Le président a-t-il raté une bonne occasion de se taire ? C’est du moins l’avis de la majorité des Mauritaniens qui s’étaient mis devant le petit écran pour écouter leur président, rentré fraîchement d’une longue tournée à l’intérieur du pays, le jeudi dernier (26 mars). L’annonce, à grand tapage de communiqués, relayés par les media, de la conférence de presse du président de la République attisait la curiosité. Les politiques s’attendaient à des informations : sur le dialogue en gestation depuis des mois, sur les rumeurs attribuant, au Raïs, l’intention de modifier la Constitution en vue d’un troisième mandat que celle-ci lui interdit ; les syndicats et les grévistes de la SNIM, à un moindre geste d’ouverture qui permettrait d’entamer des négociations et d’envisager, donc, l’arrêt d’une grève coûteuse et périlleuse, pour la première entreprise publique du pays ; et les citoyens lambda espéraient des annonces sur les prix des denrée de première nécessité, la sécurité, l’école ou la santé... Mais à l’arrivée, tout le monde est resté sur sa faim, pour ne pas dire (très) déçu de la prestation du Président. Pour nombre de nos interlocuteurs interrogés, tant au sein de la majorité que de l’opposition, c’est le superlatif « la plus médiocre depuis 2009 » qui fait l’unanimité.
Pour Moussa Fall, président du MCD et membre du pôle politique du FNDU, Oud Abdel Aziz a choisi de fermer la porte sur le conflit qui sévit à la SNIM ; de rester évasif sur le dialogue, ne pipant mot sur ce qu’il attend de ces assises, niant l’évidence sur la corruption… en bref, pas à la hauteur de la situation. Maître Mahfoudh ould Bettah, président du CDN et président dudit pôle politique, estime, quant à lui, que le président est passé à côté de l’essentiel ; n’a rien apporté de nouveau, ni au plan politique, ni au plan économique et social. Le mauritanien lambda, acculé par le coût de la vie de plus en plus pénible ; les grévistes de la SNIM, sous le coup de licenciements, en quête de signaux forts, sevrés de gestes de conciliation… De toute évidence, Ould Abdel Aziz a raté, on ne le répétera jamais assez, une belle occasion de se taire. Certains citoyens, qui ne comprennent le Hassaniya, dialecte de la majorité, certes, mais pas de tous les Mauritaniens, ont déploré le fait que la conférence de presse ne se soit pas adressée à tous.
Il faut saluer, tout de même, les efforts, très méritoires en l’occurrence, de Mohamed Lemine ould El Hacen, secrétaire exécutif de l’UPR chargé de l’éveil politique, pour qui « la sortie du Président est excellente, à tous les points de vue. Il a maintenu le cap, réaffirmé les grands axes et fondamentaux de son programme ; prouvé, une fois de plus, à travers ce dernier déplacement à l’intérieur du pays, que les conditions de vie des populations sont une priorité de son gouvernement ». En somme, avant de conclure, béatement, « je pense que le président Mohamed ould Abdel Aziz a rassuré les Mauritaniens ». Ben voyons…
Thèmes survolés
De fait, tous les sujets abordés par le Président, visiblement déstabilisé par un incident avec un confrère (voir édito), ont été superficiellement traités, avec, parfois, une approximation hasardeuse sur les chiffres. Rien de nouveau sur la SNIM, sauf qu’aucun missionnaire n’a été dépêché pour discuter avec les grévistes qui « n’auraient pas respecté la parole donnée, lors d’une rencontre à Zouérate », que leurs revendications sont trop « irréalistes » pour être satisfaites par la direction de l’entreprise. Pour Ould Abdel Aziz, les Mauritaniens doivent tirer les leçons d’autres pays qui ont vu leurs entreprises minières fermer, à cause de la chute vertigineuse des prix du fer sur le marché mondial. La même menace pèserait-t-elle sur le premier employeur du pays, premier contributeur au budget national ? Et ce serait aux ouvriers d’en supporter les frais ?
Sur le dialogue tant attendu, le président – qui disait qu’« aucun sujet n’est tabou », rappelle le FNDU – martèle qu’aucun préalable n’est admis avant l’ouverture des discussions, qu’il n’a jamais évoqué la moindre modification de la Constitution, ni pour instaurer un régime parlementaire, encore moins pour la déverrouiller ; que les gens sont libres de gesticuler et de mettre sur le tapis leurs idées ; et, bien entendu, que le pays ne vit aucune crise politique.
Interrogé sur les conditions de vie des populations, la montée des prix de denrées de première nécessité, la baisse du pétrole qui devrait avoir des implications positives sur tout ce qui est transport (importations), le président a, tout simplement, opposé la « structure des prix du carburant », indiquant, au passage, que le gouvernement subventionne, à hauteur de 80 UM, le prix d’un litre de gas-oil. Dans le même ordre d’idées, il a déploré la prolifération anarchique des hameaux et autres localités à l’intérieur du pays. Un problème pour les investissements, en termes d’écoles, de centres de santé, d’équipements hydrauliques…
A la question de savoir si la lutte contre la gabegie n’était pas qu’un slogan, au vu de ses piètres résultats depuis 2009, le président rétorque que pas du tout, il s’agit bel et bien d’une volonté politique, d’un combat pour éradiquer cette pandémie. La bataille a d’ailleurs porté ses fruits, aucun de ses proches n’ont jamais bénéficié du moindre marché de complaisance. Ben voyons… Clap clap et rideau.
Piètre format de com
Les conférences de presse du président de la République ont souvent connu des ratés que la Com de la présidence ou son cabinet peinent à corriger. On se demande, parfois, si la direction de cette communication a son mot à dire, dans la préparation des conférences et autres rencontres avec le Peuple ou la Jeunesse, ou si c’est le cabinet qui régente tout. L’un et l’autre devraient pourtant œuvrer de concert sur les thèmes à traiter. Il ne sert à rien de remettre, au Président, une pile de fiches juste bonnes à se perdre ou de lui attacher les services d’un ministre pour donner une réponse à une question. La présidence gagnerait à cadrer juste quelques thèmes, ce qui permet de mieux maîtriser leurs divers aspects, éviter de coller aux fiches, d’hésiter avant de répondre. Un président de la République, soit-il le plus futé au monde, ne maîtrisera jamais tous les aspects de la vie de sa nation, c’est un être humain, avec qualités et ses défauts. Mas il doit avoir la magnanimité de trouver des portes de sorties pour les questions « gênantes ». La Com – ou le cabinet – pourrait restreindre le nombre de journalistes, quitte à organiser une rotation des organes de presse, chaque fois qu’une conférence de presse est convoquée au Palais. Il faut apprendre à s’inspirer des exemples d’ailleurs. Ould Abdel Aziz n’a-t-il pas beaucoup voyagé et présidé l’UA, pendant une année ?
La Com – ou le cabinet – devrait faire entendre au Président, au cours du briefing de préparation, qu’il n’a pas à faire à de grands enfants ou à des soldats et qu’il doit, par conséquent, se départir de certaines réactions, genre « Tais-toi ! Retire-toi ! » Il doit rester détendu, détendre l’assistance et les téléspectateurs. Les journalistes se montrer, eux aussi, « polis » et « responsables » mais sans se laisser désarçonner ; faire preuve de maturité et de sérénité. Notre confrère Wédiaa a ainsi su s’imposer, en donnant une autre tournure à la conférence de presse, rappelant, à l’animateur, qu’on ne change pas les règles du jeu en cours de route.
Quant aux choix des organes de presse et à leur gestion, on se demande encore comment s’effectue le « tri » des journalistes. A l’occasion de cette dernière sortie, on constate ainsi que la presse écrite francophone a été totalement zappée. Certains d’entre eux sont, tout simplement, considérés comme des pestiférés, par le cabinet – ou la Com – du Raïs. Ceci dit, nous ne regrettons pas, au Calame, d’avoir « été évités » d’assister à de tels « shows », de servir de « faire valoir » ou, disons-le, de « décor » sinon de « pots de fleurs ». L’équipe ministérielle présente sur le plateau suffit, amplement, à remplir cette fonction.
Dalay Lam