Le Calame : Les Djihadistes, qui multiplient un peu partout dans le monde des attaques meurtrières, menacent de frapper notre pays. La Mauritanie pourrait-elle être la prochaine victime ? Que préconise le RFD pour éviter aux mauritaniens et à leurs institutions les drames qu’on entend et voit ailleurs ?
Limam Ahmed Ould Mouhamedou : Le chaos qui sévit actuellement partout, notamment dans le monde arabe et en Afrique de l’Ouest et du Nord résulte d’une multitude de causes religieuses, socioculturelles, politiques et économiques qu’il faudra bien - un jour - discuter, expliquer et commencer à traiter sérieusement. La restauration de la dignité des peuples est, à mon avis, la condition sine qua none pour un début de solution à ce fléau planétaire. La dignité humaine c’est, par exemple, pour les arabes et les africains l’instauration de la justice sociale, de la démocratie, l’épanouissement socioculturel… Alors qu’elle peut vouloir dire pour les jeunes occidentaux qui répondent aux sirènes de l’extrémisme : reconnaissance, intégration, lutte contre le racisme (parfois d’Etat)…
Ceci n’est pas une excuse pour le terrorisme, que nous condamnons fermement depuis toujours comme, d’ailleurs, toutes les autres formes de violence, souvent méconnues ou ignorées en Mauritanie et ailleurs.
La Mauritanie pourrait-elle être épargnée par ce mal ? Je prie Allah le Tout-Puissant, en ce mois béni, qu’il en soit ainsi. Seulement, que font nos gouvernants pour éviter la contagion ? L’existence de centaines de milliers de jeunes mauritaniens, diplômés ou non, au chômage, sans ressources, souvent marginalisés de fait, ne sert-elle pas de lit à toutes les dérives? Face à cette marée humaine désœuvrée, dépourvue de la plus simple expression de dignité, l’émergence de fortunes colossales aux mains d’individus, hier encore sans le sou, dont le seul mérite est d’être proches, sinon de se confondre avec le pouvoir, n’est-elle pas révoltante ? Qu’est ce qui retiendrait, alors, ces jeunes sans perspectives de succomber à toutes les sirènes dont la plus redoutable reste le terrorisme ?
Tout en réitérant ma prière, je ne puis qu’être très inquiet car, manifestement, le pouvoir en place ne se soucie guère des menaces du mal rampant… Au contraire, ses pratiques quotidiennes faites de corruption, d’actes de vandalisme d’Etat (spoliation du domaine public, main mise sur « tout ce qui bouge » ou « pourrait, un jour, bouger »…), d’exclusion, de brimades, accentuent chez les Mauritaniens ce sentiment amer de frustration et d’injustice.
A ce tableau déprimant, s’ajoute la crise politique voulue et entretenue par Mohamed Ould Abed Aziz depuis 2008. Il s’agit-là, n’en plaise à Dieu, d’ingrédients suffisants pour faire basculer la situation comme constaté, malheureusement, dans d’autres pays arabes et africains…
Face à cette situation dangereuse, le RFD prône la voie de la raison, du dialogue responsable, apaisé et inclusif à même d’éviter au pays les affres du chaos… Nous prônons le renforcement du front intérieur, fruit du consensus national, capable de prémunir le pays contre un tel scénario. Il s’agira de permettre à chaque Mauritanien de se sentir chez lui et de s’épanouir pleinement, ce pourquoi nous nous battons depuis plus de 20 ans. Cet objectif ne pourra être atteint que par l’instauration d’une véritable démocratie qui consacre, définitivement, la sortie de l’armée du champ politique et son corolaire, l’alternance pacifique au pouvoir, et engage, résolument, le pays sur la voie du développement juste et équitable, véritable rempart contre l’extrémisme.
Serait-il exagéré de parler, aujourd’hui, de la mort du dialogue entre le pouvoir et le NDU, sinon où se situe la source du blocage ?
Il y a lieu de rappeler que les expériences passées en matière de dialogue avec Mohamed Ould Abdel Aziz ont engendré, chez nous, un énorme déficit de confiance vis-à-vis du pouvoir. Ce dernier n’a jamais respecté ses engagements. Il s’est plutôt ingénié, depuis l’accord de Dakar, à abuser de la bonne foi de ses adversaires politiques, sans jamais mettre un terme à son agenda unilatéral. L’Opposition, réunie au sein du FNDU, n’accepte plus cette duperie. Elle a exigé, cette fois-ci, la mise en œuvre de mesures visant à rétablir la confiance avant d’entrer dans le dialogue proprement dit. Ces mesures sont de deux ordres : il s’agit, d’une part, d’appliquer des dispositions constitutionnelles et légales, « désactivées » à dessein par le pouvoir et, d’autre part, d’améliorer les conditions de vie des populations. En somme, il est demandé au pouvoir de revenir au droit chemin, de faire son travail, de se comporter en partenaire digne de confiance. Je crois que le pays y gagnerait énormément et que le pouvoir, s’il le souhaite réellement, se crédibiliserait aux yeux des Mauritaniens qui appellent, de tous leurs vœux, la résolution de la crise politique comme prélude à la solution de tous les problèmes dont ils souffrent.
Au lieu de cela, le pouvoir continue à nier l’existence de la crise politique, appelle, de temps à autre, au « dialogue » pour se faire de la publicité et - pourquoi pas ? - essayer de déstabiliser l’Opposition, tout en distillant ici et là de petites phrases assassines qui remettent en cause l’esprit même d’ouverture... Est-il encore possible, dans ce climat kafkaïen, de parler de dialogue ? J’en doute fort...
Votre parti, le RFD, principal parti de l’opposition démocratique, est accusé, aussi bien par le pouvoir que par certains partis du FNDU de ne pas être « chaud » pour ce dialogue. Que répondez-vous à ces accusations ?
Ceux qui nous accusent de la sorte sont, tout simplement, de mauvaise foi. Le RFD a, certes, défendu son point de vue lors du débat interne au FNDU, à l’instar de tous les autres membres du Forum ; lequel débat a aboutit à une position consensuelle, consignée dans le document remis par le FNDU au pouvoir et n’ayant reçu, à ce jour, aucune réponse sérieuse.
Soyons clairs, le RFD n’est nullement concerné si le terme « chaud » veut dire : faire les yeux doux au pouvoir, être enclins à ne pas le contrarier en vue de parvenir à un « arrangement » permettant à certains d’avoir une part du gâteau !
Lors des préliminaires, le pouvoir aurait refusé d’apporter des engagements ou commentaires par écrit à votre vision du dialogue. Comprenez-vous pourquoi le pouvoir refuse d’accéder aux « mesures d’apaisement » préconisées par le Forum?
Le pouvoir refuse tout dialogue sérieux, à même de sortir le pays de la crise multiforme dans laquelle il se débat depuis 2008. Il se plait, apparemment, dans ce climat pour le moins malsain et pense pouvoir s’en sortir comme par le passé. Il ferait mieux de méditer l’adage maure qui dit que « la mère du voleur cessera bien, un jour, de crier victoire ».
Le FNDU rejette tout « amendement constitutionnel » portant sur la durée du mandat présidentiel. Est-ce que le RFD soupçonne l’actuel président de nourrir l’ambition de faire déverrouiller, par référendum, l’article 26 de l’actuelle constitution limitant le mandat présidentiel à deux, voire de changer le régime présidentiel en régime parlementaire?
Nous sommes contre tout changement constitutionnel en période de crise politique. Aujourd’hui, le consensus national indispensable qui permettrait de toucher à la loi fondamentale fait cruellement défaut. L'ensemble des partis et groupements politiques qui concourent, au terme de l’article 11 de la constitution, à la formation et à l'expression de la volonté politique, sont profondément divisés sur le mode de la gouvernance politique actuellement en vigueur.
Il est important, par ailleurs, de rappeler que la modification du nombre de mandats du Président de la République est hermétiquement verrouillée par les articles 26, 28 et surtout l'article 99 de la constitution qui stipule : « aucune procédure de révision de la constitution ne peut être engagée si elle porte atteinte au principe selon lequel le mandat du Président de la République est de 5 ans, renouvelable une seule fois ». Aussi, aucune instance, fut-elle issue d’un éventuel consensus national, n'est fondée à engager une procédure de modification visant à annuler cette restriction. Quant aux demandes de modification de la constitution faites par les « saffaga » (thuriféraires) du régime, en présence du Chef de l’Etat, c’est tout simplement honteux…
Mohamed Ould Abdel Aziz cherche manifestement à sonder les Mauritaniens sur ce terrain et, pour ce faire, son régime lance de temps à autre des ballons d’essai.
Aussi à tous ceux qui chercheraient à emprunter cette voie, je voudrais dire, sereinement, que nous lutterons, sans relâche, pour éviter à la Mauritanie d’en arriver-là. Je suis persuadé, par ailleurs, que toutes les autres forces de l’Opposition partagent cette conviction.
Que gagnerait la majorité en accédant aux demandes du Forum, si elle n’obtient pas de vous cette possibilité pour son mentor de briguer un 3e mandat, comme le tentent certains de ses homologues en Afrique ?
Si, demain, la plate-forme du FNDU est acceptée par le pouvoir et qu’un dialogue s’en suivait pour aboutir au dénouement de la crise, je pense que tout le monde aura alors gagné. Par conséquent, je suis tenté d’inverser votre question : le pouvoir ne court-il pas le grand risque de tout perdre, en s’obstinant à faire sienne la célèbre formule « ça passe ou ça casse » ?
Au terme de l’actuelle constitution, le Président Ahmed Ould Daddah ne pourrait plus briguer le fauteuil présidentiel. La guerre de succession ne serait-elle pas déjà ouverte au RFD ?
J’ai entendu, une fois, le Président Ahmed Ould Daddah dire à une journaliste française que le fait de ne plus pouvoir briguer de mandat présidentiel « ne l’empêche pas de dormir » ! Heureusement, d’ailleurs, parce que le RFD et la Mauritanie ont encore grand besoin de cette génération de patriotes intègres, dotés de sagesse et armés d’une inébranlable foi en l’avenir de ce pays, pour lequel ils ont tout donné.
Le RFD tiendra, Inchaa Allah, son prochain congrès à la fin de cette année et notre priorité demeure : un combat politique continu pour l’instauration de la démocratie. Vous comprendrez alors, aisément, que nous n’avons pas de temps à perdre pour autre chose…
Propos recueillis par Dalay Lam