
Les forces en présence
Le congrès de l’UFD s’est tenu en mi-1996. Comme je n’étais pas impliqué dans son organisation technique, je retiens moins d’informations sur les détails de son déroulement.
Néanmoins je me rappelle que toutes les sensibilités politiques qui s’agitaient à l’intérieur du parti se faisaient remarquer. Les principales et les plus voyantes furent celle du MND et celle soutenant Ahmed Ould Daddah. La sensibilité des Islamistes, en fait les Frères Musulmans, futur puissant parti de la scène politique nationale, se meut encore dans l’entourage d’Ahmed Ould Daddah. Puis viennent au second rang de
nombreux petits groupes organisés souvent autour de quelques personnalités indépendantes non trop marquées idéologiquement.
Parmi elles feu Diop Amadou Mamadou, ancien ministre, ancien deuxième coordinateur de l’UFD avant l’arrivée d’Ahmed Ould Daddah.
Au bord de l’implosion
Le congrès eut lieu dans une tension extrême. Dopé par le grand succès politique de sa campagne électorale durant la présidentielle de 1992, Ahmed Ould Daddah se positionnait désormais comme une personnalité centrale de la vie politique nationale. Même au sein de la mouvance MND apparaissait une profonde division à propos de l’attitude à prendre vis-à-vis de lui.
Une trahison à peine camouflée
Ainsi au cours de l’élection du bureau du congrès, une aile importante de ce mouvement, menée par Mohamed Ould Maouloud, surprit par son vote en faveur de la proposition du bureau présentée et défendue par Ahmed Ould Daddah et ses amis et alliés. Cette proposition était soutenue par pratiquement tous les délégués présents à l’exception de l’aile du MND appuyant la position de Moustafa Ould Bedreddine qui fut à l’origine du vote opposé à la proposition du bureau du congrès.
L’éclatante victoire de la « minorité »
La grande surprise fut que ce qui apparaissait comme une large coalition fut battue par uniquement les soutenants de la position de Bedreddine. Diop Amadou qui présidait l’élection du bureau perdit plusieurs larmes suite à ce camouflet inattendu. Cette divergence ayant opposé Ould Maouloud à Ould Bedreddine serait probablement le premier hic public qui apparaissait entre les deux hommes depuis le début du processus démocratique. Ça marquera aussi la naissance d’une forme de complicité entre Ahmed et Maouloud qui impactera la suite des événements. Ould Daddah, à son tour, suite à ce premier grand défi à son autorité, sera sérieusement fragilisé pour le reste de son odyssée politique. « La guerre » contre le MND prendra désormais la première place dans ses préoccupations.
Le souci principal du MND
Pourtant même après le congrès, l’aile du MND ayant soutenu Ahmed Ould Daddah au cours de l’élection du bureau du congrès ne cessait de manifester une attitude de ferme soutien à celui-ci. Pour les militants MND favorables à la direction de Ould Daddah, celui-ci demeurait pour longtemps encore indispensable. Ils justifiaient leur position par des raisons économiques. Pour eux, le MND ne pouvait pas encore se passer du rôle de financier que jouait à l’époque Ould Daddah au sein du parti.
Comment crever l’abcès
Au cours d’une interview accordée à l’hebdomadaire, Mauritanie Nouvelles, peu de temps après ce congrès et aussi après ma nouvelle démission du parti, j’avais fait allusion à cette situation de mes amis du MND. Répondant à une question, relative à mes relations avec eux j’avais dit à peu près ceci: «Malheureusement, depuis un certain temps ils avaient pris l’habitude d’opérer derrière des barricades, construites à
partir de matériaux souvent fragiles, alors que dans la paix comme dans la guerre, il arrive que les conditions imposent d’agir d’une façon indépendante ». C’était l’unique critique que je m’étais permis de leur adresser publiquement. J’ose espérer qu’elle leur a été positive.
L’éclatement non spectaculaire d’un grand parti
La cassure avec le groupe d’Ahmed Ould Daddah suivra d’ici peu. Après une courte période de dispute du nom du parti (UFD/EN), les deux tendances s’érigeront en partis politiques complètement séparés: le Regroupement des Forces Démocratiques (RFD), réunissant les soutiens d’Ahmed Ould Daddah et l’Union des Forces du Progrès (UFP), pour les anciens militants MND. Comme on peut le remarquer, chaque formation s’était efforcée de garder deux des 3 initiales de la défunte UFD. La dispute entre les deux courants politiques va continuer sous d’autres formes.
L’interview en question abordait justement les raisons de ma nouvelle démission de l’UFD-EN.
Une démission politique cette fois-ci définitive
Comme dans ma précédente démission, je cherchais en premier lieu, à travers ma nouvelle lettre de démission, à bousculer la situation du parti et à faire bouger les lignes en son sein en vue justement de favoriser de nouveau un déblocage de sa situation intérieure. La seule différence était que cette fois-ci je ne comptais plus revenir sur ma décision. A tort ou à raison, j’avais cessé de croire à l’opposition dans sa forme d’alors. Malgré tout je n’avais en ce moment aucune intention de rejoindre un tout autre parti de l’opposition ou du pouvoir.
La navigation en solitaire
Dans tous les cas, toute future décision n’engagera que moi. En « haute mer » (ou au cours de la traversée du fleuve Sénégal, surtout durant la période des grandes crues), j’opterais toujours pour la navigation en solitaire. Dans ce genre de situations, aux risques multiples, je préférais n’engager qu’uniquement ma propre personne, fuyant ainsi toute responsabilité dans la noyade éventuelle de tout autre aventurier qui
se hasarderait à m’accompagner.
La preuve en était que, pendant une bonne période, j’avais continué à fréquenter le siège du parti UFD-EN comme auparavant et à collaborer avec ses militants dans leurs activités quotidiennes.
Mener une escouade anti-fraude
J’avais même dirigé une « escouade » de répression de la fraude
entreprise par les militants du PRDS, le parti au pouvoir au niveau de Riyad lors des élections législatives qui eurent lieu peu de temps après.
Ici, je peux prendre pour témoins le respecté Sghair Ould Mbarek et son colistier, tous les deux candidats à l’époque aux législatives à Riyad. Habituellement, les « déserteurs » de la lutte politique, notamment au niveau d’une opposition prestigieuse, disparaissent pour de bon sans laisser de traces après leur départ, qui était d’ailleurs rarement annoncé sous forme de démission écrite, argumentée de justifications.
Un plaisir regrettable
Dans ma précédente lettre de démission, j’avais exprimé à la direction du parti mon regret de me séparer d’eux. Je savais en ce moment que ma démission ne leur plaisait nullement. Dans ma nouvelle lettre de démission, je soupçonnais que cette fois-ci elle pourrait peut-être faire «honneur et le plus grand plaisir » à certains d’entre eux.
J’avais donc introduit ma nouvelle lettre de démission comme suit: « J’ai le regret de vous annoncer, cette fois-ci une bonne nouvelle: votre parti m’étouffe… ».
Le parent, Ahmed Ould Khattri, m’exprimera aussitôt son étonnement: «Comment on peut regretter d’annoncer une bonne nouvelle ! ».
(À suivre)