire, traditionnel faste républicain, immenses bains de foules, lancement de plusieurs « projets », descentes dans des centres de santé et écoles, visites de barrages hydrauliques, réunions avec les cadres, audiences individuelles…

Mais, aussi, retour tonitruant de la vieille et fâcheuse habitude, héritée du règne de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya, de l’hommage systématisé au chef, avec cette conséquence de plonger le pays dans un arrêt quasi-total. Tous les cadres de la haute administration se sont rendus dans les localités visitées, pour avoir « l’insigne honneur » de serrer la main « du leader bien aimé » et lui démontrer leur degré de représentativité. Autant de séquences dont l’ensemble aura, certes, donné une atmosphère générale de fête pittoresque et colorée mais où se seront glissées, pour démontrer leurs capacités de mobilisation, des entités, comme les tribus, peu compatibles avec l’esprit et les principes républicains.

Autres petites ombres à l’idyllique tableau, divers incidents ont émaillé le périple. Des fausses notes qui ont fait tomber quelques cheveux dans la soupe de l’ancien commandant en chef du Bataillon de Sécurité Présidentielle (BASEP). Aux étapes d’Aleg, Dar El Barka et Rosso, quelques « illuminés » ont ainsi eu l’outrecuidance d’émettre des sons discordants, en exigeant la libération des « détenus d’opinion » et l’arrêt des « expropriations foncières » dans la vallée du Fleuve. 

 

Impulsion du développement ou vulgaire culte de la personnalité ?

Situant, à l’occasion de la revue du portefeuille des projets financés par la Banque Mondiale en Mauritanie, le 23 Juin dernier, l’importance de ces visites de terrain, le ministre des Affaires économiques et du développement, Sid’Ahmed ould Raïss, a mis en exergue « un rythme de changements rapide à tous les niveaux, dans toutes les régions, tous les départements, avec des visites de terrain qui ont permis le lancement de plusieurs projets ».

Son de cloche totalement discordant, du côté du Front National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU), un collectif regroupant dix-sept partis politiques, des organisations de la société, des centrales syndicales et des personnalités indépendantes. Cette opposition qualifiée de « radicale » perçoit, dans ces voyages, une méthode pernicieuse d’aggravation des antagonismes tribaux et un vulgaire culte de la personnalité, dans un environnement économique et social dominé par la sinistrose.

 

La Constitution en toile de fond

Entre polémique et interprétations contradictoires, quels enseignements les Mauritaniens peuvent-ils tirer des récents voyages du président de la République dans les régions ? Avant d’apporter un début de réponse à cette interrogation, il est nécessaire de restituer le contexte des événements. La Mauritanie est en situation de crise, avec des caisses de l’Etat plus aussi « liquides » que lors des années de vaches grasses ; c'est-à-dire, au début de la « Rectification ».

Un constat en dépit duquel Mohamed ould Abdel Aziz reste déterminé à donner un nouveau souffle à son discours populiste et, parfois même, démagogique, basé sur le lancement de grands et petits projets, dont la finition reste incertaine, en bien des cas. Par ailleurs et bien avant le terme légal de son dernier mandat,  qui n’interviendra que dans plus de quatre ans, le président de la République semble être aujourd’hui hanté par la perte du pouvoir, même à travers une sortie honorable, celle dont rêve tous les vrais démocrates se refusant à même envisager un quelconque « braquage », pour prolonger leur règne. 

Certes, Mohamed ould Abdel Aziz s’est soigneusement gardé d’évoquer, au cours de ses visites, une quelconque volonté de rester au palais de la République, au-delà de 2019. Mais il n’a pas non plus découragé, et encore moins désapprouvé, le discours des laudateurs, de plus en plus nombreux, évoquant cette perspective pourtant totalement anticonstitutionnelle. On note, par ailleurs, l’inquiétant retour de ceux qui firent « la gloire » du régime de Maaouya ould Ahmed Taya, qui bénéficient de précieux cadeaux en forme de présidences de Conseil d’Administration d’entreprises publiques.

Pire, ces « griots » de tous les régimes ont même initié une pétition scélérate, pour recueillir des signatures visant à réduire la Constitution de la République à un vulgaire torchon, d’ici à la fin de l’actuel mandat présidentiel. Rappelons qu’aux termes de la Loi fondamentale, amendée, par voie référendaire, le 25 Juin 2006, « le président de la République est rééligible une seule fois » (article 28). « Avant d’entrer en fonction, le président de la République prête serment en ces termes : « je jure, par Allah l’Unique, de bien et fidèlement remplir mes fonctions, dans le respect de la Constitution et des lois, de veiller à l’intérêt du peuple mauritanien, de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté du pays, l’unité de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je jure, par Allah l’Unique, de ne point prendre ni soutenir, directement ou indirectement, une initiative qui pourrait conduire à la révision des dispositions constitutionnelles relatives à la durée du mandat présidentiel et au régime de son renouvellement, prévues aux articles 26 et 28 de la présente Constitution ».

Ces dispositions sont nées d’une période nourrie par un véritable élan de démocratie. Elle a abouti à des réformes visant à approfondir l’Etat de droit, dans la foulée de la chute de la dictature de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya. Mais beaucoup d’eau a coulé, depuis, sous les ponts, avec le retour au pouvoir des militaires, qui nous ont servi le « nouveau » concept de « rectification », pour reprendre, en leurs mains, notre destin…

Ben Abdallah