Dans les rues de Nouakchott

2 September, 2025 - 23:31

Je ne savais pas vraiment pourquoi j’avais choisi d’emprunter cette rue ce jour-là. Rien ne m’y avait poussé, si ce n’est une curiosité vague, un instinct sans contours. Pourtant, cette décision allait changer mes habitudes, et peut-être bien une part de ma vie. Le quartier m’était inconnu et je m’y engageais à pas prudents, redoutant de buter sur un cul-de-sac.
Tout au fond, je distinguai un groupe de jeunes, assis sur un banc, profitant de l’ombre généreuse qu’offrait le soleil déjà bas. Devant eux, une petite théière, à peine soutenue par des braises mourantes, crachotait son thé vert. Trois verres attendaient, la mousse grimpant jusqu’au bord, comme impatiente d’être bue. La table basse, encombrée, offrait un mélange inattendu : arachides et biscuits secs, mais aussi des paquets de cigarettes et des allumettes abandonnées, témoins muets d’une convivialité simple.
Je pris place parmi eux. Très vite, un plateau de Scrabble posé en équilibre capta mon attention. Mais ce qui dominait, c’était la radio, qui égrenait ses grésillements avant de livrer la voix vibrante de Billy Ocean. Son Loveboy déferlait dans l’air lourd du crépuscule, répétant ce « Yeah » qui avait traversé les années et marqué l’époque où la télévision n’était qu’un privilège rare, réservé aux familles aisées de Nouakchott.
Puis, derrière la musique, surgit une autre voix. Chaleureuse, fidèle, presque familière. Celle de l’animateur qui accompagnait les dimanches de toute une génération. Entre deux titres, il lançait toujours son rituel :
« Du choix à la joie ou le disque des auditeurs, c’est votre serviteur de tous les jours, Mamadou N’Diaye dit Bosco. »
Et il ponctuait, avec un enthousiasme contagieux : « C’est Bosco au micro et du disco à gogo ! »
Le nom du plus grand demandeur de disque,  Sid’Ahmed ould Sidi Oumar dit Richard Hamoudi, revenait toujours sur sa langue.
Je n’avais jamais écouté l’émission en entier. Mais ce soir-là, happé par l’ambiance, je compris sa popularité. Bientôt, je devins un auditeur fidèle, mais seulement lorsque les piles fatiguées du magnétophone ne parvenaient plus à faire tourner la bobine de la cassette et ne pouvaient plus supporter que la radio.
Aujourd’hui encore, le souvenir de Bosco demeure. Un homme intègre, une voix rassurante, un compagnon des heures simples. À travers lui, c’est une Mauritanie entière que j’entends respirer, bercée par la musique, l’amitié et l’amour de son pays.

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