Etude adressée à SEM le président de la République: Esquisse d’un programme national pour vaincre la sécheresse et l’exode rural/Par Moussa Format-Allah, professeur d'université, lauréat du Prix Chinguitt

26 June, 2025 - 01:02

Chapeau introductif 

La sécheresse qui sévit en Mauritanie depuis des décennies a induit un bouleversement dans le mode de vie des gens.  A l’exception d’une infime minorité de privilégiés, l’immense majorité de la population s’est retrouvée démunie.

Beaucoup de nos compatriotes, toutes classes sociales confondues, chassés par la soif et la faim de leurs terroirs, se sont retrouvés dans les centres urbains en quête de moyens de subsistance. Plus question de vivre à l'ancienne, à l'abri des regards indiscrets dans des tentes ou des cases avec les moyens du bord :  un petit cheptel et des denrées alimentaires achetées, ici ou là, avec le produit de la vente d’un mouton, d’une vache ou d’un chameau.

Débarrassés des contingences matérielles, les gens étaient heureux. Ils étaient habités par une seule obsession : préparer du mieux qu’on peut la seule vie qui vaille, celle de l’Au-delà. Malheureusement, avec le regroupement des populations dans les milieux urbains, le matériel va prendre le pas sur le spirituel. La vie grouillante et profane de la cité va changer, progressivement, les mœurs.  Les valeurs morales et les généreux principes de naguère vont être affectés par ce nouveau mode de vie. L’argent est au centre de tout. Sa recherche effrénée par tous les moyens licites et illicites est dans tous les esprits. C’est devenu une question de survie.  

En effet, la paupérisation et la précarité font, à bas bruit, des ravages.

Les rapports sociaux se sont distendus. Tout le monde ou presque reste cloîtré chez lui avec une boule dans le ventre : la peur du lendemain. Le temps des jours heureux n’est plus qu’un lointain souvenir.

 Face à une situation aussi poignante, que faire ? D'abord un constat : La responsabilité de ce triste état des choses incombe à la collectivité nationale, c’est-à-dire à l'État. Certes, celui-ci, avec des moyens limités, fait ce qu’il peut. Mais face à cet océan de misère et de précarité, force est de constater qu’il reste impuissant. Or, tout problème a une solution.

Quand la vie des citoyens est en jeu, les pouvoirs publics doivent revoir leur stratégie et procéder à une hiérarchisation des priorités avec, au premier chef, la création des conditions de vie pour fixer les populations sur place. 

C’est dans cet esprit que nous proposons, dans les développements qui suivent, ce qui nous semble une piste à explorer pour mettre fin au calvaire que vivent nombre de nos compatriotes.  De quoi s’agit-il ?  Il s’agit, précisément, d’une nouvelle politique pour faire en sorte que la majorité des citoyens qui ont fui un environnement devenu inhospitalier, rejoignent leur terre. Comment ? Créer un chapelet de petits espaces de vie dans le désert.

 Avant la disette consécutive à la terrible sécheresse qui a frappé le pays, ces bédouins vivaient en quasi autarcie, regroupés, ici ou là, en fonction des affinités familiales ou tribales dans des campements autour des points d’eau.  Toutefois, l’exode rural va mettre fin à cette vie idyllique. 

Il s’agit maintenant de vaincre l'adversité par des mesures structurantes permettant aux intéressés de retrouver la vie dans leur environnement de naguère. Ce sera là, peut-être, un moyen d'atténuer dans la mémoire collective la sinistre parenthèse de la sécheresse et, parallèlement, d'alléger considérablement la pression sur les grandes villes.

Ces populations, mues par l'instinct de survie, sont venues s’installer le long des axes routiers. Avec des moyens du bord, du reste, fort limités, certaines de ces collectivités ont réussi à creuser des puits ou, parfois, à forer des sondages. Puis, ils ont construit des hangars pour s'abriter des intempéries. Mais tout cela reste très précaire.  

Une situation anachronique.  Car on se retrouve devant un paradoxe :

Ces populations n'évoluent plus dans leur cadre de vie d’autrefois, sans devenir pour autant des citadins. Il s’agit maintenant de transformer ces collectivités de bédouins en îlots d’habitations viables.  C’est là, précisément, l’objet de cette esquisse d’un programme pour vaincre la sécheresse et l’exode rural. Cette approche s’articule autour de 3 points : Le rôle de l’Etat, le succès insoupçonné des cultures irriguées dans le désert et, enfin, le montage financier pour la mise en œuvre de ce projet. 

 

Le rôle de l’Etat pour préparer le terrain

 1. Recensement de toutes ces communautés rurales, disséminées le long des axes routiers.  Avec le nombre d’habitants dans chaque entité.

2. S’assurer de l’existence et de la pérennité des nappes phréatiques.

3. Déterminer dans chaque région les endroits choisis pour une expérience pilote pour les cultures irriguées en tenant, précisément, compte de la nappe phréatique et du nombre d’habitants.

4. Un plan national pour généraliser, par la suite, cette opération.

5. Doubler, le cas échéant, le nombre de sondages existants avec un réseau de canalisations et de tuyauteries qui mettra l’eau à la portée de tous.

6. Gratuité de l’eau, des réparations et de l’entretien des équipements.

7. Panneaux voltaïques pour la production de l’énergie solaire, toujours au frais de l’Etat.

8. Disponibilisation des fourrages pour animaux.

9. Antennes-relais pour accéder aux réseaux téléphoniques.

10. Construction d'écoles primaires, de collèges et, le cas échéant, de lycées.

11. Doter chaque collectivité d’un marché en y incluant les boutiques El Emel.

12. En fonction du nombre d’habitants, construire des dispensaires ou des infirmeries. 

13. Construire des logements (hangars ou en dur) pour les fonctionnaires : enseignants, infirmiers, médecins, techniciens, etc.

14.  Mettre à la disposition de chaque grande collectivité rurale 1 ou 2 ambulances.

15. Poste de police (gendarmerie) pour les grandes collectivités.

16. Mesures incitatives pour pousser les gens à quitter les villes pour rejoindre les communautés rurales.  Dans cette optique, on pourra envisager le versement d’une prime pour le retour.

17. Création d’une administration en l’occurrence une agence, chargée de superviser et de coordonner ce programme.  Cette entité pourra être rattachée au premier ministère. Elle devra avoir des antennes dans toutes les régions.

Le succès insoupçonné des cultures vivrières irriguées en milieu désertique

 Délimiter dans chaque collectivité des périmètres grillagés pour les cultures vivrières avec l’assistance de techniciens agricoles.

Disponibilisation et gratuité des semences. Le désert, par définition, est une région sèche en raison, précisément, de l’absence d’eau.  Or, l’exploitation d’une nappe phréatique profonde change totalement la donne. Avec l’eau, toutes sortes de cultures peuvent prospérer dans le désert.

 En effet, malgré l’aridité, le sous-sol mauritanien recèle d’importantes nappes phréatiques susceptibles de permettre une agriculture durable, à condition d’adopter des techniques modernes d’irrigation. 

Plusieurs régions du pays disposent de nappes phréatiques profondes (Trarza, Taguant, Hodh El Gharbi, etc.). Ces nappes, situées entre 40 et 120 mètres de profondeur, présentent un bon potentiel d’irrigation.

L’irrigation solaire est la meilleure solution technique. ‘’Le système recommandé repose sur un forage équipé d’une pompe immergée, alimentée par des panneaux solaires, reliés à un réservoir surélevé et un réseau de goutte-à-goutte. Cette solution présente plusieurs avantages : 

-  Economie de carburant

-  Entretien limité

-  Adaptation aux conditions désertiques’’. (1)

 Chaque collectivité rurale devra être dotée d’un sondage spécifiquement réservé à l’agriculture. Ces sondages devront être placés à la lisière de ces entités.

 La réalisation d'un périmètre irrigué dans chaque collectivité rurale est la condition sine qua non pour la réussite du programme préconisé. Avec, en perspective, la production des produits agricoles qui constitueront un appoint important et durable pour la nourriture des habitants.  La superficie de ces périmètres irrigués variera entre deux ou trois hectares, voire plus en fonction du nombre d'habitants.

 On pratique, déjà, avec succès, les cultures maraîchères dans nombre de collectivités rurales.  Avec un sondage spécifiquement consacré à l'agriculture, le rendement des périmètres cultivés va non seulement être agrandi mais son rendement va être décuplé.  Pour certains experts, il couvrira, à très court terme, les besoins de la communauté en question et engendrera, par ailleurs, un surplus qui pourra être exporté dans les villes avoisinantes. 

On peut citer quelques-unes des cultures adaptées au désert mauritanien :

 -  Fruits :  pastèque, melon, grenade, papaye, figue de barbarie, citronnier, pamplemousse et, sous certaines légères conditions, –coupe-vent, abris sommaires–, orange, mandarine et autres agrumes. 

Légumes : oignons, ail, tomates, carottes, concombre, poivron, pomme de terre, etc.

Céréales : mil, sorgho, etc.        

Sans oublier les cultures de fourrages : luzerne, etc. Et, naturellement, les palmiers dattiers qui sont parfaitement adaptés aux zones désertiques.  Leur besoin en eau est modéré mais constant.  La plantation peut se faire par rejeton ou par culture in vitro. 

Il n’y a pas qu’en Adrar et au Tagant que les palmiers dattiers prospèrent. Des résultats concluants de ces plantations ont été observés dans d’autres régions désertiques, notamment dans les collectivités rurales. 

Voici, selon l’IA (l’intelligence artificielle), le classement des nappes phréatiques par région.           

1.  Trarza : Excellente

2.  Hodh El Gharbi : Très bonne

3.  Tagant : Très bonne

4.  Hodh El Chargui : Bonne

5.  Adrar : Bonne

6.  Gorgol : Moyenne à bonne

7.  Brakna : Moyenne

8.  Guidimakha : Moyenne

9.  Inchiri : Faible

10.  Nouakchott : Très faible

11.  Nouadhibou : Très faible

12.  Tiris Zemmour : Inexploitable sans traitement. 

 

Montage financier du projet               

Ce programme devra, naturellement, se faire en plusieurs étapes.  On pourra commencer par des expériences pilotes dans les collectivités rurales situées dans les régions les plus peuplées et qui disposent des nappes phréatiques les plus abondantes.  Combien tout cela va-t-il coûter ? Seule une étude économique et financière pourra en chiffrer le coût global.  Il s’agira, probablement, de quelques milliards d’ouguiyas MRO. 

On peut, en revanche, à titre indicatif, dresser un tableau de cet éventuel montage financier. Ce montage pourra se décomposer comme suit :

 

Partenaires internationaux (arabes, européens, américains) et institutions financières internationales, notamment la BAD

 

 

Etat

        

Patronat

 

 

Taazour

 

 

Régions

 

70%

15%

7%

7%

1%

 

 

 Les pourcentages qui précèdent pourront être modulés en y apportant les ajustements et les réajustements voulus.

S’il venait à se concrétiser, ce projet aura atteint les deux objectifs recherchés : 

-  Faire des bédouins des citadins tout en les laissant sur place à l’abri des affres de la faim et de la soif ;

-  Alléger la pression sur les villes avec, au premier chef, une réduction sensible de la délinquance urbaine.

Compte tenu de l’enjeu et de la hiérarchisation des priorités, le coût de ce programme reste, somme toute, abordable.  Comme le montre le tableau ci-dessus, son financement est à portée de main. Le reste est une question de volonté politique.      

  1. IA