
Le Calame : Le président de la République vient de lancer, depuis Néma, un programme d’urgence pour l’accès aux services dans toutes les régions. En quoi consiste-t-il et quels impacts les populations rurales peuvent-elles en attendre ?
- Mohamed Yahya Horma : Le Programme d’urgence pour l’accès aux services comporte huit composantes et deux zones spatiales d’exécution : celle de Nouakchott réalisée à environ 70% et celle à l’intérieur du pays, dont le démarrage effectif a été effectué, hier (jeudi 6 novembre), à partir de Néma au Hodh Ech-Charghi, pour l’ensemble du pays, en synchronisation avec les autres capitales de wilayas. Monsieur lepPrésident de la République, Son Excellence Monsieur Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, a procédé à son lancement officiel. Ce programme a été conçu par le gouvernement du Premier ministre monsieur Mokhtar Ould Djay, conformément aux directives et orientations de Son Excellence monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazouani.
C’est un programme majeur par son volume et par la diversité de ses composantes qui répondent aux besoins vitaux en services et infrastructures de soutien au développement local. L’enveloppe budgétaire, tant à Nouakchott que dans les wilayas, est inédite (270 milliards de MRO), à mettre en œuvre sur une période très courte. Et il y a, dans l’agenda du gouvernement, d’autres projets de grande importance, déjà annoncés par le Premier ministre, qui s’emboîteront avec ce programme. Celui-ci et les suivants changeront vraisemblablement la face du pays et amélioreront la qualité de vie des citoyens, notamment dans les zones de précarité et de sous-équipement. Il présente la particularité unique d’avoir été élaboré de façon interactive avec les élus et les citoyens. Il fait l’objet d’une conception et d’un suivi rigoureux et permanent, ce qui permet d’espérer un résultat global de réalisation satisfaisant.
- Depuis quelques semaines, le débat politique est focalisé sur la publication du rapport de la Cour des Comptes et surtout sur les mesures prises par le gouvernement pour sanctionner les présumés auteurs de fautes de gestion. Que pensez-vous de ce geste des autorités mauritaniennes ?
- La cour des Comptes est l’institution supérieure du Contrôle des Finances publiques, conformément à la Constitution et à la loi Organique 2018-032. Elle a rendu et publié son rapport de contrôle de certains départements ministériels, sociétés et établissements publics au titre des années 2022-23. Il s’agit d’une tradition établie depuis l’élection de Son Excellence Monsieur le Président Mohammed Cheikh El Ghazouani, notamment en 2023 pour les années antérieures. La pratique du contrôle est, en soi, saine et positive en son double impact correctif et normatif. C’est la conséquence du principe de recevabilité qui s’applique aux comptables publics et autres gestionnaires de fonds et de biens publics.
Exhaustif, documenté et analytique, ce rapport est de très bonne facture. Je ne suis pas sûr que beaucoup de gens ont eu le temps ou la volonté de l’examiner dans sa globalité. Voyez, à cet égard, l’absence totale d’opinions sur la partie ressources (fiscalité, impôts, taxes, droits de douane). Il est cependant vital, dans le cadre de la loi des finances, de prévoir un niveau de ressources fiscales et non-fiscales, sous la double contrainte d’un niveau de prélèvements obligatoires incitatif et global et de la nécessité, pour l’État, de disposer d’un niveau de recettes couvrant ses besoins pour faire face à ses missions.
Au demeurant, il convient de noter que les ressources de l’État étaient en progression significative, au titre des années objet de l’intervention de la Cour, et cela n’est pas moins important que les écarts signalés, çà et là, sur la dépense publique. L’évasion et la fraude fiscales, l’évitement du règlement de redevances et autres royalties sont autant de pratiques éminemment préjudiciables au budget de l’État mais qui échappent aux appréciations de ceux qui s’intéressent, à juste titre, à l’évaluation globale de celui-ci. La plupart des gens se sont fourvoyés dans la partie relative à l’exécution des dépenses.
La Cour a signalé un nombre relativement important de fautes de gestion. Le gouvernement a jugé utile de dénommer certains responsables concernés, en attendant que la justice examine le fond des dossiers du contrôle. D’ores et déjà, la procédure préliminaire est enclenchée, avec rigueur et souci de justice. La focalisation de l’opinion publique que vous évoquez sur le sujet était, pour partie, imputable à un contexte international caractérisé par une vague protestataire contre la gabegie et la mauvaise gestion mais, aussi, de la part de certaines sphères qui croyaient disposer d’une fenêtre d’opportunité pour cela, à une utilisation politique qui en a été faite dans l’amalgame et la précipitation. Cela dit, à ce stade préliminaire de la procédure, le gouvernement, la Cour et le Parquet sont dans leurs rôles respectifs.
- La lutte contre la gabegie et la corruption était un engagement-phare du président de la République, lors de son premier mandat, et l’est demeuré lors de son second. Pouvez-vous nous rappeler brièvement les actes et instruments mise en place depuis son arrivée à la tête du pays ? Ont-ils permis d’endiguer ce que d’aucuns qualifient de « cancer pour les deniers publics » ?
- La bonne gouvernance est, depuis quelques décennies, au centre de préoccupations des institutions multilatérales, en tant que mode de gestion universellement préconisé pour les États et les institutions, sur la base d’études et de constats unanimes sur l’effet inhibiteur du développement des pratiques de gabegie, corruption et évasion fiscale. La Mauritanie s’y est engagée depuis plus de vingt ans, dans le cadre de programmes avec le FMI et la Banque Mondiale ; sans grande efficacité, il faut l’avouer. Son Excellence Monsieur le Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani l’a mise au cœur de ses deux programmes électoraux, avec plus de fermeté et développement des instruments et du cadre juridique, dans son dernier Programme « Mon Ambition pour la Patrie ». Il s’est engagé à mener une lutte implacable contre la corruption. Il faut reconnaître qu’il s’agit d’une véritable gageure, tant ce phénomène a gangrené la société et l’État, plombant le développement du pays et de celle-ci.
Il a été identifié comme étant justiciable d’un traitement de cheval, d’une véritable stratégie nationale de lutte contre la corruption qui été adoptée après actualisation l’année dernière. Une autorité indépendante dotée de larges compétences a été fondée cette année. La loi sur la corruption a été réactualisée pour en accroître les dispositions coercitives. Le Code des marchés publics a été modifié, pour réduire les mailles qui permettent de contourner l’objectif d’efficacité, d’égalité et de transparence. L’effet immédiat a été constaté lors de l’attribution de centaines de marchés publics dans le cadre du programme d’urgence pour l’accès aux services à l’intérieur du pays, couvert par une enveloppe inégalée de 270 milliards de MRO. Il n’y a eu quasiment aucune remise en cause des conditions d’attribution. Les critères d’éligibilité et de classification des entreprises ont été modifiés et rigoureusement appliqués au moyen d’une plateforme transparente et donc impersonnelle.
La commande publique objet d’appel à concurrence constitue près de 90% des achats de biens et de services par l’État et la sphère publique dans son ensemble. La quasi-totalité des marchés publics contractés par entente directe l’a été avec des entreprises publiques soumises à l’obligation de recourir à la concurrence, au même titre que l’État. Bien qu’il reste beaucoup d’autres créneaux de corruption et de mauvaise gestion, la sanctuarisation de la masse critique que représente la commande publique objet de marchés publics constitue une avancée majeure que le Premier ministre, monsieur Mokhtar ould Djay, et les structures spécialisées sont en train de réussir et de généraliser, patiemment mais efficacement.
- La lutte contre la gabegie est certes un devoir des autorités mais c’est aussi un combat de tout le monde et de tous les jours. Que doivent faire les partis politiques, associations des droits de l’Homme, de la Société civile mais également des simples citoyens mauritaniens (tous en parlent…) pour contribuer à la croisade contre ce fléau ?
- La lutte contre la corruption et, subséquemment, l’instauration d’une véritable bonne gouvernance constituent des objectifs stratégiques pour le pays, sans lesquels aucun développement durable et juste n’est possible. L’ensemble des formations politiques et du mouvement associatif sont potentiellement les fournisseurs d’idées et les vecteurs de vulgarisation de ces valeurs cardinales du progrès de l’égalité et de la transparence. À El INSAF, nous avons, entre autres activités spécialisées, organisé un colloque de haut niveau de réflexion sous le thème : « La bonne gouvernance entre l’engagement ferme de l’État et l’adhésion sincère des élites ». Cela en dit long sur l’engagement du parti à contribuer à faire bouger les lignes sur cet objectif difficile à réaliser mais qui n’en demeure pas moins un prérequis pour le développement et la justice sociale.
La corruption est un fléau qui gangrène le monde et en particulier notre continent, l’Afrique. Si l’éradication ne peut se faire qu’au moyen d’une stratégie multidimensionnelle et de long terme, on peut en circonscrire l’effet dévastateur en s’attaquant à ses manifestations les plus coûteuses pour l’État et la société. Il n’est pas efficient de s’en tenir au seul pan de la commande publique et de sa rationalisation, sans revisiter les politiques fiscales et le dispositif de mobilisation des ressources (y compris les niches non fiscales). Au centre de tout modèle de développement, il y a nécessairement une réforme fiscale et budgétaire d’envergure.
- Le coordinateur national du dialogue a remis, il y a quelques semaines son rapport au président de la République. Ce faisant, il met fin à la phase préparatoire du processus de dialogue. Comment appréciez-vous le travail fait lors de cette première étape ? Va-t-on vers un dialogue inclusif et constructif, conformément aux vœux exprimés par le président de la République ?
- Le président de la République Son Excellence Monsieur Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a, dans son Programme « Mon ambition pour la Patrie », inscrit l’ouverture d’un dialogue national inclusif et global en objectif central de son second mandat. Pas plus tard qu’hier, à partir de Néma d’où il procédait au lancement du Grand Programme d’urgence d’accès aux services essentiels pour l’intérieur du pays, il a réitéré son invitation aux parties prenantes à s’engager résolument dans la voie du dialogue auquel il les avait invitées, il y a sept mois. Il a respecté son engagement, en annonçant son intention d’inviter la classe politique à y répondre favorablement, sans limite et sans conditions, pour essayer de trouver des pistes de solutions aux grandes questions qui plombent la cohésion et l’unité nationales.
Un coordinateur national, monsieur Moussa Fall, homme d’expérience, d’ouverture et de connaissance fine du microcosme politique, a été désigné pour le superviser à des fins préparatoires et exploratoires. Il a abattu un travail de grande qualité et organisé mille sept cents entrevues avec des formations politiques, des associations et des leaders sociaux. Il a rendu son rapport général au chef de l’État, Son Excellence le Président Mohamed ould Cheikh El Ghazouani, il y a quelques semaines. Un cadre général assorti d’une feuille de route a été élaboré, soumis aux parties prenantes et modifié en fonction de leurs observations. Quelques partis, associations et personnalités de l’opposition continuent à s’accorder un temps de réflexion, notamment sur les conditions préalables, avant d’annoncer leurs positions définitives par rapport à ce projet. C’est, quelque part, un remake de situations déjà connues lors de tentatives antérieures. À ce stade, je crois savoir que la Majorité et les partis les plus importants au sein de l’Opposition seraient disposés à s’engager dans un grand dialogue national. Nous formons le vœu que ceux qui hésitent encore franchissent le Rubicon pour que les forces vives du pays se mettent toutes autour d’une table pour discuter, de façon positive et proactive, des problèmes nationaux et de leurs solutions. Ils n’en sortiront que grandis et respectés.
- En attendant, l’AJD-MR et le RAG non reconnu de Biram Dah Abeïd ont choisi de rester en marge du processus. Qu’en pensez-vous ? En plus du coordinateur, les autres partis politiques – comme INSAF, par exemple – ne peuvent-ils pas jouer les bons offices pour l’inclusivité du dialogue ?
- Pour être rigoureux sur les positions publiques, je crois savoir que l’AJD-MR a notifié au coordinateur national son intention de ne pas y participer. Cette décision a, semble-t-il, été prise à la majorité de leur instance délibérante, à l’issue d’un débat interne assez intense. Je pense qu’avec les autres parties, il y avait une dynamique très intense elle aussi et j’espère qu’elle finisse par aboutir à un résultat positif car c’est l’intérêt de tout le monde et du pays.
- Lors de sa rencontre avec la presse, le coordinateur national Moussa Fall a indiqué que les thèmes des acteurs rencontrés se recoupaient tous et que cela pourrait faciliter les compromis et donc concourir à la réussite du dialogue. Partagez-vous son optimisme ? Et pouvez-vous nous rappelez brièvement les thèmes- phares que les partis de la majorité avaient soumis au coordinateur ?
- L’exercice du dialogue, au moins dans ses versions velléitaires qui n’ont pas abouti, la plupart du temps, est un exercice connu dans ses constantes thématiques et dans ses prérequis subsidiaires. En gros, trois thèmes majeurs, se déclinant en sous-thèmes, font l’unanimité des formations politiques historiques et aussi de celles qui ont vu le jour plus récemment : renforcer l’unité nationale et la cohésion sociale ; consolider le système démocratique ; améliorer la qualité de la gouvernance publique.
- À en croire certaines informations ou rumeurs, l’État va octroyer des « réparations » aux associations représentatives des victimes des évènements 89-91. L’objectif est de solder le dossier du passif humanitaire qui devrait, selon le coordinateur du dialogue, occuper une bonne place parmi les thèmes proposés. Que pensez-vous du geste du président de la République qui, au lendemain de son élection en 2019, s’était engagé à trouver une solution consensuelle à ce dossier avec les intéressés ?
- Le président de la République, Son Excellence Monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazouani a eu, dès qu’il s’est déclaré candidat, comme priorité inscrite dans ses deux programmes, le parachèvement du règlement des aspects réparatoires portés par les associations des ayants droit des victimes des douloureux événements de 1989-91. Les contacts à ce sujet et les discussions n’ont jamais été interrompus, même s’il y a eu des périodes de suspension consacrées à la concertation et à la maturation des pistes de solutions. La disponibilité du Président a toujours été constante et sincère.
- Depuis le dernier remaniement du gouvernement, le président de votre parti a été nommé ministre. Du coup, El INSAF est sans président. Comment gérez-vous cette phase ? Quand le nouveau président sera-t-il désigné ?
- Le frère Sid’Ahmed ould Mohamed est naturellement le président d’El INSAF, fonction qu’il exerce avec engagement et abnégation. Il vient, comme vous le savez, des rangs du parti dont il fut membre du Bureau exécutif, de 2019 jusqu’à son élection à sa présidence. Son entrée au gouvernement n’est pas du tout exclusive de sa fonction politique. Les précédents existent, vous pouvez vous y référer.
Propos recueillis par Dalay Lam




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