Le taux de change flexible et les risques d’inflation en Mauritanie.Par Isselmou Ould Mohamed Taleb, Statisticien-économiste

17 November, 2025 - 08:31

La Banque Centrale de Mauritanie, en accord avec le FMI, s’est engagée depuis deux années dans un processus dont la finalité est de parvenir à appliquer un système de change plus flexible, pudiquement appelé « souplesse». De quoi s’agit-il ? En général, on recourt à une réforme du régime de change quand on estime que la monnaie nationale est surévaluée par rapport au prix d’équilibre du marché. Selon le FMI, trois raisons principales peuvent justifier un assouplissement du taux de change : 1) l’épuisement des réserves de change et la surévaluation du taux de change ; 2) la vulnérabilité aux chocs externes ou 3) l’impératif de moderniser le cadre de la politique monétaire et d’évoluer vers un régime de ciblage de l’inflation.

 

Quels sont les avantages attendus ?

En théorie, mettre en œuvre un système de taux de change plus flexible présente les avantages ci-après, d’un point de vue macroéconomique : 1) rendre une plus grande cohérence entre le taux de change et les équilibres fondamentaux de l’économie nationale ; 2) absorber les chocs et atténuer la volatilité macroéconomique et financière[1] ; 3) préserver le niveau des réserves extérieures ; 4) renforcer la compétitivité, l’autonomie et la souplesse nécessaires à la politique monétaire pour répondre aux chocs. On peut aussi s’attendre à réaliser l’équilibre du compte courant et améliorer ainsi la confiance dans la monnaie nationale.

 

Quels sont les risques encourus ?

Le passage à un régime de change flexible présente de réels risques d’inflation, de baisse de la valeur de la monnaie nationale (risque de change), d’accroissement des coûts de remboursement de la dette extérieure (coût plus élevé). Il existe en outre un risque de détérioration des bilans des banques.

 

Quelles sont les mesures préconisées pour réduire les risques ?

C’est à travers la politique monétaire qu’il est possible, du moins en théorie, de parvenir à une inflation plus faible et plus stable. Les risques de change encourus par les secteurs public et financier ne pourront être techniquement atténués durablement que par un approfondissement du marché intérieur des titres publics et par un resserrement des positions nettes ouvertes de change (banques). Depuis la fin de l’année 2023, la BCM encadre le marché interbancaire des devises à travers une bande de fluctuation quotidienne. Celle qui était en vigueur le 18 Décembre 2023 oscillait pour le dollar entre 37,02 (cours minimum) et 40, 94 (cours maximum) et le cours de référence valable jusqu’au 18 Décembre 2023 se situait à 39,43 et celui de l’Euro à 43,23. Au 13 novembre 2025, le cours central de la BCM se situait à 46,03 MRU pour 1 Euro et 39,63 MRU pour 1 dollar. Il y a lieu de rappeler que le taux moyen en 2008 était de 24,13 MRU/1USD (35,48 MRU/1Euro) et 36,7 MRU contre 1 USD en 2019.

 

Quelles sont les conditions pour la réussite de cette politique ?

Le passage à un régime de change flexible nécessite une préparation minutieuse et des conditions favorables. Parmi ces conditions, on note l’existence d’un secteur financier sain et des marchés monétaires et de change qui fonctionnent correctement ; un resserrement des taux d’intérêt en plus d’un contrôle efficace de la liquidité ; un marché monétaire interbancaire et des changes interbancaires surveillés et non biaisés (échanges fluides) ; un système d’audit et des contrôles rigoureux des intermédiaires agréés, notamment des banques primaires (compétence, moralité des inspecteurs et sanctions dissuasives) et la mise en œuvre de modèles de prévision macroéconomique efficaces dont en particulier la définition d’objectifs réalistes en matière d’inflation. Il est permis de douter que ces conditions pourront être réunies en Mauritanie.

 

Existe-il d’autres pistes à explorer ?

Au-delà des conditions techniques ci-dessus énumérées et qui, effectivement peuvent atténuer les poussées inflationnistes conjoncturelles, il est nécessaire de s’attaquer aux problèmes de fonds. Ceux-ci concernent avant tout la réduction du déficit structurel de la balance des transactions courantes dont le niveau officiel moyen se situe autour de 10% du PIB entre 2019 et 2024. Il est la conséquence des réalités économiques et sociales du pays : une très faible compétitivité et un cadre concurrentiel défaillant. Il en résulte que le pays importe l’essentiel de ses besoins et n’exporte pas suffisamment de biens et de services pour les couvrir. En outre, les insuffisances de la gouvernance ne permettent pas de réduire le niveau des importations pour l’adapter aux besoins réels et d’optimiser les revenus générés par les secteurs d’exportation, notamment les industries extractives et la pêche.

 

Quelles perspectives à court et moyen terme ?

Toute insuffisance par rapport à l’une ou l’autre des conditions sus énumérées se traduira par une perte de valeur de la monnaie nationale et se répercutera inéluctablement sur les prix des denrées importées. Un grand effort de communication et d’assurance devra être adressé aux opérateurs et à l’opinion publique pour réduire les risques de perte de confiance et de spéculation.

 

En conclusion :

Depuis près de quatre décennies que les rapports, programmes et facilités sous diverses appellations se succèdent. Les prescriptions se ressemblent mais toutes s’attaquent aux symptômes. Les diagnostics sont généralement bien posés mais les solutions préconisées s’attaquent rarement aux problèmes de fonds. Ces problèmes convergent tous vers un seul et même défi : la gouvernance dans toutes ses dimensions… 

 

[1] Notamment les fluctuations des cours des matières premières