La confiance, caractéristique de notre doxa (au sens husserlien), est-elle insaisissable ? Se décrète-t-elle ? Les efforts consentis pour inculquer des préceptes bien-pensants, s’apparentent-ils finalement à un délire conscient ? Celui-ci n’aurait-il justement pour finalité que de nous protéger d’une réelle prise de conscience qui mettrait à nu notre nullité patente ?
Ce serait plonger dans l’univers nietzschéen que de postuler que la quête effrénée (ou du moins affichée) de la vérité, a parfois tendance à abriter autre chose que le vrai. Le matraquage prédicant dont nous faisons constamment l’objet, participerait-il de cette logique ? L’une des raisons de l’incompréhension de ces homélies, voire de leur rejet pur et simple, résiderait selon toute vraisemblance, dans la carence d’objectifs originels. L’éviction de ces derniers conduit justement à des divagations vésaniques passablement absconses.
L’on sait que la licité apparente de la plupart de nos actes ne saurait toutefois, à elle seule, les légitimer. Pour éloigner ou tout au moins atténuer le risque de plonger dans des postures casuistes, il ne serait pas superflu de dépassionner le débat. La passion n’est d’ailleurs pas répréhensible en tant que telle, mais elle le devient du fait probablement de sa surdité aux sirènes de l’éthique. N’allons cependant pas vite en besogne. Brocarder l’adiaphorie ambiante, serait en effet, pour le moins tendancieux.
Un personnage comique célèbre clamait : « Quoi qu’en pense Aristote et sa docte cabale, il n’y a rien de meilleur que le tabac ! ». En arriver ainsi à confondre les époques, témoigne d’une cécité intellectuelle incommensurable. Fort heureusement, n’est pas Sganarelle qui veut (mais surtout qui ne veut pas). Ce n’est certainement pas par le biais de telles réparties, que naîtra la confiance.
Celle-ci passe nécessairement par un patient et laborieux cheminement avant de se construire. Elle ne saurait au demeurant, se limiter à la simple soumission déclinée à quelque principe « moral »- si vénérable soit-il - dont les allées sont pavées de rugosités. D’ailleurs ce qui interpelle dans ce genre de questionnement c’est la frontière ténue entre vice et vertu. Querelles d’intransigeance ? Une forme de pusillanimité transparaît ainsi à travers le désir de camouflage de l’angoisse vis-à-vis de situations non maîtrisables ou qui pourraient vite le devenir.
Quoi qu’il en soit, la confiance est un des déterminants principaux de notre quotidien lequel implique d’être constamment en relation avec les autres. Il est donc illusoire de vouloir la contourner. Dans un monde d’incertitudes, et de repli sur soi, il est cependant ardu de « faire confiance » car, pense-t-on, ceci rend plus vulnérable et dépendant. Le revers de la médaille est que plus nous nous recroquevillons sur nous-mêmes, plus il y a de fortes chances que des opportunités (pas seulement d’ordre matériel) nous échappent. Jouer la sécurité tous azimuts en réduisant au maximum les contacts, n’est pas une garantie absolue contre les risques. C’est bien souvent, d’ailleurs, le contraire. A nous de prendre garde contre la niaiserie dévastatrice, un bien piètre état d’esprit caractérisé ainsi par certains penseurs : « les sots veulent simplement survivre ».
La confiance en soi amène, dit-on, à faire confiance. Ce n’est pas d’une confiance aveugle dont il est question ici. L’excès en tout est néfaste.Il y a une différence notoire entre crédulité et ouverture d’esprit. Quoi que l’on fasse, une réputation (bonne ou mauvaise) colle à la peau, nous précède, se répand comme une trainée de poudre, détermine le regard des autres envers nous, regard souvent compatissant, du reste. Ce sont finalement les comportements éthiques dans la durée qui orienteront telle ou telle attitude vis-à-vis de quelqu’un.
Parmi ces comportements, il y a au premier chef le refus du mensonge sous toutes ses formes et quelles que soient les circonstances, le respect des engagements pris et l’humilité. L’essentiel est de ne pas tomber dans ces travers de manière délibérée. Le seul capital inusable est la confiance qu’on inspire. S’il n’y a nulle trace de celle-ci, tous nos discours, sermons ou prises de positions, resteront bien évidemment sans effet. Pire, elles risquent de nous couvrir d’opprobre et faire de nous la risée de tout le monde. A moins de vouloir hypostasier l’intention. Socrate postulait : « Chez l’homme qui ne sait pas, il y a (…) des opinions vraies au sujet de choses qu’il ignore». A méditer.
Ishaq Ahmed Cheikh Sidia