De Walata, Inal, Jreïda à Guantanamo (2)

21 May, 2015 - 02:56

Les ambivalences du complot : vouloir le beurre, l’argent du beurre et le cuir de la vache ; refus de confrontation entre les manuscrits extorqués sous la torture et les procès-verbaux « bons à compromettre », dactylographiés par les services du système ; refus de lecture des PV avant signature ; refus de confrontation entre les détenus ; refus de déposer les dossiers devant la justice. Les demandes font généralement l’objet de tabassage…

Après son renversement en 1984, le président Haïdalla, un grand homme, rejeta les offres d’asile politique de ses pairs du Burundi, du Congo Brazzaville, du Nigéria, de Côte d’Ivoire et du Sénégal, pour rentrer au pays et exiger d’être jugé pour les faits qui lui étaient reprochés. Le dossier étant vide, comme le nôtre, le procès n’eut jamais eu lieu.

 

La connivence avec Israël

Le système avait bien préparé le dossier à telle enseigne qu’un brillant, fin et honnête magistrat ou avocat pouvait être induit en erreur, comme une partie de l’opinion le fut, allant jusqu’à admirer les tortionnaires avant de se rétracter. Ce fut un des grands échecs des moutonniers. Quant aux doutes de Maawiya, je ne sais pourquoi ni comment il y tomba, ordonnant une commission d’enquête de quatre officiers supérieurs, afin de lui faire lumière sur ce dossier. Des journalistes dont un professeur de français, journaliste par violon d’Ingres, révèleront, après de profondes et sérieuses investigations, l’excellent travail de cette commission qui confirma le caractère chimérique du complot. Malgré cela, les tortionnaires furent amnistiés par la loi numéro 91025 du 29 Juillet 1993, avec leurs poitrines chamarrées de hautes distinctions nationales. A l’aune donc, du Vietnam de 1968, où Richard Nixon, président des USA au moment des faits, désormais connu en tant qu’un des plus grands criminels de l’époque, avec sa politique d’extension et d’intensification de la guerre en Indochine, amnistia l’officier qui avait massacré le village de My Laï (Song Mi de son nom vietnamien), mais après le verdict de la cour martiale.

Plus tard, les soldats américains qui avaient braqué leurs armes sur leurs frères d’armes pour arrêter les massacres furent décorés. A l’antipode de ce qu’il advint, chez nous, pour ceux qui protestèrent contre les exactions. Un officier supérieur en poste en Europe de l’Ouest, a révélé, dans sa lettre de démission, un pogrom pour l’élimination des opposants, comme si…. En complément des casseroles du système, lire l’article de Cheikh Aïdara, in CRIDEM du 18 Décembre 2014 : « Le passé sombre de la Mauritanie, après les révélations de la CIA. A quand le procès des grands criminels ? ». Le procès des grands criminels n’aura lieu que lorsque nous prendrons le chemin d’une justice triomphante, engagerons, ensemble, les soins appropriés et assécherons les pépinières de ceux qui tirent profit de l’impunité. Ce sera le procès de la défense accuse.

28 novembre 2001. La Mauritanie du ciseau, encore. Accusé d’être un des cerveaux du complot du millénium, notre compatriote Mouhamedou ould Slahi est arrêté le 20 Novembre 2001, à Nouakchott, puis exporté, le 28 Novembre 2001 (toujours le 28 Novembre, comme en 1990) en Jordanie où il a passé près de huit mois de tortures et d’interrogatoires, puis à Bagram, en Afghanistan, et, enfin, à Guantanamo où il est détenu depuis 2002.

28 Novembre 2011. Retour de la Mauritanie de l’aiguille. Des militants d’IRA, mouvement anti esclavagiste, anti latifundiste, avec des compatriotes réfugiés en Europe, aux USA et ailleurs, bravent, avec courage et conviction les difficultés et les menaces, pour un pèlerinage à Inal, sur les fosses communes et les hangars de pendaison. Les paroles et les visages des manifestants, chargés de tristesse, de douleur et de larmes, ont prouvé que leur seul objectif était la justice, en écartant tout esprit de haine et de vengeance. Ce pèlerinage fut une réussite, malgré les provocations et la propagande calomnieuse.

 

De la prison à l’aura

En décrivant les conditions inhumaines, barbares et insoutenables de sa détention, Ould Slahi a suscité, avec sa plume suave, simple, accessible à tous les lecteurs, sympathie, déférence et grande émotion, dans le monde entier, particulièrement chez ses avocats volontaires, les ONG de défense de droits de l’homme, les éditeurs et les traducteurs. L’excellence du travail de ces derniers se mesure à la publication du livre en millions d’exemplaires et en plus de vingt langues, depuis Janvier dernier, sans parler des extraits du manuscrit repris dans différents journaux, aux Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne, etc. On ne nous inondera pas par les qualificatifs et chansons de geste, à l’endroit de tous ceux qui dénoncent le système et dont le travail est parfois honoré à l’extérieur : professeur Cheikh Saad Bouh Camara, Isselmou Abdel Kader, Wezir Barro, Boubacar Messoud, Sarr Mamadou, Biram Ould Dah, Balla Toure, Kane Mamadou de COVIRE, Aminetou mint Ely, de l’Association des Femmes Chefs de Famille, maîtres Ebety, Fatimata M’Baye, etc.

Ce livre humiliant le système nous apprend que le très puissant DSE national a été empêché d’accéder à la salle de traitement d’Ould Slahi par l’interrogateur américain qui a grossièrement apostrophé le candide serveur d’un grand symbole de notre hospitalité : le thé. En plus de l’humiliation du système, ce livre ouvre une gigantesque brèche dans le mur de l’omerta et se révèle un incontestable best-seller, tout comme « Le long chemin vers la liberté » de Roli Hala Hala Mandela (éditions Fayard), « Le cinquième cavalier » de Dominique Lapierre et Larry Collins (éditions Robert Laffont) – traitant du terrorisme et paru en 1980, Il reste toujours d’actualité – ou encore « L’innocence perdue » de Neil Shihann (éditions du Seuil) qui reste, à ce jour, le meilleur écrit sur la guerre du Vietnam.

Les carnets de Guantanamo sont également un excellent sujet pour les réalisateurs de films et pourraient connaître un aussi grand succès qu’« Apocalypse Now », de Francis Ford Coppola ; « Missing » (porté disparu) de Costa Gavras ; ou « Titanic », de James Cameron. Ould Slahi a réussi la principale mission du détenu : prouver son innocence, face aux grotesques mensonges orchestrés par ceux qui ont donné l’ordre de l’arrêter. Son cas a entrainé une polémique aux Etats-Unis, entre les politiques qui jugent humiliantes les méthodes employées, par les services de renseignements et de sécurité, pour extorquer des aveux aux détenus, et les services de renseignements et de sécurité qui pensent, eux, avoir accompli leur mission avec l’aval des politiques.

En Mauritanie, le système observe un silence total, en feignant d’ignorer l’évènement. Babiole pour le système Amok, l’histoire de ce confrère est pourtant un phénomène mondial. Ould Slahi entre dans l’histoire par la grande porte, comme ceux qui trouvé aura dans leur prison, suite à détentions arbitraires et inhumaines. Roli Hala Hala Mandela d’Afrique du Sud ; Xanana Gusmao, surnommé le Mandela du Sud-Est asiatique, leader indépendantiste, Premier ministre puis Président de Timor-Est et Prix Sakharov 1999 ; le général Ochoa Ramirez Sanchez, héros de la guerre d’Angola, fusillé par Castro pour « excès » d’aura ; Thomas Borg, libéré sous la torture, lors de la prise de Managua, par les Sandinistes. Sa célèbre phrase adressée à ses compatriotes continue de faire le tour du Monde : « Ma seule vengeance, c’est mon pardon ».

 

Mandela paraphrasé

Citation réconfortante pour toutes les victimes d’injustice. « Il y a une lueur de bonté en l’homme, qui peut être cachée ou enterrée mais qui peut apparaitre sans qu’on s’y attende ». Cette lueur, c’est cette kyrielle d’avocats bénévoles qui ont tenu deux fronts : la libération et la publication des manuscrits de notre compatriote Mouhamedou  ould  Slahi. C’est aussi les ONG de défense des droits humains, les éditeurs, les traducteurs et autres bonnes volontés sans qui ce livre n’eût jamais paru et n’eût pas connu sa formidable portée publique sans frontière.

Toujours dans l’esprit de cette citation de Mandela mais sur un autre plan, il y a cette même lueur de bonté, de sensibilité, de grandeur et d’espoir, chez ces jeunes élèves, garçons et filles des lycée et collège du petit centre de Nouakchott qui ont quitté, ensemble, leurs salles de classes à chaudes larmes, afin de se rendre chez une des leurs, décédée le 8 Février dernier, lors d’un accident de circulation entre Rosso et Nouakchott. Choqués par leur comportement, les parents ont fini par prendre le même chemin, pour partager et exprimer leur sympathie à la famille de la défunte. Les cours ont été perturbés pendant une semaine. C’est la Mauritanie d’hier, la belle, l’adorable, écornée par le système.

Un mot de remerciements à tous ceux qui se sont mobilisés, à travers le Monde, pour la libération d’ould Slahi, toujours en prison, malgré la décision d’un juge de le libérer et l’absence de preuves contre lui aux USA ,au Canada, en Mauritanie, en Allemagne. Peut-être que ceux qui l’ont exfiltré bénéficient de solides appuis auprès des lobbies capables d’influencer l’administration américaine. La reconnaissance va également à l’endroit de tous ceux qui nous ont entourés d’affection et de chaleur humaine, pendant les exactions, particulièrement aux aimables geôliers qui étaient en contact direct avec nous.

 

Wane Abdoulaye Néto

Colonel des douanes à la retraite