Cruelle revanche de la bédouinité/Par Isselmou Ould Abdel Kader, administrateur civil hors-classe

18 September, 2025 - 11:51

Que peut-on penser quand on jette un regard sur les lits d’hôpitaux, sur des classes menaçant ruine où s’agglutinent, comme des sardines dans une boite de conserve, des dizaines d’enfants, sur les rangs de malades quittant par l’embarcadère de Rosso ou par l’aéroport de Nouakchott, sur les agents de contrôle routier entrant la tête dans les cabines de taxis ou des bus, sur les immenses étalages de produits alimentaires périmés, sur les tapis jonchés de billets de monnaie jetés sur les danseurs exerçant leur talent à cent mètres de familles qui n’ont pas mangé ?  

On ne peut qu’en conclure, et peu importe qu’on soit traité de gauchiste, d’extrémiste ou de fou, que nous avons été incapables, nous autres Maures, de construire un Etat. Allons-nous en rejeter la responsabilité sur les autres composantes socio-ethniques du pays ? Ce serait malhonnête, cas nous nous sommes toujours prévalus du fait d’être majoritaires pour justifier la prise en main des rennes du pays. Ce dernier porte, en plus, notre nom après avoir été appelé « territoire des Maures », puis colonie du même nom. Bien plus que cela, nous avons bénéficié de la plus grande partie de la rente du pouvoir, rente que nous avons très mal utilisée, au point qu’elle risque de nous détruire en créant en notre sein une fissure horizontale fatale.

Serons-nous capables d’éviter que la bédouinité prenne sa revanche sur nous avec son lot d’instabilité mentale, de comportements anarchiques, d’assabyya et d’incapacité de nous soumettre aux exigences de fidélité aux règles de la vie en cité ? Personnellement, je suis pessimiste, mais il y a toujours des miracles, même si, dit-on, le déplacement des montagnes est plus facile que le changement de la nature des hommes.

 

Démocratie clonée

L’on peut s’imaginer que le changement dont nous avons besoin demande beaucoup de lucidité, de courage et d’abnégation dont l’Histoire a gratifié de rares hommes qui furent le fruit naturel de peuples lucides et courageux.

Dans la lettre ouverte que je viens d’adresser à Monsieur le Premier Ministre, j’ai essayé d’identifier les principales raisons pour lesquelles une muraille s’est dressée, chemin faisant, entre l’Etat et ses citoyens. Parmi ces raisons figurent la centralisation excessive des pouvoirs, la disparition de la Fonction Publique et du fonctionnariat, pilier permanent de l’Etat, le libéralisme sauvage ayant conduit à la privatisation maladroite de secteurs vitaux, la dissolution des établissements publics qui constituaient les mamelles de l’Etat, la démocratie clonée qui a eu l’effet inverse de renforcer les pouvoirs féodalo-esclavagistes, etc.

Nous ne pourrons pallier les effets dévastateurs de ces choix qu’en nous armant de courage pour les revisiter sans complexe et surtout en ayant égard au fait qu’ils ont été mis en cause par ceux-là mêmes qui les ont adoptés diffusés et vantés. Les principales puissances soi-disant démocratiques sont aujourd’hui les premières à outrepasser les principes de la liberté du commerce et de l’industrie, du respect des droits de l’Homme, de la transparence électorale et de la neutralité de la Puissance publique. Pourquoi devons-nous alors continuer à camper sur les ruines fumantes d’un monde auquel nous ne serons jamais identiques ? Nous avons d’autres référentiels éthiques, culturels et religieux à exhumer et à utiliser, mais il nous faut un minimum de confiance en nous-mêmes et d’imagination adaptative.

Pour cela, nous devons partir, non pas du postulat, mais du fait prouvé, qu’aucun de nos choix, y compris celui de la soi-disant démocratie, n’a été une réponse à une demande objective de notre peuple.

Commençons par restaurer le monopole de l’Etat, sur l’importation des produits alimentaires dont la qualité doit être contrôlée pour protéger nos citoyens contre les produits périmés qui ont causé des milliers de cas de cancer et d’autres maladies graves. Le Commissariat à la Sécurité Alimentaire devra être renforcé par une Agence de Contrôle Sanitaire des Produits Alimentaires. Les Associations de protection des consommateurs que j’ai créées moi-même en 2002 sont subjuguées et deviennent inopérantes.

L’Etat devra subventionner au moins une dizaine de produits de première nécessité et en fixer les prix et les marges bénéficiaires comme du temps de la Société Nationale d’Import-Export (Sonimex) Nous ne pouvons pas, pour faire plaisir aux pays qui ont mis en place l’Organisation Mondiale du Commerce, tuer nos citoyens en nous abstenant de subventionner les produits vitaux, contrairement aux autres pays.

 

Inégalités fatales

 

Dans un autre domaine, il est impératif de séparer la médecine privée de la médecine publique, en interdisant aux spécialistes, sauf contrat bien contrôlé, d’exercer dans les structures de santé publique. Cette séparation devra s’accompagner d’une augmentation notable des traitements des personnels sanitaires de l’Etat. L’Etat doit reprendre aussi le monopole de l’importation et du contrôle des médicaments comme du temps de la Pharmarim, car la plupart des maladies sont dues aux faux médicaments importés par les firmes privées.

Dans le domaine éducatif, l’Enseignement primaire et secondaire privé devra être entièrement supprimé, car ils peuvent engendrer et élargir des inégalités fatales. Que nos enfants se frottent les uns contre les autres, se racontent leurs malheurs et leur bonheur. Que les enfants des familles plus riches sentent l’odeur de la pauvreté et que tous rêvent ensemble du même monde ! Quant à l’Enseignement supérieur et technique, il pourra constituer un champ d’investissement privé.

Le secteur bancaire est une vaste plaie dans le système économique national, si bien qu’il est impératif de reprendre le contrôle des banques par le biais d’une participation majoritaire de l’Etat, que ces institutions soient regroupées et spécialisées au lieu de subir par leur multiplication anarchique, une banalisation fatale.

En matière d’emploi, il est nécessaire de créer une Agence nationale chargée comme par le passé, d’en recenser les demandeurs, d’organiser les concours d’accès aux emplois et de contrôler le respect des principes de transparence et d’égalité des citoyens devant cette opportunité. Une disposition, de préférence constitutionnelle, devra garantir le fait qu’aucun citoyen ne pourra accéder à un emploi public ou privé sans passer par un concours ouvert à tous les candidats légitimes et ayant fait l’objet d’une publicité préalable.

En matière de gouvernance politique, une révision de la Constitution devra, entre autres aspects, fournir l’occasion d’interdire plus de deux ou trois partis politiques et prévoir la création d’une structure supranationale chargée de veiller aux intérêts stratégiques de l’Etat. Cette révision pourra, en outre, réhabiliter la Cour Suprême en lui réattribuant les fonctions dévolues au Conseil Constitutionnel, au Haut Conseil Islamique et au Conseil de la Fatwa. Ainsi, nous aurons réduit et affecté à autre chose de plus utile, les charges budgétaires induites par un système de gouvernance anormalement couteux.

La mise en œuvre de toutes ces orientations requiert une refonte du statut de la magistrature dont personne n’ignore les handicaps et les besoins de redressement. L’on sait en effet, que les réformes des années 1980 n’ont pas renforcé la confiance des Mauritaniens en leur système judiciaire. Au contraire, la croissance du nombre de magistrats à la faveur d’une arabisation accélérée, ne s’est pas accompagnée d’une amélioration qualitative de leur niveau. Se sont ajoutées ensuite, aux effets de cette absence d’accompagnement, les retombées de la marchandisation universelle des valeurs qui a pollué l’ensemble du Service Public.

Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, les Mauritaniens aspirent profondément à un système judiciaire plus crédible et, pour répondre à cette aspiration, il serait utile d’organiser un concours auquel tous les magistrats devront participer et dont la correction sera assurée par des oulémas d’Elazhar et des professeurs tunisiens de droit. Les récipiendaires devront être répartis en trois catégories, soit un tiers à conserver dans les juridictions, un tiers à faire bénéficier d’une formation supplémentaire de trois ans et un tiers à mettre à la retraite avec paiement des salaires au titre de la période restante et un droit à une pension de retraite.

Traiter les problèmes de la Mauritanie autrement, quelle que soit la bonne volonté de ceux s’y livrent, est une tentative ridicule de discuter de comment chasser la fumée sans prêter attention au feu !