Crise des valeurs dans notre société

29 May, 2025 - 09:24

Nous assistons ces derniers temps à la croissance de plusieurs phénomènes comportementaux négatifs, que ce soit au sein des institutions éducatives ou dans la société. Ils indiquent tous une crise dans notre système de valeurs. À l’école, on constate la propagation de la violence (jusqu’au meurtre), de la tricherie, de l’irrespect, de l’indiscipline, la perte du sens des responsabilités, la dévalorisation du travail et de l’assiduité et le vandalisme des installations scolaires. Dans la société, on constate celle de toutes sortes de crimes, vols, viols, corruptions, pillage de l'argent et des biens publics, perte du sens de la responsabilité professionnelle, du dévouement au travail et au service du bien public, absence d'esprit national, de solidarité collective, de respect d'autrui, de tolérance et d'altruisme, avec, ici encore, le vandalisme des installations publiques... Il s'agit plutôt de tendances conflictuelles avec un lourd fardeau de lutte de classes, appesanti de considérations ethniques, géographiques, sportives, sexuelles (homme/femme) ou générationnelles. Beaucoup tiennent l’école responsable de la crise des valeurs dans notre société et de son système éducatif. Dans quelle mesure est-ce vrai ?

La société mauritanienne a connu – et subit encore – les affres de transitions violentes d’une société traditionnelle gouvernée par des valeurs conservatrices, religieuses et de solidarité collective, à une société « moderne » gouvernée par des valeurs capitalistes libérales – mais malheureusement sous leur plus brutale forme : « la fin justifie les moyens » – même si cela se fait au détriment du contrôle et des normes légitimes et moralement acceptables, dépréciant le travail et les valeurs de mérite, de compétence et de responsabilité, pour propager la culture matérialiste, possessive, charnelle, instinctive de l’aliénation consumériste et de la marchandisation de la société et des relations humaines, de la superficialité de la conscience et de la connaissance, de la corruption politique et économique, du démantèlement de la structure familiale traditionnelle et du concept de groupe naguère si vivace dans notre culture et société traditionnelles.

 

Immenses machines de propagande

Ces valeurs capitalistes libérales brutales ont été et sont en train d’être consolidées à travers plusieurs moyens et institutions d’éducation sociétale et publique, qui ont des effets durables et dangereux sur l’individu et la société – media et communication modernes : télévision, chaînes satellitaires, Internet, chansons, tranches d’âge… – affaiblissant le rôle de la famille et de l’école face à ces immenses machines de propagande et d’éducation diffusant toutes sortes de représentations, tendances, goûts,  valeurs et comportements derrière lesquels se cachent les intérêts économiques/politiques d’immenses dinosaures (visibles ou cachés) qui ne se soucient que du profit à tout prix, réduisant les individus et les groupes humains à de simples « machines animales » contrôlées à distance ou à proximité.

Quelle est la responsabilité de l’école en tant qu’institution publique nationale chargée de l’éducation et l’instruction, dans cette crise des valeurs et dans la nécessité d’y faire face et de la surmonter ? À travers la récente réforme éducative incarnée dans « l’école républicaine », et à travers sa mise en œuvre au niveau du gouvernement, des programmes et des manuels scolaires, je crois que notre école a tenté de répondre à la question, en adoptant l’approche de « l’éducation aux valeurs » dans le nouveau curriculum éducatif (ou les orientations et programmes éducatifs récemment révisés dans l’enseignement primaire), incluant les valeurs de la foi islamique, de notre identité culturelle et de ses principes moraux spécifiques ; de la citoyenneté, des droits de l’Homme et de leurs principes universels.

Parmi les valeurs que l'école républicaine vise à inculquer aux apprenants, nous trouvons, par exemple, l'amour de la patrie et le désir de la servir, l'amour et la recherche assidue de la connaissance, la conscience des devoirs et des droits, l'esprit de dialogue, de tolérance et d'acceptation des différences, la capacité de participer positivement aux affaires locales et nationales, l’esprit de responsabilité et de discipline, le goût du travail, la diligence, la persévérance et l'interaction positive avec l'environnement social à tous ses niveaux...

 

Culture de la rue

Toutes ces valeurs positives sont intégrées dans les programmes et les manuels scolaires. Les élèves les reçoivent sous forme de cours autonomes ou de charges pédagogiques, en certaines matières. Mais voici qu’apparaît un problème paradoxal : pourquoi le comportement de la plupart de nos élèves ne reflète pas les valeurs qu’on leur enseigne en classe ? Est-ce dû à un échec didactique ? Ou à la nature de la personnalité de l’apprenant, voire à l’apprenant lui-même ? Je pense que la réponse peut être en partie l’échec didactique de l’éducation aux valeurs. Elle nécessite des formules et des modèles pédagogiques et évaluatifs plus efficaces tenant plus compte de la personnalité de chaque apprenant. L’influence de l’école dans la formation de ses dimensions émotionnelles et de valeurs reste de fait très faible, face à l’influence dangereuse et significative d’autres moyens et institutions de socialisation, en particulier les moyens de communication et les media modernes. Un déséquilibre majeur qui affecte la société dans son ensemble, en raison de ses crises sociales, économiques et culturelles qui l’ont fait renoncer presque complètement à jouer ses rôles éducatifs positifs, face à la « culture de la rue » devenue la nouvelle « famille » et « école » où les enfants et les jeunes passent la plupart de leur temps, loin de la surveillance de ses parents et de ses maîtres.

La question de la crise des valeurs dans notre société me paraît donc une question complexe et intriquée qui nécessite un traitement sociétal global (éducatif, culturel, social, économique, politique, médiatique, etc.). La responsabilité de tous les moyens et institutions de socialisation, de l'école et de la famille aux media et à la communication, est engagée à s'attaquer au problème. L'école nationale doit répondre collectivement et de manière responsable à plusieurs questions centrales, avant de pouvoir les traduire en véritables politiques publiques et sectorielles. Quel projet humain et sociétal voulons-nous ? De quelles connaissances, idéologies et valeurs avons-nous besoin pour y parvenir ? Quelles sont les institutions et les politiques responsables et qualifiées à cette fin ? Les moyens efficaces pour activer ce processus ? Laisser l’individu et la société  entre deux références civilisationnelles ambiguës et antinomiques – d’une part, une tradition obscure et contradictoire avec sa réalité vécue locale et son âge global imposé et, d’autre part, une modernité sauvage, imparfaite et superficielle (capitalisme libéral) – ne produira pour nous que des crises de valeurs, un individu troublé et errant et une société égarée qui a perdu sa boussole et son école, quand bien même celle-ci se serait appliquée à inculquer les plus vertueuses valeurs morales. La leçon de valeurs se termine sur le plan comportemental et cognitif lorsque l’on quitte les murs de l’école pour entrer dans une société en crise et corrompue dans ses valeurs, dépourvue d’une boussole civilisationnelle et sociétale claire et unifiée.

 

Cheikh Ahmed ould Mohamed

Ingénieur

Chef du service Etudes et développement

Etablissement portuaire de la Baie du repos de Nouadhibou