Justice mauritanienne : une indépendance proclamée mais encore fragile

18 December, 2025 - 12:33

La Constitution mauritanienne affirme sans ambiguïté le principe de la séparation des pouvoirs et consacre l’indépendance de la justice. Pourtant, dans la pratique, les mécanismes de nomination des magistrats et certaines pressions exercées sur les juges continuent de susciter des interrogations légitimes quant à l’autonomie réelle du pouvoir judiciaire.
Sur le plan juridique, le cadre constitutionnel est clair. L’article premier de la Constitution révisée en 2017 précise que la Mauritanie est fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs. Les articles 80 à 94 organisent l’autorité judiciaire et proclament son indépendance. L’article 82 affirme explicitement que l’autorité judiciaire est indépendante, tandis que l’article 83 confie au président de la République le rôle de garant de cette indépendance, sans pour autant lui reconnaître un droit d’ingérence dans les décisions des juges.
La création du Conseil supérieur de la magistrature, prévue à l’article 89, vise également à protéger l’autonomie du corps judiciaire. Cet organe est chargé de la nomination et de la discipline des magistrats et est, en théorie, indépendant. À cela s’ajoutent des garanties légales, notamment la loi organique de 2018, qui renforce l’inamovibilité des juges et limite les sanctions arbitraires. La Cour suprême, quant à elle, dispose du pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois, y compris celles émanant de l’exécutif.
Cependant, ces garanties formelles se heurtent à des réalités plus complexes. Plusieurs rapports internationaux, dont celui du Département d’État américain en 2023, évoquent des pressions politiques sur les magistrats dans des affaires sensibles, notamment celles liées à la corruption ou aux droits fondamentaux. Certaines affaires emblématiques ont également mis en lumière les limites de l’indépendance judiciaire, lorsque le contexte politique et social semble peser lourdement sur les décisions de justice.
Par ailleurs, le rôle du pouvoir exécutif dans les nominations demeure un point de fragilité. Le président de la République nomme le président de la Cour suprême ainsi qu’une partie des membres du Conseil supérieur de la magistrature. Cette situation, bien que conforme à la Constitution, alimente le soupçon d’une influence indirecte sur le fonctionnement de la justice, en particulier dans les dossiers à forte portée politique.

Arsenal juridique solide

En résumé, la Mauritanie dispose d’un arsenal juridique solide consacrant l’indépendance du pouvoir judiciaire. Mais entre les principes proclamés et leur mise en œuvre effective, un écart persiste. L’indépendance de la justice ne se mesure pas seulement à la qualité des textes, mais à la capacité des institutions à résister aux pressions et à garantir aux juges une liberté réelle dans l’exercice de leurs fonctions.
Les réformes annoncées ces dernières années pourraient constituer une avancée importante. Leur succès dépendra toutefois d’une volonté politique sincère et d’une application rigoureuse, seule capable de transformer l’indépendance juridique en une indépendance pleinement vécue par les citoyens.
Dans ce contexte, il convient toutefois de souligner un signal politique positif. Lors de son dernier discours et à l’occasion de ses toutes récentes visites à l’intérieur du pays, le Président de la République, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, a clairement marqué sa volonté de rompre avec certaines pratiques héritées du passé. Son refus explicite des accueils organisés par des groupes tribaux ou des clans cherchant à imposer des démonstrations d’allégeance rappelle une orientation nouvelle, en rupture avec les politiques de mise en scène tribale qui avaient caractérisé l’ère de l’ex-président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya.
Cette posture mérite d’être saluée. Elle traduit une volonté d’affirmer l’autorité de l’État au-dessus des appartenances claniques et d’encourager une culture politique fondée sur les institutions plutôt que sur les loyautés personnelles ou tribales. Une telle démarche, si elle se confirme dans la durée, peut contribuer à assainir la vie publique et à créer un environnement plus favorable à l’indépendance réelle des institutions, y compris celle de la justice.
Nous ne pouvons que nous en féliciter, en espérant que cette orientation s’inscrive durablement dans une vision globale de renforcement de l’État de droit et d’égalité entre tous les citoyens.

Eléya Mohamed
Notes d'un vieux professeur