
À Zaouiya chez Mint Elmoujebed
A Zawiya, notre séjour était des plus agréables. Nous vivions parmi une petite communauté mauritanienne. Ses éléments, tous des hommes, jeunes pour la plupart, travaillaient presque tous dans des entreprises libyennes. Le jeu de cartes constituait l’unique moyen pour tuer le temps, ce temps, souvent long et ennuyeux. Il semble que ce pays n’était pas très attirant pour les loisirs. Notre principal lieu de retrouvailles fut une modeste maison habitée par une vielle dame d’origine mauritanienne dont l’âge devrait dépasser à l’époque les 70 ans. D’après ses agréables récits, elle avait accompagné plusieurs chefs d’Etat africains au moment des indépendances de leurs pays.
L’ambassadrice itinérante de notre pays
Elle cite notamment, le président Mokhtar Ould Daddah de Mauritanie, ainsi que des chefs d’Etat des pays africains de la zone et d’Afrique Centrale. Elle entretenait une amitié intime avec le guide libyen Mouaamar Elghaddafi. C’était justement cette liaison avec Elghadhafi qui nous avait servi de baraka jusqu’à notre sortie indemnes du territoire libyen. Si mes souvenirs sont bons, elle portait le nom de Vatma Mint Elmoujebed et appartiendrait à la tribu des Kounta selon mes dernières informations.
Des conditions de vie presque gratuites
En Libye, la vie paraissait si facile en ce moment. A l’aide de la valeur de 20UM, nous payions tout notre petit déjeuner. Du miel naturel, des fromages, du beurre, du chocolat, ainsi que du pain sous forme de gros gâteaux circulaires. Le pain ici portait le nom de « Elaïch ». Nom qui n’était pas étranger à mes oreilles à moi, puisque j’étais originaire d’une région où ce nom était porté par la galette de mil qui ne cessait de réveiller chez moi le souvenir de ma vielle grand’mère Elkhait dite Aka lorsque je la réveillais pour son diner à base justement de cette galette de mil ou Elaïch. La vieille Mint Elmoujebed supervisait la préparation de nos différents repas quotidiens. Leurs constituants étaient aussi bon marché que ceux de notre petit déjeuner. Je me rappelle qu’en Tunisie, on payait un poulet entier à l’aide de la valeur de 1.500UM. En Libye de l’époque, on l’avait à un prix correspondant à 50UM.
A la station, le carburant était presque gratuit. Les conducteurs de véhicules circulant entre la Tunisie et la Libye s’arrangeaient pour faire le plein en Libye. Ils en remplissaient en même temps de gros bidons qu’ils chargeaient dans leurs mallettes-arrière pour éviter d’être contraints de s’approvisionner en Tunisie.
Le riz un plat idéal pour la longévité
Mint Elmoujebed me rappelait encore un autre souvenir non moins agréable. On s’ennuyait souvent à consommer constamment les pâtes le soir. Elle nous avait conseillé de les remplacer en permanence par le riz. Elle nous rappelait que les peuples les plus nombreux sur terre sont ceux qui consommaient régulièrement du riz dans leurs trois repas quotidiens. Elle en tirait comme leçon que le riz constituait la denrée la plus nutritive et la moins toxique pour l’homme. Ça c’est pour ce qui est de la vie culinaire.
Se remplir le ventre, se vider l’esprit
D’autres aspects de la vie étaient plutôt durs, voire insupportables. Le citoyen libyen jouissait absolument d’une grande liberté de boire et de manger. On lui en offrait d’ailleurs toutes les facilités. Ce qui lui manquait c’était les libertés publiques, toutes les formes de libertés de l’esprit. A Zawiya par exemple, et c’était certainement le cas sur tout le territoire libyen, il n’existait qu’un seul moyen de pouvoir communiquer avec l’extérieur: la poste
En 1996, la révolution du téléphone portable n’avait pas encore atteint notre espace. Pour communiquer avec les nôtres en Mauritanie, on venait à la poste. On faisait la queue. Quand notre tour vint, on nous tendait le combiné du téléphone. Au moment où on se mettait à parler, un agent libyen à l’aide d’un écouteur branché à l’appareil utilisé pour et réservé à cet effet se mettait à écouter notre échange avec notre interlocuteur extérieur.
Ici les mots ont des oreilles
D’après nos ressortissants présents en Libye, le moindre mot suspect entendu dans la communication pouvait être sanctionné par la disparition immédiate du concerné, parfois jusqu’à l’éternité. D’après les mêmes sources, de nombreuses familles libyennes avaient disparu suite, dans la plupart des cas, à une fausse information mettant en cause leur loyauté au régime et à son guide. Les règlements de comptes étaient souvent à l’origine de ce genre de forfaitures.
J’avais beaucoup pensé à ce qu’on nous rapportait des pays de l’Europe de l’Est au temps de l’Union Soviétique. Je soupçonnais qu’en Libye, on s’était beaucoup inspiré des restrictions des libertés dans ces pays au temps du règne des régimes communistes. J’allais jusqu’à me demander si ce qu’on avait envisagé pour notre pays était différent de ce qui aurait été pratiqué dans ces pays dominés par des partis uniques. Comme c’était comme ça, comment on aurait pu envisager les choses autrement?
La délivrance
Après quelque deux semaines en Libye, passées exclusivement entre Tripoli et Zawiya, nous reprenions le chemin du retour. En route pour Jdeir, le poste frontalier avec la Tunisie, on s’inquiétait énormément. On ne savait pas quel guet-apens nous réservaient les hommes de sa majesté Mouammar. Ce sera après qu’on se soit assuré que nous étions effectivement sur le sol tunisien, que nos cœurs cessèrent leur battement irrégulier donnant ainsi à notre tempérament sa sérénité habituelle. Le premier passage en Tunisie fut trop rapide pour nous permettre d’avoir une première idée de ce pays connu pour sa belle couverture végétale. De Jdeir sur les frontières jusqu’à Tunis, la capitale, la verdure bouchait effectivement tous les horizons. Ce qui contraste avec la nudité désertique de la partie libyenne traversée. Pensez au paysage entre Nouakchott et Nouadhibou pour en avoir une idée.
Les poubelles submergent les pétrodollars
Même à l’intérieur de Tripoli, on rencontrait peu d’espaces verts. Dans la capitale libyenne, ce qui attirait l’attention étaient surtout les dunes de poubelles et leurs odeurs nauséabondes qui jonchaient les bords des rues et les places publiques. Ajoutez à ce décor inattendu dans un riche pays pétrolier, un grand nombre de grands buildings inachevés, abandonnés en cours de construction dans presque chaque quartier de la ville. D’après bon nombre d’observateurs, pour donner l’impression au visiteur étranger que le pays souffrait réellement de l’impact de l’embargo aérien, les autorités libyennes faisaient apparaître ce spectacle de désolation. En Libye, nos déplacements s’effectuaient constamment en taxi. A plusieurs reprises, nous fûmes surpris par un conducteur de véhicule personnel, souvent un gradé de l’armée, accompagné par sa femme et ses enfants, qui s’arrêtait pour exprimer le désir de nous prendre avec lui contre quelques centimes de monnaie locale.
Le malheur des uns…
L’embargo contre la Libye avait surtout profité à la Tunisie. Au niveau du trafic aérien, elle devenait le passage obligé pour la Libye. Au plan financier, considérant les difficultés dans le transfert de fonds dressées devant eux par les autorités libyennes, les dizaines de milliers de travailleurs étrangers travaillant dans ce pays préféraient déposer leurs fonds dans des banques tunisiennes. Au moment de notre séjour en Tunisie, le dinar tunisien s’échangeait à parité égale avec le dollar américain. Le boom économique se sentait facilement dans la vie quotidienne tunisienne.
Des passeports mauritaniens aux mains d’inconnus
Rappelons pour l’occasion qu’un nombre illimité d’étrangers, des ressortissants négro-africains notamment, portaient sur eux des passeports mauritaniens. On racontait que la plupart d’entre eux n’avaient jamais posé pied en Mauritanie et ne savaient même pas dans quelle partie du monde elle se trouvait. Il semble que leurs passeports seraient établis par des trafiquants en connivence avec des fonctionnaires diplomatiques mauritaniens durant le séjour d’anciens ambassadeurs mauritaniens en Libye.
(À suivre)