
Accidents quotidiens, routes dégradées, comportements à risques et prise de conscience encore limitée : la sécurité routière s’impose aujourd’hui comme un des défis majeurs pour la Mauritanie. Selon les chiffres officiels et les témoignages d’experts, le pays fait face à une véritable hécatombe, silencieuse mais quotidienne, qui touche toutes les couches de la société. Entre insuffisances structurelles et enjeux de sensibilisation, la lutte pour sauver des vies s’organise mais reste semée d’embûches.
En Mauritanie, les accidents de la circulation sont devenus monnaie courante. Chaque semaine, les media rapportent des collisions parfois spectaculaires sur les grands axes, en particulier la route de l’Espoir Nouakchott-Néma et celles de Nouakchott–Nouadhibou et Nouakchott–Rosso, trois artères vitales mais hélas meurtrières. Selon le ministère de l’Équipement et des transports, plusieurs centaines de décès liés à ces drames sont enregistrés chaque année. Bien qu’officiels, ces chiffres sont probablement sous-estimés car nombre de victimes succombent avant leur arrivée à l’hôpital et certains accidents ne sont jamais signalés. Les responsables des structures hospitalières, aussi bien à Nouakchott qu’à l’intérieur du pays, confient de concert :« Nous recevons chaque jour des blessés de la route. Certains présentent des traumatismes graves, souvent irréversibles. La voiture est devenue en Mauritanie à la fois un outil de mobilité et une menace permanente. »
Entre comportements humains inadéquats et faiblesses structurelles
L’analyse des causes de cette insécurité routière révèle un enchevêtrement de facteurs humains, matériels et institutionnels. Tout d’abord, les excès de vitesse et l’imprudence des conducteurs. Beaucoup ne respectent ni les limitations de vitesse ni les règles élémentaires de prudence. Les dépassements dangereux sont fréquents, notamment sur les routes interurbaines où la visibilité est réduite. L’usage du téléphone au volant et le non-port de la ceinture de sécurité sont également toujours répandus. À Nouakchott, les motos-taxis circulent sans casques, parfois avec deux passagers à l’arrière, défiant toutes les règles de sécurité. La Mauritanie est également confrontée à la vétusté de son parc automobile. Une grande partie des véhicules importés sont de seconde, voire troisième main, parfois âgés de plus de vingt ans. L’entretien est souvent négligé, ce qui favorise les pannes mécaniques et les défaillances techniques, causes fréquentes d’accidents. Si des lois existent, leur application reste aléatoire. Les contrôles routiers sont sporadiques. Le permis de conduire, dans certains cas, peut être obtenu sans véritable formation pratique, ce qui alimente l’incompétence de nombreux conducteurs.
État dégradé des routes
La piètre qualité des infrastructures routières constitue un autre facteur aggravant. Bien que goudronnées, les routes principales souffrent d’un entretien irrégulier : nids-de-poule, signalisation défectueuse ou inexistante, absence de marquage au sol. Sur certaines pistes rurales, l’état de la chaussée rend tout déplacement périlleux. Un chauffeur de transport interurbain témoigne :« Entre Nouakchott et Atar, on roule parfois à l’aveuglette. Les routes sont étroites, sans balises, et la nuit, l’éclairage fait défaut. »
Un coût humain, social et économique alarmant
Au-delà du nombre de victimes, les conséquences des accidents pèsent lourdement sur la société mauritanienne. Chaque décès sur la route est une tragédie pour une famille, voire plusieurs. Dans un pays où la solidarité familiale est centrale, la perte d’un père, d’une mère ou d’un jeune étudiant plonge des ménages entiers dans la détresse. Selon les estimations de la Banque mondiale, les accidents de la route coûtent entre 2 et 5 % du PIB dans les pays en développement. Pour la Mauritanie, cela représente des milliards d’ouguiyas chaque année, en raison des frais médicaux, des pertes de productivité et des dégâts matériels. Les établissements de santé, déjà fragiles, sont submergés par les victimes de ses accidents. Les services d’urgence du Centre hospitalier national ou de l’hôpital de Nouadhibou enregistrent quotidiennement des blessés graves, ce qui mobilise des ressources humaines et financières considérables.
Les réponses publiques : entre volonté politique et limites pratiques
Face à cette situation préoccupante, les autorités mauritaniennes ont multiplié les initiatives au cours des dernières années. Chaque année, des campagnes de sensibilisation sont organisées autour de la Journée africaine de la sécurité routière. Spots télévisés, panneaux publicitaires et conférences tentent de rappeler aux citoyens l’importance de respecter le code de la route. Cependant, ces initiatives restent souvent ponctuelles et peinent à provoquer un changement durable des comportements.
La Mauritanie a adopté des textes pour renforcer la réglementation : obligation du port de la ceinture de sécurité, interdiction de téléphoner en conduisant, sanctions pour excès de vitesse. Mais l’application demeure inégale, faute de moyens logistiques et d’une volonté ferme d’imposer la loi. Le gouvernement a également lancé des projets de réhabilitation des routes nationales et d’élargissement de certains axes. La construction de la route de l’Espoir, reliant Nouakchott à Néma, a constitué un progrès majeur. Toutefois, l’entretien reste un défi majeur.
La société civile en première ligne
Au-delà de l’action gouvernementale, des associations et ONG locales jouent un rôle croissant dans la sensibilisation. Des campagnes ciblent les écoles et universités pour inculquer, dès le plus jeune âge, les règles de sécurité routière. L’objectif est de former une génération plus consciente et respectueuse du code de la route. Certaines associations apportent un soutien psychologique et financier aux familles endeuillées par les accidents. Elles militent également pour une meilleure prise en charge médicale et une politique de prévention plus ambitieuse.
Comparaison régionale : la Mauritanie à la traîne
Si la situation est préoccupante en Mauritanie, elle s’inscrit dans une tendance régionale. L’Afrique subsaharienne détient le taux de mortalité routière le plus élevé au monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cependant, certains pays voisins comme le Sénégal ou le Maroc ont amorcé des réformes plus structurantes, avec la mise en place d’agences nationales de sécurité routière, dotées de budgets et de stratégies pluriannuelles. La Mauritanie pourrait s’inspirer de ces modèles pour franchir un cap.
Quelles solutions ?
Face à ce constat alarmant, plusieurs pistes s’imposent pour améliorer durablement notre sécurité routière : renforcer la formation des conducteurs, en instaurant un examen rigoureux pour le permis de conduire, avec des cours pratiques obligatoires ; moderniser le parc automobile, en encourageant l’importation de véhicules plus récents et en instaurant un contrôle technique strict ; réhabiliter et entretenir les routes en investissant dans la signalisation, l’éclairage public et la sécurisation des axes accidentogènes ; durcir les contrôles en équipant la police routière de radars modernes et en instaurant des sanctions dissuasives ; éduquer et sensibiliser en intégrant l’éducation routière dans les programmes scolaires et en multipliant les campagnes ciblées ; fonder une Agence nationale de sécurité routière, structure autonome chargée de coordonner toutes les actions, avec un budget et des objectifs mesurables.
La sécurité routière en Mauritanie n’est pas seulement une question de transport mais un enjeu de santé publique et de développement national. Chaque accident représente une perte de vie, un traumatisme familial et un frein à la prospérité du pays. Le défi est immense mais pas insurmontable. Avec une volonté politique affirmée, une implication de la Société civile et un changement profond des comportements, la Mauritanie peut espérer inverser la tendance et sauver des milliers de vies sur ses routes dans les prochaines années.
THIAM Mamadou