Dans un entretien à bâtons rompus, accordé au journal El Emel El Jedid, notre confrère Mohamed Mahmoud Ould Bakar est revenu sur la situation générale du pays, après l’élection présidentielle du 21 juin 2014 qui a consacré la réélection de Mohamed Ould Abdel Aziz. Depuis l’évaluation du dernier scrutin, à ce que doit faire faire Mohamed Ould Abdel Aziz, au cours de son second mandat, en passant par la marge de manœuvres dont dispose l’opposition, dans ce nouveau contexte, et le résultat de son boycott, à la lecture de la scène politique de l’après 21 juin, Mohamed Mahmoud Ould Bakar examine, avec force détails, tous les aspects de la vie nationale. Selon lui, la dernière élection n’a fait que nous replonger dans les « légalités croupissantes » gérées par l’armée, comme en Algérie, Egypte, Libye ou autres, à grands coups de scores électoraux massues, fabriqués à la main, genre 81% et plus. Une consécration de l’échec de l’expérience démocratique, du renforcement du choix de l’instabilité et de l’absence de la moindre opportunité d’alternance. « A part le respect des délais constitutionnels, rien d‘autre n’a été obtenu », fait remarquer Ould Bakar, avant d’estimer que ce scrutin a juste servi à nous faire tomber, de nouveau, dans un climat de blocage et de manque de confiance en l’avenir : « La recherche de la légalité, à l’issue d’élections unilatérales, n’a respecté l’opinion de personne. La véritable opposition a été occultée et un groupe, ne jouissant ni du même poids, ni de la même qualité, ni de la même notoriété, a été délégué pour la remplacer. Malheureusement, la participation et la reconnaissance des résultats, par les hommes de paille de ce groupe, n’ont pas garanti la crédibilité attendue, surtout par rapport à la stabilité politique. La CENI n’a pas, non plus, tenu compte de la sensibilité de la situation et a pris la responsabilité d’organiser des élections ne jouissant d’aucune crédibilité. Son principal souci étant de partager les craintes du pouvoir, particulièrement en se mobilisant pour déterminer le taux de participation. Pour cela, la CENI aurait, selon certains journaux, investi un demi-milliard d’ouguiyas dans des campagnes de sensibilisation des citoyens à participer au scrutin. Elle est ainsi allée contre la mission pour laquelle elle a été mise sur pied, à savoir sortir le pays de la crise politique. Mais elle a desservi Mohamed Ould Abdel Aziz, en croyant le servir, pour l’avoir privé de la légalité. Les outils de cette élection sont fondamentalement apocryphes, comme la liste électorale datant de 2006. Celle-là même qui a servi, aux militaires, pour faire passer toutes les élections, depuis la Transition. Un statu quo maintenu, pour ne prendre aucun risque. C’est pourquoi le recensement n’a pas été ouvert pour cette présidentielle. Juste un recensement complémentaire. Résultat : la majorité du peuple en âge de voter ne s’est pas enregistrée, soit en réponse au boycott de l’opposition, soit par manque de confiance et d’intérêt à ce qui se fait ».
Insultes et invectives
Mohamed Mahmoud Ould Bakar se demande comment la liste électorale ne compte, avec une population de 3,5 millions d’âmes, qu’un million trois cent mille membres. Et qu’avec un taux de participation de 56,46%, cinq cent quatre-vingt mille électeurs [moins d’un sixième de la population] permettent à un président de se faire élire à 81%... C’est, déclare Ould Bakar, parce que plus d’un million de Mauritaniens n’ont pas eu l’opportunité de s’enregistrer et de participer.
Sur un autre registre, Ould Bakar regrette la piètre qualité du débat politique dont l’essentiel a tourné autour d’insultes et d’invectives, loin de toute discussion de fond sur les questions nationales essentielles. Et malgré cela, ajoute Ould Bakar, la campagne a coûté 30 millions de dollars, sans qu’aucun programme politique n’ait été imprimé ! Mohamed Mahmoud dénonce, également, l’implication flagrante des organes et institutions de l’Etat, en plus de la participation des tribus, des notabilités et des religieux, à l’effort de la propagande, ainsi que le rôle des hommes d’affaires, poussés, en cela, par la peur. Pour Ould Bakar, les résultats de l’élection ont montré la faillite du discours et du sérieux de l’opposition, tout simplement incapable d’inverser les rapports politiques : « l’opposition est face à un ultime examen qu’elle ne peut franchir que grâce à la planification et au resserrement des rangs. Sinon, elle est condamnée à prendre sa retraite. Toutes ses actions communes tournent autour de positions et ne sont pas basées sur des objectifs. Elle a perdu nombre de belles occasions. Ses atermoiements et ses erreurs ont permis de prolonger la durée de vie du pouvoir militaire qui prend en otage le pays depuis 1978. En 1992, grâce à son discours, aux personnalités, aux idéologies qu’elle incarnait, mais surtout à son unité, elle a obtenu 34%, malgré la machine de la fraude. Mais lorsqu’elle s’est désunie, en 1996, le plus grand de ses partis n’a obtenu que 6%. Malgré cela, le processus a continué à lui offrir les opportunités de s’unir mais elle a continué à les gâcher, les unes après les autres : coup d’Etat de 2005, élections présidentielles de 2007 et de 2009, coup d’Etat de 2008, initiative de Messoud Ould Boulkheïr. L’opposition doit rompre avec les désirs de ses leaders et se donner une ambition plus large, pour pouvoir, enfin, se défaire du pouvoir militaire. Elle doit changer de stratégie. Cela peut valoir grand bien, au pays, et lui permettre d’accéder au pouvoir, à la fin de ce mandat qui commence. »
Evoquant ce que doit faire le président nouvellement réélu, Mohamed Mahmoud Ould Bakar déclare qu’Ould Abdel Aziz doit savoir qu’il vient, à l’issue de cette élection, de sortir d’une crise aigüe pour entrer dans une crise plus large et plus profonde. Il a le choix entre deux voies : ou bien mélanger toutes les cartes et continuer, ainsi, à laisser le pays aller à vau l’eau, jusqu’à l’implosion ; ou tenir compte de l’intérêt général, à travers la promotion de la stabilité, par l’apaisement de la situation et l’alternance pacifique ; s’ériger, ainsi, une place pour être respecté, au présent et dans l’avenir, et garder l’opportunité de vivre dans son pays, sans être obligé, à un moment ou à un autre, d’être forcé à l’exil ». Pour Ould Bakar cette seconde voie suppose des préalables dont, essentiellement, la reconnaissance des dysfonctionnements économique, politique et social du mandat écoulé, ce qui implique des réformes, dans tous les secteurs de la vie nationale. Politiquement, Ould Bakar suggère au Président, de dissoudre et de recomposer la CENI, de changer le Conseil Constitutionnel, d’ouvrir un nouveau recensement à vocation électorale et de dissoudre, enfin, le Parlement.
Synthèse de Sneiba El Kory