
On est frappé par le ton cotonneux et convenu, voire, parfois, par l'indifférence quand on évoque, ici ou là, dans une optique prospective, les défis existentiels qui se posent à notre pays.
En général, on a le sentiment d’une démission collective sur fond d’un fatalisme sous-jacent malgré quelques alertes et mises en garde épisodiques isolées qui finissent par s'évanouir dans l’immobilisme ambiant.
Au-delà des mesures cosmétiques et autres rustines –une politique qui n’a pour objet que de préserver le confort du moment–, l’Etat, depuis des décennies, reste toujours impuissant pour régler les multiples problèmes de fond qui continuent de se poser avec acuité au pays.
Comment surmonter ces inextricables difficultés?
Déterminer un cadre juridique constitutionnel
Pourquoi cette léthargie, cette inopérabilié des pouvoirs publics? Qu’est ce qui bloque? Qu’est ce qui ne va pas? On dit, souvent, qu’un problème clairement posé est à moitié résolu. Que faire alors?
1. Déterminer un cadre juridique constitutionnel pour circonscrire et solutionner les problèmes de fond en suspens sur les plans politique, économique et social.
2. Mettre en œuvre les moyens adéquats consensuels pour résoudre ces problèmes.
Jusqu’ici, les régimes qui se sont succédé n’ont pas pris conscience de la complexité et de la gravité des questions inhérentes à la cohésion et à l'unité nationales. Ils ont toujours agi par des mesures ponctuelles destinées à calmer provisoirement la situation, sans jamais aborder les causes profondes qui sous-tendent ce qui pourrait, si on n'y prend pas garde, mettre en cause l’existence même de l’Etat.
Des mesures mal préparées, sans véritable concertation préalable qui n’ont fait que cristalliser le mécontentement. Qu’on en juge:
- Des indemnités de réparation, au pied levé, fortement contestées pour régler le passif humanitaire;
- Une loi pour lutter contre les séquelles de l’esclavage sans grand impact sur le vécu au quotidien pour juguler un phénomène social récurrent.
Des mesures qui, loin d’apaiser les cœurs et les esprits, n'ont fait qu’exacerber les tensions. Pourtant, l'expérience a montré qu’il s’agit d'opérations de façade sans lendemain.
En effet, certains problèmes de société existentiels ne peuvent pas être réglés par des lois, des règlements ou des arrangements de circonstance et encore moins par la contrainte physique (prison) ou par l’intimidation. Seules des dispositions constitutionnelles consensuelles permettront d’ouvrir une nouvelle page sur fond de fraternité, de concorde, de coexistence pacifique et de solidarité. Une fois ce cadre constitutionnel mis en place, les lois organiques, les lois ordinaires, les règlements législatifs par le biais d’une habilitation de l'Assemblée nationale et les règlements autonomes qui sont de la seule compétence de l'exécutif viendront, naturellement, en préciser la portée et les modalités.
Les problèmes existentiels qui doivent trouver une réponse dans la constitution
Pour ce faire, on devra d’abord recenser et sérier les problèmes pendants. Quels sont les problèmes existentiels qui doivent trouver une réponse dans la constitution?
1. Un nouveau projet de société
L’urgence de bâtir un nouveau projet de société sur la base d’une répartition constitutionnelle du pouvoir entre les différentes composantes nationales. Une répartition juste et pérenne avec comme corollaire une redistribution plus équitable de la richesse du pays entre tous ses habitants.
2. Les crimes imprescriptibles: crimes, violences ou ségrégation sur une base ethnique:
● Séquelle de l’esclavage;
● Violences interethniques;
● Terrorisme sous toutes ses formes;
● Atteinte à la cohésion et à l'unité nationales;
● Coups et tentatives de coups d’Etat;
3. Les crimes économiques et financiers:
● Corruption endémique;
● Détournements de deniers publics.
4. Refonte de l'autorité judiciaire.
Notre justice est en mauvais état et c’est bien là un euphémisme. Dans la nouvelle constitution le titre ‘’De l'autorité judiciaire’’ devra être remplacé par ‘’Du pouvoir judiciaire’’.
5. Création d’une instance constitutionnelle autonome pour l’organisation et la supervision des élections. Une entité qui tirera sa force et son indépendance de la constitution. Une loi organique précisera les attributions, la composition et le fonctionnement de cette instance.
6. L'Administration nationale de la zakat (ANZ) doit être érigée en une institution constitutionnelle. Il s’agit d’une priorité nationale.
Une fois bien lancée, l'ANZ générera, de l’avis de beaucoup d’experts, des centaines de milliards d’ouguiyas MRO. Une source colossale de revenus qui pourra contribuer à un nivellement par le bas de la société.
7. Le statut pénal du président de la République:
La notion de haute trahison (act. 93), ‘’empruntée’’ à la constitution française a soulevé des difficultés d'interprétations. Les jurisconsultes se sont affrontés sur le sujet à coups d’arguments et de contre arguments. En effet, cette formulation est vague et peut devenir un fourre-tout. Or, le statut du chef de l’Etat doit être précis avec des contours bien déterminés.
En France, on s’est aperçu avec le temps, de cette ambiguïté et des conséquences qu’elle pourrait engendrer. C’est pourquoi le législateur français, dans une loi constitutionnelle (23 février 2007) a clarifié le statut pénal du président de la République. Le crime de haute trahison a été supprimé et remplacé par une procédure de destitution (art. 68) en cas de ‘’manquement aux devoirs du chef de l’Etat manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat.’’
Pour sortir de cette ambiguïté de l’article 93, on pourra, dans la future constitution, s'inspirer du cas français cité plus haut.
En France, ‘’c’est le parlement réuni au complet en Haute Cour qui peut prononcer la destitution du président par un vote à la majorité des deux tiers. Cette Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue à bulletins secrets. La Haute Cour ne statue pas sur la culpabilité pénale du président mais sur sa légitimité politique à poursuivre ses fonctions. La décision de destituer le président est d’effet immédiat’’.
8. Le nombre des partis politiques devra être ramené, constitutionnellement, à une dizaine, sur la base de sensibilité commune et de projet de société. Le regroupement des partis politiques en fonction des affinités, en deux ou trois blocs, pourra donner naissance à des coalitions aussi bien au niveau du parlement qu’au niveau des régions autonomes.
Ce regroupement de partis politiques devra se faire dans un cadre idéologique précis:
● Socialiste
● Libéral
● Islamique
● Nationaliste
● Écologique
Cette recomposition de l'échiquier politique national pourra, in fine, permettre l’alternance au pouvoir.
9. Réécriture dans la nouvelle constitution de l’article 38 de l’ancienne Loi fondamentale qui peut être interprété, à tort, comme une possibilité offerte au président de saisir le peuple par référendum sur quasiment n’importe quel sujet.
Le recours au référendum doit bien être encadré et il ne peut être mis en œuvre que dans le cadre de la disposition constitutionnelle qui le régit.
10. Le retour au bicaméralisme
Problèmes économiques et sociaux récurrents à traiter par le biais des lois et règlements
Les participants au dialogue national annoncé, pourront par des résolutions faire des propositions pour améliorer les conditions de vie des citoyens. Ces problèmes pourront être traités au niveau de la loi et des règlements. Il s’agit de problèmes récurrents qui ont une propension à s'aggraver au fil du temps avec comme conséquences une probable déstabilisation de l’Etat. Faute de temps et d’espace, on peut les décliner en style télégraphique: santé, éducation nationale, pouvoir d’achat du citoyen, sécurité alimentaire, réorganisation de l’administration et rationalisation de son rendement, nouveau découpage territorial avec regroupement de régions en pôles économiques et création de régions autonomes, protection de l’environnement, lutte contre le trafic des faux médicaments, et celui des stupéfiants, immigration clandestine, renforcements des moyens de défense de l'armée nationale.
Meurtris par des décennies de frustration, de privations et d’arbitraire, les mauritaniens sauront avec l'avènement de la 3ème république que les lignes ont bougé et que le temps des promesses non tenues est révolu.
Le président, en démocrate, aura tracé un nouveau cap pour le pays où toutes les ethnies nationales seront traitées sur un même pied d'égalité avec justice et équité.
Ce changement de la constitution aura, sans doute, un impact psychologique et politique considérable sur l’opinion publique. Car il s’agira d’un électrochoc salvateur pour mettre fin à la torpeur ambiante avec, en perspective, un nouvel horizon qui fera rêver.
Ce faisant, on tournera la page d’un passé révolu. Et ce d’autant plus que la conjugaison de plusieurs facteurs, politiques, économiques, démographiques, culturels, sociaux et sociologiques a radicalement bouleversé la scène politique nationale. C’est pourquoi, il serait illusoire de vouloir continuer à gérer le pays avec un logiciel qui date du milieu du siècle dernier.
Si cette idée d’un changement de régime est retenue, on pourra procéder, le moment venu, à l'élaboration d’un avant-projet, une première mouture de la nouvelle constitution, destinée à qui de droit.
Si le dialogue national annoncé venait à relever ce défi, on aura sauvé la Mauritanie de la désunion et du chaos. En revanche, s’il échoue dans sa mission, c’est-à-dire si l'applicabilité et l'opérabilité de ses conclusions ne sont pas évidentes et acceptées par la majorité des acteurs politiques, ce dialogue s'avèrera alors contre-productif.
Toutefois, la responsabilité de cet éventuel échec n'incombera certes pas au coordinateur dont les qualités intrinsèques et particulièrement son talent de fin négociateur sont bien connus. Cette responsabilité sera alors du seul fait d’une absence de volonté politique.