Vous avez suivi comme nombre de mauritaniens la conférence de presse du président de la République, jeudi dernier. Quelles leçons en avez-vous tirées?
-Essentiellement trois : La première a trait à l’ambiance même de la rencontre : lourde, tendue, presque crispée.
La deuxième impression renvoie aux réponses du Président. Hésitantes, quelque peu mal assurées; je n’ai pas eu le sentiment qu’il se dégageait de cette conférence une assurance dans la maitrise des dossiers et des chiffres. Autre impression, j’ai cru déceler chez le locataire du palais ocre cette tendance permanente, obstinée, à minimiser les problèmes, voire les occulter, aussi sérieux et graves qu’ils soient! Celui de la Snim, présentement, celui de la cohabitation, depuis toujours; « les chiens aboient la caravane passe », traduit à la perfection l’attitude du Président, telle que je la perçois.
Quelque chose enfin que j’ai noté: un ‘’lapsus’’ de comportement du Président, significatif, révélateur du peu d’intérêt qu’il porte pour nous négro-africains.
Je passe sur le choix du panel des journalistes sélectionnés, essentiellement arabophones et Arabo-berbères; un seul francophone, un négro-africain qui, à son tour, au lieu d’oser jeter un pavé dans la mare en s’adressant au Président en Pulaar, choisit de poser sa question en français ; question, du reste, bidon ! Et c’est là qu’intervient le ‘’ lapsus’’ dont je parlais …
Le Président Aziz , hésitant un peu après la question posée en français , demande alors au journaliste s’il doit répondre en Français ou …, puis se décide à le faire en français , - et c’est là qu’intervient le ‘’lapsus ‘’- ; puis, tout ‘’naturellement ‘’, se traduit automatiquement en hassanya …pour les ‘’autres’’ ! Lapsus singulier, révélateur d’une mentalité ; lapsus qui en dit long sur l’attitude singulière d’un Président, peu soucieux des autres, à l’esprit absolument pas tourmenté par le souci d’équité et d’équilibre vis-à vis de ses sujets…
En effet, à aucun moment, il n’est venu à l’esprit de Ould Abdel Aziz qu’il existe d’autres nationalités mauritaniennes, non arabophones; ni après son exposé introductif lapidaire, ni pendant les 9/10e du temps de la rencontre ! Pas un seul instant l’existence de ces milliers de locuteurs en français, tout aussi mauritaniens que les hassanophones, n’a effleuré son esprit !
Le comportement sectaire et teinté de mépris du Premier ministre Ould Mohamed Laghdaf, il y a quelques années, trouve ici son origine, ‘’parler arabe ou s’écraser…’’
Cette attitude de négation des uns n’a pas commencé avec cette conférence… Elle est coutumière de la politique du Président Aziz à travers ses conseils de ministres, à travers l’enrôlement en cours, à travers le recrutement et la promotion au sein des forces armées et de sécurité, à travers la composition monoethnique de la cohorte qui peuple nos grandes écoles spéciales.
L’unité nationale ne peut se fonder que sur le respect mutuel, que sur l’égale dignité des composantes nationales. La Mauritanie n’est pas qu’arabe; elle est arabe et négro-africaine! Elle est hassanophone, pulaarophone, wolofone, francophone …
Cette négation des autres, chaque jour plus marquée, comme par défi, comme par provocation; à travers l’octroi sélectivement ethnique des médias privés qui participent de l’étouffement de toute expression autre que Hassanya.
On l’a observé, il n’y a guère de temps, avec le limogeage de Bah Ould Saleck, communicateur professionnel, consciencieux, viré pour ‘’ délit de complaisance ‘’ à l’endroit des négro-africains ; il lui était reproché d’octroyer trop d’espace à l’expression du Pulaar, du français, du Soninké ! Sahel Tv vient de récidiver avec le jeune Gaye qui insistait pour me recevoir sur son plateau. Il n’y a pas longtemps c’était au tour de Hanevi –directeur talentueux de Watanya, de faire les frais de ce sectarisme; puis s’en suivit la suppression de l’émission, à succès, de Beylilatou, remplacée par une autre en arabe, avec la complicité d’intellectuels arabo-berbères de formation francophone de souche, qui se prêtèrent au jeu …
Au niveau des radios, nous avons assisté à la même pratique : suppression de l’émission pulaar à Saharamédias, de ‘’Kaalden goonga ‘’ à Mauritanides, sous prétexte de ‘’ panne de radio ‘’ … Je n’ai pas évoqué la pléthore de ces autres radios qui émettent les 9/10e du temps en arabe…
Devant le rétrécissement programmé de l’espace d’expression francophone, il ne reste, pour la frange monolingue francophone, qu’à se rabattre sur RFI …Pas un mot, pas une ligne pour dénoncer, stigmatiser, cette dérive. Un silence surprenant de la part de nos intellectuels arabes honnêtes, et de nos forces de gauche, si volubiles, si promptes à parler de tout et de rien, sauf… de l’essentiel…
Alertons encore une fois l’opinion pour dire que nous empruntons un chemin dangereux… Rappelons, encore une fois, que les germes du génocide, de la partition du Soudan, avaient pour nom ’’ impunité, complexe de supériorité, arrogance, mépris de l’autre’’, toutes choses aujourd’hui réunies chez nous !
L’unité, encore une fois, doit reposer sur le respect mutuel et l’égale dignité …
Une nation ne pouvait être moitié, libre moitié esclave, disait A Lincoln, …
-Que pensez-vous la réponse du président sur la grève, depuis bientôt deux mois, des employés de la SNIM?
J’ai noté la même intransigeance, la même attitude à fermer les yeux sur les problèmes graves … je l’ai déjà dit plus haut. Il prendra peut-être conscience de ces erreurs quand il sera trop tard …
-Vous avez l’air déçu?
-Oui, absolument ! On pourrait dire que la montagne a accouché d’une souris ; à moins que le Président se soit ravisé en chemin…
Quelle lecture faites-vous par ailleurs de la situation sociale globale ?
-Je perçois, à travers certains signes, comme un grondement lointain qui sourd, se rapproche, en s’amplifiant ; une sorte de révolte sourde, diffuse mais perceptible.
E. Durkheim aimait à comparer le corps physique au grand corps social ; j’ai le sentiment que, comme pour le corps physique, certains symptômes annonciateurs de la fièvre se manifestent. Notre corps social semble atteint de frémissement, comme dans une sorte d’incubation avant l’éclatement de la fièvre …
Beaucoup attendaient quelque chose sur le dialogue en gestation depuis quelque temps. Pensez-vous M. Thiam que ce dialogue, tant attendu, aura lieu ?
-A entendre le président Aziz qui rejette tout préalable au dialogue et au regard de la position du FNDU qui y tient, je ne vois pas comment le dialogue pourrait se tenir. Il faudrait être d’un optimisme démesuré pour y croire.
Pour ma part, de toute façon, un dialogue centré essentiellement sur des questions périphériques, mû par l’esprit du « ôte-toi de là que je m’y mette » n’est pas ma préoccupation, encore une fois. Alors qu’il se tienne ou ne se tienne pas, je n’y vois pas grand intérêt.
Propos recueillis par DL