De l'alliance à la rupture : le grand chambardement politique mauritanien

9 October, 2025 - 01:20

Ils furent un jour frères d’armes, complices d’un coup d’État et architectes d’une décennie de pouvoir. Pourtant, aujourd’hui, l’un, Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien président au tempérament bouillant, purge une lourde peine de prison ; tandis que l’autre, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, son successeur à la réputation d’homme lucide et mesuré, règne désormais sur le palais présidentiel.

Le contraste est saisissant. Toutefois, la tragédie politique qui se joue ne saurait être réduite à de simples différences de caractère : il s’agit bien d’une métamorphose du pouvoir, où les liens les plus solides se brisent sur l’autel de la realpolitik.

 

La bataille pour l’âme du parti

 

La rupture consommée entre les deux hommes a eu pour épicentre la lutte acharnée autour du contrôle de l’Union pour la République (UPR), le parti au pouvoir. En effet, peu après son retour d’exil en novembre 2019, Mohamed Ould Abdel Aziz convoqua les dirigeants de l’UPR et se proclama son unique « référent », une qualification qui devait lui permettre de conserver une influence décisive dans l’appareil politique. Or, cette manœuvre fut perçue comme une tentative manifeste de reconquête.

La réponse de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, quoique mesurée dans la forme, n’en fut pas moins cinglante dans le fond : en l’espace de quelques jours, une écrasante majorité des députés du parti lui apporta un soutien sans équivoque, le consacrant ainsi comme le seul maître à bord et laissant son prédécesseur dans un isolement politique quasi-total.

 

 Les figures de l’ombre : les frères Mohamed Khouna

 

Cependant, au-delà du duel des deux présidents, le paysage politique reste animé par des figures influentes, dont les fidélités dessinent de nouvelles lignes de fracture.

Cheikh El Avia Ould Mohamed Khouna : ancien premier ministre de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, il fut présenté comme l’artisan du rapprochement avec Israël et accusé par l’Algérie d’avoir contribué à l’échec d'une société conjointe. Aujourd’hui, il occupe la présidence de la Chambre de commerce, nomination qui atteste de sa capacité à se maintenir dans les arcanes du pouvoir économique malgré les bouleversements de régime.

Seyidna Ali Ould Mohamed Khouna : frère du précédent, il incarne, quant à lui, la fidélité indéfectible à Mohamed Ould Abdel Aziz. Cet ancien ministre demeura aux côtés de l’ex-président dans sa traversée du désert, y compris durant son procès, devenant ainsi l’un des derniers piliers d’un cercle en voie de dissolution. Considéré comme son bras droit, il préside aujourd’hui le parti non autorisé de l’ancien président, foyer de résistance politique.

Et chose singulière ! L’attitude des deux frères de sang à l’égard des deux frères d’armes devenus ennemis. Cette symétrie inattendue révèle toute la complexité des liens humains. Car, comme l’expérience l’a maintes fois prouvé, la fraternité biologique demeure un lien profond, presque indescriptible, mais qui peut être reconsidérée lorsque les destins empruntent des voies divergentes. À l’inverse, la fraternité d’armes, fruit d’un choix délibéré et d’un parcours commun, se révèle vulnérable aux retournements du sort, surtout lorsqu’elle se heurte à l’intraitable lutte pour le pouvoir.

 

Le prix de la chute : le procès et l’isolement

 

Dans cette dynamique, le bras de fer judiciaire vint sceller la défaite politique d’Aziz. Poursuivi pour corruption, blanchiment d’argent et enrichissement illicite, l’ancien président fut condamné en première instance à cinq ans de prison. Néanmoins, en appel, la peine fut alourdie à quinze ans de prison ferme, conformément aux réquisitoires du parquet. De surcroît, le tribunal ordonna la confiscation de ses biens ainsi que sa déchéance des droits civiques.

Autour de lui, l’étau se resserra inexorablement. En effet, plusieurs de ses anciens premiers ministres et ministres furent inquiétés, tandis que la dissolution de l’ONG Rahma, fondée par son fils défunt, fut requise. Si certains de ses proches furent condamnés, d’autres, à l’instar de Yahya Ould Hademine et Mohamed Salem Ould Béchir, bénéficièrent d’un acquittement, révélant ainsi les limites de l’épuration.

En définitive, cette affaire dépasse de loin un simple duel personnel. Elle illustre plutôt les recompositions incessantes des élites au pouvoir, où les alliances d’hier deviennent fréquemment les cibles d’aujourd’hui. Certes, la condamnation d’Aziz envoie un message fort sur l’exigence de reddition des comptes ; cependant, elle interroge en profondeur sur les véritables ressorts de cette purge au sommet.

Pour ma part, il me sembla que la page de l’ère Aziz semble désormais se tourner définitivement, écrite à l’encre d’un verdict judiciaire impitoyable. Reste à savoir si cette page se referme sur un chapitre de justice authentique ou bien sur le premier acte d’un nouveau régime d’autorité.

 

Eléya Mohamed

 Notes d'un vieux professeur