Monsieur le Président, ce n’était pas l’eau qu’il fallait inaugurer

10 July, 2025 - 00:10

Aujourd'hui, à Foum Gleïta, vous avez donné le coup d’envoi de la deuxième phase du projet Aftout Echergui, un chantier d’envergure destiné à acheminer l’eau potable vers plus de 400 localités réparties dans les wilayas du Gorgol, du Brakna et de l’Assaba. Financé à hauteur de 24 millions d’euros grâce à un partenariat entre l’État mauritanien et le Fonds arabe pour le développement économique et social si mes informations sont authentiques, le projet ambitionne de garantir une couverture hydrique durable à l’horizon 2040.
À première vue, l’initiative est noble, urgente, attendue. Qui pourrait contester la légitimité d’un projet qui promet de soulager les populations rurales, souvent oubliées par les grands plans d’aménagement et trop longtemps condamnées à des corvées d’eau archaïques ? Mais, à force d’avoir applaudi des lancements de projets restés sans suite ou des promesses évaporées comme l’eau sur le sable, le citoyen mauritanien regarde désormais ces inaugurations avec un œil prudent, parfois lassé, souvent ironique.
Car ce n’est pas la première pierre posée qui inquiète, mais la dernière qui ne vient jamais. Le discours officiel, récité avec la ferveur d’un chœur antique, nous assure que beaucoup de nouvelles localités bénéficieront désormais de l’eau potable dans la première phase. C’est admirable. Mais, Monsieur le Président, combien d’autres, pourtant déjà « couvertes» par les phases précédentes, continuent de boire au puits, voire de marcher des kilomètres pour remplir une bassine ? On inaugure avec faste, on inonde de chiffres, mais le terrain reste sec.
Ce qu’aucun conseiller n’ose vous dire, c’est que la défiance grandit. Non pas à votre endroit personnel, mais à l’encontre d’un système de gestion où l’incompétence s’installe, où des établissements vitaux sont confiés à des figures ternes, promues par affinités tribales ou arrangements politiques. Personne, dans les discours du jour, ne vous parlera des détournements silencieux, des projets fantômes, de la dilution des responsabilités, ni de ces criminels en col blanc qui prospèrent dans l’ombre, protégés par l’opacité et l’impunité.
On ne vous dira pas non plus que les Mauritaniens, dans leurs quartiers et villages, ne croient plus aux slogans ; qu’ils veulent des résultats tangibles, des actes clairs, une gouvernance responsable. Ils veulent que ceux qui volent soient jugés — non déplacés ; que les recrutements se fassent au mérite — non à la filiation ; que la compétence revienne au centre de la République — et non à ses marges.
Monsieur le Président, vous êtes peut-être un homme de bonne volonté — et c’est déjà beaucoup. Mais ce n’est pas suffisant. L’Histoire ne retiendra ni les discours bien tournés ni les inaugurations en grande pompe ; elle retiendra la vérité nue du robinet qui coule… ou pas.
Alors oui, ce projet peut marquer un tournant, à condition qu’il ne devienne pas, comme tant d’autres, un fleuve de promesses finissant sa course dans le sable. Ce n’est pas l’eau qu’il faut inaugurer aujourd’hui — c’est une nouvelle façon de gouverner.

Nous vous le devons.
Vous nous le devez.

En d’autres termes, nous, citoyens, vous devons le respect, l’écoute et, peut-être, la patience afin de réussir votre mission, car vous avez été élu pour diriger ce pays. En contrepartie, vous nous devez des résultats, la justice, l’intégrité, une gouvernance digne parce que votre légitimité vient de nous, le peuple.
Je m’excuse de cette témérité et j’espère ne pas subir le sort de l’agneau de la célèbre fable de  La Fontaine ; c’est juste une formule de réciprocité morale et politique : le peuple a des devoirs envers le président (respect, patience), mais le président a des obligations encore plus lourdes envers le peuple (agir, réformer, protéger, rendre des comptes).

 

Eleya Mohamed