Pour rendre visite aux leaders d’IRA embastillés : Nous étions à Aleg

19 March, 2015 - 01:09

Presque trois mois que le président Birame ould Dah et son adjoint Brahim ould Bilal sont en prison. Jugés à Rosso, les deux militants des droits de l’homme ont été, aussitôt après la prononciation de leur verdict, transférés à la prison d’Aleg. Une mesure continuellement dénoncée par leurs avocats qui y voient une enfreinte flagrante de la loi. Les chefs d’accusation retenus contre les deux responsables d’IRA sont, principalement, appartenance à organisation non reconnue et incitation à la haine raciale. Il a fallu, visiblement, au régime de Mohamed ould Abdel Aziz, beaucoup de temps pour se rendre compte du probable danger que Birame ould Dah et son organisation représentent. Et c’est au moment où ce leader commençait à mettre beaucoup d’eau dans son zrig, en annonçant, dans une conférence de presse, la veille de son arrestation, toute sa disponibilité à dialoguer, paisiblement, avec toutes les forces vives de la Nation, que le pouvoir a décidé, presque sans raison, de procéder à son arrestation. Ce que beaucoup  d’observateurs nationaux et internationaux ne comprennent pas. IRA a organisé des meetings populaires dans toutes les capitales régionales du pays. Ses responsables ont été reçus au plus haut niveau. Ses transfuges récupérés et parfois bien traités. Avec des moments forts, comme l’incinération des traités du rite malékite et les sorties particulièrement virulentes de Birame au plus fort de sa verve, qui devaient constituer des occasions plus consensuelles  à la répression de l’organisation et de ses responsables. A la présidentielle de 2014, le Conseil constitutionnel a validé la candidature à la magistrature suprême de Birame ould Dah qui cueille 10% des suffrages et se place second, après Mohamed ould Abdel Aziz. Subitement, les voilà, lui et son organisation, devenus encombrants. Bonjour la prison. Salut l’interdiction. Avec deux amis, Ahmed ould Cheikh, le directeur de publication du Calame, et le professeur Sidi Mohamed ould Khatari, nous décidons d’aller rendre visite aux deux responsables d’IRA détenus au bagne de Goueïbina.

 

Une route parsemée de… postes

C’est aux environs de sept heures le samedi14 mars que mes deux compagnons de route viennent me cueillir au carrefour du 24. Ahmed est impeccable, comme toujours, dans son joli boubou blanc, et le sociologue itou, dans le sien bleu. En vieil hartani, je suis, moi, en fort joli également boubou « Ezbi » et turban de quatre mètres de « Ahmada el hamdi », payé la veille. Le climat est encore doux. Nous voilà en route pour Aleg. Le petit déjeuner, déclare Ahmed, ce sera à Boutilimit. Sans commentaire. La même route construite en 1976, par la société brésilienne Mendés-junior et régulièrement retapée par les services publics, notamment l’Etablissement National de l’Entretien Routier (ENER). Nous discutons de tout. Du pouvoir. De la presse. Des dernières vidéos postées sur les réseaux sociaux. Mes deux amis sont du Trarza. L’un (Ahmed), se dit métis c'est-à-dire de Mederdra et de Boutilimit. L’autre (Sidi Mohamed), de Boutilimit et un peu du Brakna. Celui-ci connaît, par cœur, tous les campements bordant la route. Ici, c’est tel rassemblement, telle tribu, tel clan, de qui fut ceci ou cela, qui vend ça ou ça. C’est ici que crèchent ses parents. A chaque maison, un nom. Chaque tente, une tribu. L’ancien fédéral du PRDS est un spécialiste de l’occupation anarchique des espaces. Petite altercation, entre Ahmed et Sidi Mohamed, sur l’usage du climatiseur. Le docteur ne veut rien entendre. Les arguments d’Ahmed le laissent de marbre. Pas question, ça me fait tomber malade. Moi, ça me concerne pas : c’est une affaire de Maures, les esclaves en sortent. Quasiment tous les vingt kilomètres, un poste de sécurité. Tantôt, c’est la gendarmerie. Tantôt, le groupement général de la sécurité routière. Au moins une bonne dizaine, entre Nouakchott et Boutilimit. Alors que, la semaine passée, ils étaient à peine deux. Chacun de nous y va de son explication. Au poste de police de Boutilimit, je propose, à mes deux amis, d’acheter du lait de chamelle à une cousine. Ce que nous faisons, sans que mes deux compères n’y trouvent à dire. Ensuite, c’est six pains de bois encore chauds qui souffrent le martyr. Puis un rapide thé à Zem-Zem. Et direction Aleg où nous arrivons vers dix heures passées de quelques minutes. Aucune formalité particulière, pour visiter Birame. Le samedi, le mercredi et le mardi sont des jours de visite sans rien. Bien que je sois d’Aleg, Sidi Mohamed, habitué à visiter son « parent », prend l’initiative de nous guider vers la prison, située à l’est de la ville, juste à quelques mètres de « Teydoumet Ejjeich », un immense baobab séculaire, tombé le 20 Mars 1995, après avoir résisté plus de deux cents ans aux aléas des temps. La prison est aussi à quelques encablures des cimetières de Badeli où repose, depuis 1952, feu Mohamed ould Mseïke.

 

Entrez dans le rang

Visiblement, nous ne sommes pas les seuls visiteurs des prisonniers d’IRA. Les gardes font entrer les gens par groupe de quatre, suivant l’ordre d’arrivée. Quatre membres de la direction d’IRA, dont Balla Touré, le secrétaire général, et Coumba, la vice-présidente, viennent juste d’entrer. Nous attendrons une longue heure, au moins, avant de les voir enfin sortir. Interrogé sur les raisons de leur long séjour avec leur président, Balla nous répond, un brin moqueur : « Mais c’était une réunion du bureau exécutif d’IRA ! ». Autour de la prison, tout est austère. Quelques vaches broutent quelque chose. Peut-être des restes, très peu visibles, des herbes du mauvais hivernage de cette année. Bref, nous étions là à attendre notre tour, avec les autres dont certains, comme nous, viennent de Nouakchott. D’autres de Boghé ou de Kaédi. Selon Sidi Mohamed, Leïla mint Ahmed, la femme de Birame, a demandé de ne pas trop durer, pour permettre, à diverses délégations qui sont chez elle, de voir les prisonniers avant seize heures, fin du temps imparti aux visites. Voilà qu’enfin les tractations de Sidi Mohamed avec le capitaine de la garde aboutissent. Rapide contrôle à la porte. Séquestration des téléphones. Et nous voici dans le couloir qui mène directement vers Birame ould Dah et Brahim ould Bilal. Ahmed tient, dans une main, un sachet plein du légendaire méchoui d’Aleg et, dans l’autre, quelques exemplaires des dernières éditions du Calame.

 

Ambiance conviviale

Les deux détenus nous accueillent avec force sourires et grandes accolades. Les taquineries fusent de toutes parts, sous les yeux d’un jeune lieutenant de la Garde, entouré de deux subordonnés. Vaste, la chambre est propre. Au coin, une dizaine de caisses d’eau minérale attend ses buveurs. Birame et Brahim n’ont pas changé. Notre installation suscite des commentaires. Pour Brahim, Sidi Mohamed ne peut s’asseoir qu’à côté de Birame. Ahmed se collera à Brahim. De vieux amis de collège. Deux Boutilimitois qui se retrouvent. Entre deux morceaux de méchoui, la discussion est animée. Le moral de Birame et de Brahim semble très bon. Visiblement, ils suivent l’actualité nationale et internationale. Birame trouve que les victoires internationales de son organisation sur le gouvernement mauritanien, dont la dernière en date, la déclaration du Haut commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, n’ont pas été suffisamment médiatisées. Tous les sujets passent. La visite attendue du Président. Le transfert probable de certains prisonniers de Nouakchott à Bir Moghreïn. Le dialogue. L’opposition. L’affaire Mogueya. La grève de la SNIM. Le procès de Rosso et les plaidoiries de certains avocats de la défense. La barbe poivre et hirsute de Birame prouve que le temps n’est pas vraiment à la toilette. Brahim semble avoir grossi. Les deux jeunes cadres harratines gèrent visiblement bien leur détention.

 

Retour vers Nouakchott

Après une heure, nous prenons congé de nos deux amis. Un petit détour, pour saluer Leïla mint Ahmed qui habite une belle petite maison, à quelques un ou deux kilomètres de la prison. Puis passage chez un parent de Sidi Mohamed où de gros plats de méchoui, de riz et de vastes plateaux de coca-cola, lait et, surtout, bissap nous attendent. Copieux repas donc. Rassasiés, les deux maures ne tardent pas à ronfler. Signe des temps, ce n’est pas le hartani qui dort. Thé et prière, écourtée ou normale. Débat ente le guerrier et le marabout, « re-signe » des temps. Vers quinze heures, nous voilà à reprendre la route vers Nouakchott. Les somptueuses maisons des anciens cadres de l’époque Taya défilent, à notre traversée de la ville. Sidi Mohamed, l’ancien fédéral du PRDS, déclare nostalgique : « C’est une des meilleures choses que Maouiya a faites que d’avoir ordonné, aux cadres de son régime, d’aller construire chez eux ». Au retour, Ahmed remet la climatisation. Reprise des hostilités. Un compromis est cependant trouvé : Sidi Mohamed se place sur le siège arrière. Moi à côté d’Ahmed. La voiture roule à vive allure. Nous écoutons de la musique. La grande star Dimi mint Abba, puis feu Mohamed Abderrahmane ould Engtheï et l’adorable Aïcha mint Mohamed Ely… Après trois heures de route, nous arrivons à Nouakchott aux environs de dix-huit heures. Avec le sentiment du devoir accompli.

Sneba El Kory