
Le choix de consacrer la présente contribution au Dialogue National à l’esclavage est dicté par l’importance humaine et politique de ce dossier et à sa transversalité avec les autres thématiques inscrites dans la feuille de route, en particulier la gouvernance des ressources publiques, les partis politiques et la consolidation de l’unité nationale et de la cohésion sociale. Je proposerai à cet effet quelques repères introductifs suivis d’esquisses d’orientations sur les réformes envisagées.
I. Repères introductifs à la thématique de l’esclavage
Les repères que je propose pour le traitement de cette thématique sont les suivants :
* Un rappel de la solution unique de lutte contre les séquelles de l’esclavage dans notre société, à savoir l’intégration sociale en société musulmane.
* Les principales modalités envisageables pour la mise en œuvre de cette solution, à savoir la législation et la prise en compte des séquelles de l’esclavage dans la gouvernance des ressources publiques aux fins d’intégration sociale des descendants d’esclaves ou Haratines.
Je ferai ensuite, en référence à ces repères, un bref rappel de l’action de l’Etat et de l’appropriation politique de ses retombées.
Rappel de la solution de la problématique de l’esclavage dans notre société
L’esclavage a existé et a été vécu sans heurts au sein des quatre nationalités de notre pays, dans l’optique d’extinction progressive prescrite par notre religion commune, l’Islam. Les recherches contemporaines en sciences sociales et les réflexions sur ce phénomène et sur les formes connexes de ségrégation de par le monde, notamment contre les noirs aux USA, concluent toutes que la solution à la problématique de l’esclavage, à l’échelle d’un Etat, est l’intégration des victimes en leur octroyant leurs droits civiques, confortés par une discrimination positive de mise à niveau.
Cette option adoptée actuellement comme solution la mieux au point aux clivages sociaux dans les grands pays multi-ethniques et a passé féodal d’Europe notamment, n’est en fait autre que celle que nous avons, en synthèse, dans la législation musulmane. En effet, le dispositif de préceptes, de règles et de mécanismes sociojuridiques du droit musulman prennent harmonieusement en charge la libération des esclaves et l’intégration, par l’accomplissement, de leurs descendants. Le système institutionnel et juridique assure en outre, subtilement à tous les affranchis, l’expurgation instantanée de la charge psychique et émotionnelle dont ils ont besoin également d’être libérés.
Il en découle que toute solution séparatiste et donc de déchirement du corps social ne peut être tolérée.
Esquisse de bilan sommaire de l’action de l’Etat face à l’esclavage
Il peut être soutenu que l’Etat Mauritanien a, depuis sa création en 1960, inscrit son action de lutte contre l’esclavage dans l’optique de continuité du processus évolutif susmentionné d’éradication. L’accession des citoyens affranchis aux services publics naissants s’étant ensuite faite dans les mêmes conditions que le reste de la population qui était aussi démunie, pour la plupart, que les anciens esclaves et leurs maîtres.
Au registre législatif, la loi de 1981 a dans ce cadre, posé l’acte d’abolition de l’esclavage et la loi de 2007 autorisé la poursuite pénale des pratiques esclavagistes.
En matière de gouvernance, d’importants investissements ont été consacrés à la lutte contre les séquelles de ce fléau avec une série de programmes et d’administrations dédiés de missions.
Appropriation politique des retombées de la lutte contre les séquelles de l’esclavage
Les constats ci-après ressortent de la chronique des trois dernières décennies :
* Que les partis politiques naissants se réclamant de la sensibilité Haratine se sont le plus appropriés les retombés politiques de l’action étatique de lutte contre l’esclavage. Avec l’ouverture démocratique des années 1990, l’éclosion de ces partis et mouvances associées a été en fait l’une des priorités des pouvoirs publics, intéressés en période d’exception, par la naissance d’un microcosme politique qui puisse légitimer le processus de normalisation de la vie publique.
Les ressources considérables allouées à la lutte contre les séquelles de l’esclavage ont ainsi contribué, à travers les différents linkages socio-politiques, à la création et la crédibilisation de partis et groupes positionnés en représentants de cette sensibilité lesquels ont, tour à tour, cueilli les dividendes électoraux de ce rôle. Le développement de ces formations politiques est donc redevable à l’action de l’Etat dont les dirigeants ont par ailleurs à cette époque, régenté l’émergence concomitante d’une véritable classe montante de leaders haratines de différentes générations.
J’écrivais à ce sujet au début des années 1990 dans mon article intitulé « la condition Haratines » paru dans le journal Al Bayane ancêtre du Calame : « Dans le tumulte de la décennie écoulée, le régime militaire a ainsi favorisé l'éclatement de l'élite Haratine en autant de formations qu'il a tour à tour associées au pouvoir dans le but d'atténuer la colère populaire...».
* L’évolution politique de cette sensibilité a été marquée au cours des années suivantes par des signes notoires de dévoiement de la cause Haratine notamment dans le discours incendiaire contre la triptyque Etat, Société et Islam Malékite, prise à tort à partie comme responsable la « dette » du passé esclavagiste. Les excès enregistrés à cette époque ont culminé en 2012 avec la profanation publique des classiques Malékites dont les auteurs demeurent redevables d’excuses et de repentir !
La question qui se pose au vu de ce qui précède est de savoir quelle approche adopter pour réussir l’intégration sociale en optimisant les investissements alloués à la lutte contre les séquelles de l’esclavage d’une part et recadrer d’autre part le mandat et les responsabilités des acteurs politiques pour prévenir les risques d’abus susceptibles d’être commis au nom de la cause Haratine.
II. Suggestions de cadrage des réformes envisageables
En matière de gouvernance des ressources publiques, la principale leçon tirée de l’expérience est que l’emploi des ressources allouées à la lutte contre les séquelles de l’esclavage devra être centré sur l’objectif stratégique de réussir l’intégration sociale des populations haratines en adéquation avec les spécificités ethnoculturelles des différentes régions du pays. La réflexion devra à cet effet porter sur les modes appropriés de canalisation de ces investissements à travers les structures de développement local. L’avantage escompté de cette approche est que les produits de la réforme parviennent aux destinataires et favorisent, simultanément, l’émergence d’élus locaux représentatifs. L’outil approprié à cet effet, est l’élaboration d’une stratégie dédiée, associant les représentants des bénéficiaires.
S’agissant du recadrage du mandat et des responsabilités des partis politiques, une revue du cadre juridique régissant les partis est nécessaire. Cette revue sur laquelle je reviendrai dans ma prochaine contribution à ce dialogue, devra porter sous l’angle de notre thématique, sur le contrôle de l’usage de l’espace de libertés d’expression, d’organisation et de financement acquis à ces formations, en termes de contenu, de légitimité et de limites. L’objectif étant de mieux définir les responsabilités et prévenir les abus et débordements pouvant porter atteinte à la sécurité publique, l’unité nationale et la cohésion sociale. L’outil adapté à cet effet est, au terme du dialogue, la législation de l’Etat, œuvre commune du Parlement et des organes gouvernementaux et consultatifs compétents de la République.




.gif)








.gif)