La gabegie invincible ?

27 November, 2025 - 00:47

C’est en 1978, date du premier coup d'État militaire en Mauritanie, que fut solennellement déclarée la lutte contre la gabegie, à travers un discours enthousiaste de la junte militaire fraîchement débarquée au palais présidentiel. Et, comme les militaires sont formés pour lutter, ils avaient, avec eux, un bon paquet d’autres luttes à mener : contre la désertification, contre l'analphabétisme, contre la pauvreté… Et, comme dans chaque lutte il y a un vainqueur et un vaincu, il semble bien, hélas, que la gabegie et ses corollaires soient demeurés invincibles. Pire : devenus à la mode, les voilà sources de fierté, d'influence et même de concurrence entre les « responsables », s’exhibant sans vergogne lors des « visitations » présidentielles et les élections. Voilà chacun affairé à montrer ses muscles, mobilisant moult moyens logistiques et voitures tout-terrain indûment acquises, le plus côté et respecté se jugeant le plus à même d’obtenir plus haute redevance du pouvoir. Lesdites visites constituent le moment fort pour exposer la partie visible des biens détournés ; l'autre partie, invisible, dissimulée sous le foncier, se retrouvant investie dans des villas somptueuses en Turquie, aux Émirats Arabes Unis, en France, en Espagne, au Maroc, au Sénégal, en plus de celles érigées à Nouakchott et à Nouadhibou.

Si la Mauritanie est réellement engagée, par la voix de son Président, à lutter contre la gabegie et la mal- gouvernance, il faut commencer par changer la stratégie de lutte, sinon les lutteurs, voire les deux à la fois, afin de prendre des mesures audacieuses, patriotiques, justes et équitables, en vue d’obtenir les résultats concrets tant espérés par le peuple mauritanien. Cela exige, a priori, la révision de tous les accords relatifs aux extractions des richesses du pays, visant à augmenter la part de la Mauritanie dans chaque clé de répartition afin d'obtenir plus d’impacts sur le plan économique et social. Il faut également procéder à la restitution des biens mal acquis, à travers un inventaire sans parti pris de toutes ces propriétés, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur du pays, et leur vente aux enchères. Les fonds issus de cette opération doivent être logés dans une banque d'investissement pour financer exclusivement les projets et les initiatives des jeunes déshérités qui n'ont pas pu, faute de moyens, quitter le pays et continuent de vivre dans le chômage et la précarité.

Mais le succès de tout cela réside surtout dans l'ancrage de l'intégrité, de la compétence et de l'excellence, en s’attachant à trouver des mains propres pour assurer la gestion de ces fonds. Gestion des ressources humaines, pierre angulaire de la gestion globale : on voit ici l'ampleur de la gabegie dans ce domaine, tant l’irrespect de l'adéquation profil-emploi est de rigueur chez nous. C'est, en fait, une des principales causes de la mauvaise gouvernance… Plus que jamais, il faut instaurer un système de suivi-évaluation performant activant le principe de la sanction et de la récompense. Il s’agit de faire comprendre, à ceux qui jugent toute fonction principalement synonyme d'avantages personnels, que leur emploi leur exige obligations et responsabilité envers la Patrie. En tout cas, une chose est sûre : tant que nos régimes continueront à recycler les responsables de la gabegie, aucun développement ne sera possible, quelles que soient les richesses dont nous disposons. Tout le monde souhaite que la nouvelle lutte contre la gabegie et ses corollaires se distingue des précédentes et qu'elle aboutisse au bien-être de la Mauritanie, à sa stabilité, à sa prospérité et à sa renommée.

 

Mohamed Ahmed Cheikh

Ingénieur