Les élites françaises, le terrorisme et les caricatures (2) / Par Ahmedou Ould Moustapha

12 March, 2015 - 01:22

Suite aux attentats terroristes contre Charlie Hebdo, le 11 janvier dernier, bon nombre de figures politiques et intellectuelles françaises ont versé dans des surenchères ou délires  islamophobes jamais atteintes en France. Monsieur Ahmedou Ould Moustapha  en a sélectionné quelques unes de ces figures, les plus emblématiques,  pour leur opposer une réponse graduelle, à cinq niveaux,  afin de permettre aux lecteurs de mieux comprendre les vraies raisons de ce sentiment de haine contre l’Islam, distillé dans la société française bien avant ces attentats, qui  constituent une sinistre occasion d’amplification, par les organismes sionistes qui l’entretiennent et qui  exercent à cet effet une influence de plus en plus évidente sur les médias de façon générale et sur les politiciens français en particulier, si bien que des personnalités emblématiques commencent à s’en agacer, telles que Roland Dumas par exemple.  La  première partie de cette réponse a été publiée dans notre édition de la semaine passée. Nous vous livrons cette semaine l’avant dernière partie.

 

La politique de deux poids et deux mesures

Pour le troisième niveau, quittons la France pour un instant et allons vers cet espace géographique que l’on appelle le Proche et le Moyen Orient et que  l’illustre Alphonse de Lamartine avait décrit comme : « Cette petite zone de rochers et de sable entre deux mers limpides et sous des étoiles sereines qui réfléchit à elle seule plus de divinité que le reste du globe ».

Il se trouve que cette petite zone se singularise aussi par une autre caractéristique moins divine et peu enviable : elle n’a jamais cessé d’être le théâtre de guerres, d’exactions et de violences quotidiennes. Ceux qui s’y affrontèrent et s’y affrontent encore aujourd’hui se réclament tous des trois religions monothéistes, même si aujourd’hui leur motivation a un peu changé de nature…

C’est son éternelle histoire qui a sans doute inspiré l’ancien président des Etats-Unis, Georges Bush fils, lorsqu’il prétendît avoir parlé à Dieu avant d’envoyer ses troupes envahir l’Iraq et combattre ce qu’il appela ‘’ l’axe du mal ’’. Et il faut bien reconnaître que depuis la création de l’Etat d’Israël, juifs et chrétiens se sont toujours entendus, sous divers prétextes, pour attaquer militairement et occuper des pays musulmans : l’Egypte (Canal de Suez), l’Iraq, l’Afghanistan et à présent la Syrie (nous verrons plus loin l’implication des pays occidentaux, d’Israël et de l’Arabie Saoudites dans cette guerre), sans compter la Libye et peut être bientôt l’Iran.

A cette alliance militaire, s’ajoute une solidarité politique et diplomatique indéfectible, qui ne s’est jamais démentie, notamment au Conseil de Sécurité de l’ONU, avec les vétos systématiques de pays occidentaux contre les multiples projets de résolution jugés pro-palestiniens par les deux lobbies sionistes les plus puissants aux Etats-Unis, l’AIPAC et le WINEP qui exercent leurs influences respectivement sur le Congrès et sur l’exécutif ainsi que les médias américains.

Il y a plus : les résolutions 198 et 242, qui sont aujourd’hui les seuls instruments à même de  garantir une paix durable, sont nulles et sans effets pour Israël qui les ignore superbement ; les négociations de paix, depuis Oslo, se sont toujours transformées en négociations de sang ; Israël n’a que faire de l’Arrêt de la Cour Internationale de Justice, en 2004, exigeant la destruction du mur de séparation ainsi que le retrait de son armée et de ses colonies des territoires palestiniens ; les grandes puissances occidentales n’envisagent même pas que toutes ces décisions soient un jour appliquées, ne serait-ce que partiellement.

Pourtant, quand  il ne s’agit pas d’Israël, elles mobilisent une énergie et une fermeté effroyables pour exiger que l’Organisation des Nations Unies contraigne tous ses Etats membres à respecter les résolutions du Conseil de Sécurité et à sanctionner ceux qui s’y refusent. Et lorsqu’il s’agit de pays arabes ou musulmans, elles vont même jusqu’à les imposer par la force militaire et l’embargo économique (Iraq, Afghanistan, Libye, Iran, etc.), souvent et même toujours au prix de la mort de plusieurs milliers de personnes innocentes et du déplacement de millions de réfugiés.

Telle est la politique de deux poids et deux mesures, traduisant une  injustice inadmissible faite au  peuple palestinien, par le déni de son droit à vivre librement, comme tous les autres peuples, dans un Etat aux frontières sûres et reconnues. L’injustice européenne subie par les juifs au siècle passé ne peut, en aucun cas, justifier cette politique complaisante faisant d’Israël un Etat exceptionnel qui n’est pas soumis au droit international, d’autant que les palestiniens en particulier et les arabes en général n’y sont pour rien.

C’est donc une politique devant laquelle aucun intellectuel digne de son statut ne peut se taire, aucun homme politique responsable ne peut rester indifférent, sauf si ce n’est par lâcheté de ne pas risquer de passer pour un ennemi d’Israël ; c’est une question d’honnêteté intellectuelle et de courage politique donc d’affranchissement moral par rapport aux lobbies sionistes.

C’est ensuite une politique absurde, comme disait Théo Klein : « parce qu’elle entretient la population israélienne dans l’illusion d’une fausse sécurité et parce qu’elle mobilise la jeunesse arabe autour de ceux qu’elle considère comme des combattants de liberté ». (1)

Cet esprit lucide fut président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et a rompu avec cet organisme lorsqu’il a « constaté à quel point le CRIF est devenu une officine de propagande des courants les plus violents du sionisme, qu’ils  soient israéliens ou français ».

Ancien résistant français, désormais affranchi de l’emprise du réflexe impulsif de la solidarité sioniste, homme épris de justice et de liberté, Théo Klein ajoute : « les peuples ne se courbent jamais ». Sans doute qu’il garde encore à l’esprit la révolte du peuple français face l’occupation allemande, celle du peuple vietnamien face au colonialisme français, puis face à l’armée américaine, celle du peuple algérien face aux colons français et celle de la majorité du peuple sud africain face l’apartheid. 

Toutes ces révoltes ont été incarnées par un homme et, autour de lui, un groupe d’hommes qui ont entraîné leurs peuples pour qu’ils se tiennent debout ; ils étaient convaincus de la légitimité et, surtout, de la possibilité de mener leur combat à terme, à la libération. Et qu’importe les moyens dont ils disposaient et les méthodes qu’ils utilisaient, qu’importe surtout que le monde entier les considère comme des terroristes. Le gouvernement de Vichy et celui de l’Allemagne ont qualifié De Gaule, Jean Moulin et les autres de terroristes ; ce fut aussi le cas pour Ho Chi Min, Ben Bella, Nelson Mandela et leurs amis.

L’ex premier ministre de l’Etat hébreu, Itzhak Rabin, l’avait bien compris lorsqu’il déclara : « la paix est indispensable si l’on veut assurer la sécurité d’Israël et de chaque israélien ».

Mais l’extrême droite du sionisme, le Likoud, en l’assassinant, ne l’a pas laissé aller jusqu’au bout de sa conviction. Au contraire, elle tient au statu quo ou à la situation actuelle ; elle refuse un tracé définitif des frontière afin de poursuivre l’implantation des colonies, la démolition des maisons et la confiscation des terres palestiniennes, la construction des routes de contournement et le bouclage des villes, l’assassinat ciblé et le bombardement des immeubles d’habitation.

 Si on ajoute tout cela à l’occupation du Golan Syrien et du sud Liban, alors on comprendra que le refrain habituel sur l’insécurité d’Israël est un stéréotype aussi inutile que faux.

En réalité, vu cette tension permanente qu’il entretient, l’Etat d’Israël donne l’impression de ne pas chercher la paix. Peut-être parce qu’il risque de perdre, une fois celle-ci établie, l’importante aide financière et technologique qu’il reçoit annuellement des Etats Unis pour sa sécurité.

Or la société israélienne a besoin de sortir de cet engrenage sans perspective, puisqu’elle ne pourra jamais vivre tranquillement, dans la sécurité, par la seule force des armes. Et cette paix, pour l’obtenir, Israël doit payer un prix ; Il en a besoin au même titre sinon plus que les autres. Et pas moins qu’un Etat palestinien souverain dans les limites territoriales fixées par la résolution 242 ne constituerait une paix durable.   

Quoi qu’il en soit, la France, plus que toute autre puissance occidentale, serait sans doute amenée à plus de compréhension si elle essayait de voir la souffrance des palestiniens dans son propre passé, si elle se rappelait que son occupation par l’Allemagne a été, comme toute occupation, une tragédie humaine aussi douloureuse qu’insupportable.

On peut souhaiter, sans se faire beaucoup d’illusions, que ce propos ne soit pas perçu comme une volonté de monter en épingle les pays occidentaux membres du Conseil de Sécurité, réaction qui serait aussi une manière de se défendre contre l‘argumentaire objectif, il n’en restera pas moins que cette double collusion – militaire et diplomatique – et cette politique absurde qui en est résulté sont en grande partie responsables de la radicalisation de ces groupes de jeunes musulmans européens, généralement désœuvrés et égarés, parce que souvent discriminés à l’emploi, donc sans horizon ni repères. Et qui cherchent un sens à leur vie en se laissant attirer par une propagande religieuse trompeuse et surtout émaillée d’une touche de salafisme et de Wahabisme, deux doctrines rigoristes nées au début du XXe siècle en Egypte et en Arabie Saoudite...

La même histoire qui se répète 

Voilà d’ailleurs pourquoi ces jeunes européens, avec d’autres en Afrique et au Moyen Orient, deviennent tout naturellement à la fois des idéalistes et des proies faciles pour les recruteurs de tout bords : par leur déception et leur amertume face à cette politique injuste que subissent les palestiniens, d’une part, et par leur désespoir devant leur vie sans perspective, d’autre part.

C’est le mélange de cet engagement politique et cette instabilité psychologique qui a permis aux services de renseignement américains et saoudiens de les embrigader autrefois en Afghanistan contre l’armée de l’Union Soviétique et aujourd’hui en Syrie contre le régime de Bachar El Assad.

Ben Laden lui-même et son groupe avaient été formés et équipés au Pakistan par les experts militaires de la CIA, avec les moyens financiers de l’Arabie Saoudite (voir Le Quotidien de Paris du 28 juillet 1993).

Aussi, tout le monde sait que les deux mouvements Ansar El Islam et Ansar Sounna ont été formés en Jordanie, aussitôt après la crise Syrienne, par les mêmes experts et les mêmes moyens financiers. Après quelques mois d’actions militaires sur le terrain, en Syrie, la majeure partie de ces deux mouvements s’est regroupée en une seule organisation sous le nom de l’Etat islamique ou Daech ; l’autre partie, minoritaire, s’est constituée sous le nom de Jebhet ou Front de Nousra. Et c’est à partir de ce moment là qu’ils ont décidé de perturber le plan initial et de se fixer eux-mêmes une nouvelle mission et de nouveaux objectifs, totalement opposés à ceux qui leur furent assignés par leurs maîtres.

Certaines sources anglo-saxonnes, citées dans plusieurs médias, soupçonnent, avec fortes présomptions, les services de renseignement français, britanniques, turcs et israéliens d’avoir activement contribué au renforcement logistique et humain de ces deux mouvements, lorsqu’ils étaient sous contrôle, avant qu’ils deviennent ces terroristes qui occupent aujourd’hui le devant de la scène.  Elles évoquent, entres autres, des armes fournies par la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne, payées par l’Arabie Saoudite. Elles font ensuite remarquer cette facilité déconcertante avec laquelle les Djihadistes européens, souvent fichés par les polices nationales de leurs pays, traversent tranquillement les frontières et entrent en Syrie pour combattre dans les rangs de ces organisations, puis reviennent tout aussi tranquillement dans leurs pays, comme si de rien n’était.

S’ajoutent à cela ces images ahurissantes diffusées par plusieurs chaînes de télévision israéliennes(2) montrant tout récemment – quelques jours après le 11 janvier 2015  – des blessés du Front de Nousra, un allié de Daech, se faire soigner dans les hôpitaux d’Israël, ce qui ne passe pas en effet pour être une simple action humanitaire et qui, selon le commentaire d’un général du Tsahal (armée israélienne), sans que ne tremble un muscle de son visage, était justifié par cette formule qui explique tout : ‘’l’ennemi de mon ennemi est mon ami’’. C’est tout de même une curieuse amitié. Mais est-elle vraiment si curieuse au regard de l’implication des services de renseignements ci-dessus évoqués ?

En définitive, c’est la même histoire qui se répète : en Afghanistan, ce fut un groupe dit islamiste constitué de plusieurs milliers de personnes, dont les talibans et les ‘’afghans arabes’’, bien entraînées par la CIA au maniement des armes les plus sophistiquées, genre lance missile Stingers (fabrication américaine) et missile Milan (fabrication française), pour endiguer l’influence de l’Union Soviétique ; en Syrie, c’est pour faire tomber le régime Alaouite afin d’affaiblir l’influence régionale de l'Iran, ce qui constitue un objectif commun pour l’Etat Hébreu et l’Arabie Saoudite.     

En réalité, ces deux groupuscules étaient qualifiés de rebelles et n’ont été désignés comme terroristes que lorsqu’ils se sont retournés contre leurs maîtres sous les bannières d’Al Qaeda pour le premier et de Daech pour le second.

La première leçon n‘ayant pas été retenue, ces maitres manipulateurs viennent de découvrir qu’ils ont été manipulés de nouveau, mais cette fois par Daech qui a dépassé les lignes rouges, en traversant la frontière irakienne dans le but de faire tomber, sous son empire, Bagdad et le Kurdistan, avec l’intention de s’occuper ensuite des autres pays arabes, dont les dirigeants sont tous considérés par ces organisations comme des potentats ou des gardiens avilis et zélés des intérêts de l’Amérique et de ses alliés occidentaux. Et au-delà du sentiment de solidarité humaine et religieuse que l’on peut ressentir à l’égard des communautés chrétienne, yézidite, sunnite, kurde et autres victimes innocentes de cette grande folie des hommes, personne n’ignore l’intérêt économique d’importance stratégique que représente l’Irak pour les pays occidentaux. D’où le désarroi actuel qui offre une sinistre occasion à certains politiciens et intellectuels français, en quête de notoriété, pour surfer dangereusement sur les effets mobilisateurs de cette islamophobie ambiante, liée probablement à la crise économique et sans nul doute amplifiée par le mouvement des esprits que provoque la folie de ces groupuscules fanatiques qui croient avoir trouvé un sens à leur vie.

Encore que certains pays Européens (l’Espagne, l’Autriche et la république Tchèque) commencent à revoir leur position vis-à-vis du régime Syrien, parce qu’ils ont compris que Daech avait rompu son contrat et qu’il n’était vraiment pas le groupe de mercenaires idéal pour la mission qu’il devait accomplir et qu’il était même pire que le régime de Bachar El Assad. Même en France, des voix commencent à monter de plus en plus, notamment dans le milieu des renseignements et au niveau du parlement. Une délégation de parlementaires français vient d’être reçue, le 24 ou 25 février écoulé, par le président syrien.

 Est-ce un retournement de situation en perspective ?   Question ouverte… 

 Voila en gros ce qu’on aurait pu avancer, comme réponse, dans un débat ordinaire qui pourrait bien se prolonger au champ public. Mais aurait-il permis d’atteindre l’objectif souhaité, l’essentiel ? 

Car dans ce genre de débat, c’est comme à l’agora athénienne, on est pris dans l’urgence, on veut tout expliquer rapidement, parce que le lecteur n’a pas beaucoup de temps, donc on fait vite et simple, et on ne prend plus alors le temps de réfléchir.

(A suivre)

 

Notes

(1)Article de Théo Klein dans Le Monde du 6 Septembre 2001

(2)Images reprises par les chaînes libanaises Al Mayadeen,  Al Manar et autres.