Dr Alassane Dia, président de ‘Touche pas à Ma Nationalité’ (TPMN) : ‘’Le règlement du passif humanitaire ne peut pas être réduit à une simple question d’argent’’

25 December, 2025 - 15:02

Le Calame: Depuis la visite du président de la République au Hodh El Charghi, le combat contre le tribalisme, le régionalisme et le communautarisme occupe les débats. Le gouvernement peut-il vaincre ces tares ?
Dr Alassane Dia:
Pour vaincre ces tares, il faut en avoir la volonté. Il me semble que nous sommes dans une logique de démagogie du discours plutôt qu’une véritable volonté de saisir le taureau par les cornes Si vous y avez pris garde, vous aurez remarqué que ce n’est pas la première fois que le Président tient de tels discours. Il avait dit en substance la même chose lors du Festival de Ouadane de 2020, il l’a répété dans son discours de Djeol, repris dans le fameux appel de Djeol. C’est aussi la même chose qui est resservie ces jours-ci pour la présente édition du festival des villes anciennes à Ouadane avec un accent particulier mis sur la citoyenneté. S’il y avait donc une véritable volonté politique d’en finir, des actes concrets auraient été engagés depuis au moins 2020. Mais, jusqu’à présent, nous n’en sommes qu’à des vœux pieux du Président, comme s’il n’avait pas l’autorité de transformer ces engagements en actes. D’ailleurs, les nominations égrenées au fil des conseils des ministres, l’arabisation effrénée, non seulement du système éducatif mais également de l’ensemble de la vie nationale, toutes choses au profit d’une seule communauté et, forcément, au détriment de toutes les autres composantes nationales, montrent clairement que le communautarisme a encore de beaux jours devant lui. Quant au choix des ministres et des hauts responsables de l’administration, on sait qu’il obéit à un délicat dosage tribal. Si le Président veut vraiment s’attaquer à cela, il sait donc par où commencer. Mais, hélas, cette lutte est plutôt orientée vers ceux qui dénoncent ces tares d’un autre âge, ceux précisément que l’Etat, pour se donner bonne conscience, taxe d’extrémistes, de communautaristes et de responsables de tous les maux du pays.
 

Parmi les fronts ouverts par le président de la République figure la lutte contre la gabegie/corruption. A côté des révélations de la Cour des Comptes, les réseaux sociaux apportent, chaque jour, leur lot de révélations. Quelle appréciation vous faites de l’action du gouvernement sur la croisade contre la corruption ?

-La corruption est certes un des fléaux qui plombent incontestablement le développement du pays. Mais encore faut-il, dans ce domaine comme dans tous les autres, avoir une véritable volonté politique qui se transforme en actes. Pour cette question aussi, rappelons-nous que ce n’est pas nouveau. Le premier mandat du Président Ghazouani s’était ouvert sur la lutte contre la corruption. On se souvient tous de la commission d’enquête parlementaire qui avait même enregistré l’adhésion de certains élus de l’opposition. Le dossier a fait un énorme psitt pour ne laisser sur les carreaux que le seul Président Aziz, dans ce qui ressemble beaucoup plus à un règlement de comptes entre anciens amis qu’à une véritable croisade contre la corruption. Les collaborateurs les plus proches du Président Aziz, qui ne pouvaient en aucun cas être étrangers à ce qui lui est reproché, continuent à occuper les plus hautes fonctions de l’Etat pour avoir accepté de le renier.
Le dossier consécutif au rapport de la cour des comptes a aussi fini par se dégonfler. Une petite poignée de personnes ne jouissant probablement pas d’un bouclier tribal conséquent sont désignées comme boucs-émissaires et jetées en pâture à l’opinion publique.
Par ailleurs, la corruption est endémique et inscrite dans nos actes de tous les jours. On ne peut quasiment entreprendre la moindre démarche administrative dans ce pays, sans recourir à une forme ou une autre de corruption. C’est dire combien il est difficile de s’attaquer à ce fléau, même armé de la plus énergique des volontés, à plus forte raison si la démarche n’est pas véritablement sincère.

La célébration du 65e anniversaire de l’indépendance nationale est intervenue dans un contexte marqué par la décision du gouvernement de régler le passif humanitaire avec des organisations représentatives des veuves, des orphelins et des rescapés. Le montant de 26 milliards d’anciennes ouguiyas circule depuis quelque temps. Que pensez-vous de cette nouvelle démarche des autorités ?
Le règlement du génocide contre la communauté négro-africaine du pays, que l’hypocrisie mauritanienne refuse de nommer et que l’on cache sous ce vocable barbare de passif humanitaire, ne peut pas être réduit à une simple question d’argent. Il faudrait déjà identifier ces victimes. Or, ce règlement, en espèces trébuchantes que l’on veut imposer, ne toucherait que les anciens militaires, les fonctionnaires déportés et les hommes d’affaires touchés par ces événements. Qu’en est-il des ayants droit des centaines de personnes exécutées sommairement dans la vallée du fleuve, qu’en est-il de ces centaines de femmes et filles systématiquement violées, de ces villages dont on a déshabillé tous les hommes qui devant son fils, qui devant son père, qui devant son beau-père ou son beau-fils ? Qu’en est-il de ces villages dont les habitants, éleveurs ou agriculteurs, ont été dépossédés de tout avant d’être déportés ? Sont-ils à compter parmi les victimes de ce fameux passif humanitaire ? Seront-ils indemnisés et comment le seraient-ils ? Le règlement de ce génocide ne peut être que global et inclusif. Penser pouvoir en finir ou, pour reprendre le terme usité, solder le passif humanitaire, comme si ce n’était qu’une vulgaire question de comptabilité, serait une grossière erreur. L’épisode de la prière de Kaédi et des indemnités qui avaient été versées à l’époque doivent servir de leçon dans cette affaire.

Les organisations favorables au processus parlent de justice transitionnelle pour clore ce douloureux dossier. Qu’en pensez-vous ?
Les victimes, les ayants droit et les organisations qui les représentent font preuve d’une volonté sincère de dépassement. La justice transitionnelle dont on parle ici requiert le règlement de la question suivant quatre dimensions ou devoirs : vérité, justice, réparation et mémoire. Cette justice n’en est pas vraiment une dans la mesure où les bourreaux ne seraient pas jugés et encore moins condamnés à condition qu’ils acceptent de dire la vérité sur ce qui s’est passé. C’est du moins ce que l’on connait de la justice transitionnelle telle qu’elle a été appliquée un peu partout. C’était le cas pour la Commission Vérité et Réconciliation de l’Afrique du Sud postapartheid et, plus proche de nous, des commissions mises en place au Maroc et en Tunisie. Dans tous ces cas, les victimes avaient toujours réclamé le jugement des présumés coupables avant que les Etats concernés, pour les besoins de la réconciliation, ne les convainquent d’accepter la solution consensuelle de la justice transitionnelle. Chez nous, ce sont les victimes qui proposent d’elles-mêmes cette solution consensuelle. Si l’Etat avait véritablement l’intention de régler le problème, il aurait saisi cette opportunité depuis longtemps. Mais au lieu de cela, il veut faire les choses en catimini, tout en continuant à réprimer systématiquement toute manifestation exigeant le règlement définitif du problème. On a tous vu comment les manifestants du 28 novembre ont été traités. Certains d’entre eux, à l’image de Dieynaba Ndiom, militante féministe connue et reconnue, après quelques jours de détention dans les commissariats de Nouakchott, ont même été présentés devant le juge et leurs dossiers restent pendants devant la justice. D’autres ont été victimes d’arrestations « préventives » et, forcément arbitraires, déférés en prison où ils croupissent encore sans aucune forme de procès. C’est le cas de l’activiste et militant des droits de l’homme Demba Sall et du dénommé Docteur Ba, arrêtés alors qu’ils étaient en voyage en direction du sud du pays, la veille du 28 novembre. Ils sont à ce jour détenus à la prison d’Aleg. Tous doivent être libérés et déchargés de tout contrôle judiciaire.
Tous ces signaux contraires montrent, en tout cas, que la volonté politique pour le règlement de la question du génocide n’est pas vraiment à l’ordre du jour.

La phase préparatoire du dialogue s’est achevée en octobre dernier. A votre avis, les thèmes qui préoccupent TPMN sont-ils pris en compte dans le rapport du facilitateur Moussa Fall et dans la plateforme de l’opposition ? Pouvez-vous nous en citer quelques-uns ?
Ce dialogue s’apparente à celui que l’on avait fait miroiter à l’opposition lors du premier mandat du Président Ghazouani et n’a finalement jamais eu lieu. Je crains que le Président ne veuille endormir ses opposants comme il l’avait réussi alors, à les trainer jusqu’à la fin de son second mandat sans qu’il ne se passe rien.
Mais je noterai positivement que la plateforme de l’opposition ne s’est pas trompé de priorités en plaçant la question de l’unité nationale à la tête de ses préoccupations.  Les thématiques de l’esclavage, de l’exclusion, de l’enrôlement, entre autres apparaissent en bonne place. J’espère simplement que l’opposition pourrait convaincre le pouvoir d’avoir le même sens des priorités si jamais le dialogue devait avoir lieu. Le dialogue serait aussi le cadre idéal pour le règlement du « passif humanitaire » car c’est une tragédie qui continue d’ébranler les fondements mêmes du pays et dont la résolution doit donc engager toutes nos forces vives et ne pas être limités aux organisations de victimes et à l’Etat.
 

Voici 4 ans que l’école républicaine court. Quel bilan sommaire pourrait dresser le professeur d’université que vous êtes ?
Je ne peux pas vraiment dresser un bilan sans une évaluation digne de ce nom. Mais je peux émettre un jugement quant aux objectifs véritables de cette école dite républicaine. En fait de républicaine, l’école issue de la réforme de 2022 participe de l’arabisation totale du pays dont rêve le régime de Mohamed Ould Ghazouani, comme en avaient rêvé tous les régimes qui l’ont précédé. En fait de républicaine, cette école renforce l’exclusion, les inégalités structurelles et donc le communautarisme. Les langues nationales pulaar, soninké et wolof sont expérimentées à doses homéopathiques et leur généralisation dépendra non seulement de la réussite de l’expérimentation, dont la durée n’a pas été déterminée, mais également des besoins. On fait tout comme si ces langues n’avaient jamais été expérimentés, alors que c’était le cas pendant près de 20 ans, avec le succès que l’on connait Ce sera donc une utilisation de ces langues à la carte, une fois qu’elles auront franchi le cap de l’expérimentation. En attendant, l’arabe est devenue la seule langue d’enseignement dans le primaire, touchant depuis la dernière année scolaire la classe de quatrième année qui ne devait pourtant pas être concernée par la réforme. Si on y ajoute les effectifs, la qualité des enseignements dispensés, la cartographie scolaire, les conditions matérielles des enseignants et j’en passe, l’on comprend aisément que la sortie de crise n’est pas pour demain Autrement dit, on va droit au mur, si on n’y est pas déjà, parce que cette réforme, à l’instar de toutes les autres, répond à une vision politique et idéologique tendant à imposer l’arabe à tous plutôt qu’à mettre en conformité les programmes avec les besoins de la réalité mauritanienne. Les décideurs qui conduisent ces réformes ne s’y trompent pas d’ailleurs puisque leurs enfants sont inscrits dans des écoles à programmes français, américain ou turc, entre autres.

 

Propos recueillis par Dalay Lam