Témoignage de feu Mohamed Ahmed Elmeydah dit Demba après lecture du premier ouvrage: ce que je pense…. Cheddad ou l'ami inconnu

15 May, 2025 - 12:41

Je viens de terminer la lecture passionnante de l'ouvrage de mon ami Cheddad, de son vrai et moins célèbre nom, Ahmed Salem Ould El Moctar. Dans ce livre intitulé "Ce que je pense avant de tout oublier", Cheddad essaie, avec succès d'ailleurs, de se départir enfin d'une carapace de réserve impénétrable qui l'a enveloppé jusqu'ici à mes yeux et me l'a présenté sous la forme d'un personnage mystérieux.
Je l'ai connu très tôt (ou plutôt, je l'ai côtoyé de près) au lycée de Rosso et à Méderdra, sans jamais pouvoir déchiffrer ce qu'il cachait derrière son pas accéléré et son regard furtif... Je le voyais toujours empruntant les ruelles les plus étroites, sans se mêler aux attroupements qui se formaient ça et là pour les raisons les plus anodines.
Je savais, par intuition, qu'il était un haut gradé dans le mouvement des "Kadihines" et j'entendais souvent les "camarades" parler de lui avec une admiration non feinte mais qui ne se justifiait pas à mes yeux. Pourtant, cela accentuait mon désir de l'approcher de plus près...
Ce n’était pas facile ! (J'étais même tenté décrire: de l'apprivoiser) mais une voix intérieure me soufflait que je n’en n’avais pas le droit…
Il faut reconnaître, à sa décharge, que ma position dans le mouvement révolutionnaire en vogue à cette époque-là n'a jamais dépassé le stade de "sympathisant précautionneux" (pour ne pas dire froussard) et que pour cela, je ne méritais pas le privilège de rentrer dans le secret du mouvement.

Sympathisant précautionneux

J'assistais pourtant aux réunions qui se tenaient régulièrement chez Ehl Khoubah ou chez Ehl Zein que lui - Cheddad - ne ratait jamais.
Au cours de ces retrouvailles clandestines, il restait toujours silencieux et presque effacé. On dirait que les "grands camarades" savaient lire ses pensées à travers ce silence complice et cette timidité affichée...
Il m'est arrivé plus d'une fois de penser naïvement qu'il me prenait pour un indicateur de la gendarmerie (un mouchard) tellement il était bref avec moi quand je le croisais par hasard en ville et cela arrivait presque quotidiennement. Il me paraissait tellement "occupé" par "d’autres choses" qui l'empêchaient de s'extérioriser et de mener une vie ouverte comme tous les jeunes de son âge.
Ce livre est enfin venu pour répondre clairement à des questions qui le concernent en premier lieu et que je me suis toujours posées depuis plus de quarante ans. Grâce à ce texte magnifique, j'ai enfin connu mon Cheddad... Ce n'était pas chose facile et j'avoue aujourd'hui que je lui dois des excuses pour les préjugés les plus fous que j’avais à son égard.
Il est vrai qu'à ma décharge, je ne concevais pas qu'un mauritanien puisse aussi longtemps garder le même rythme de vie et supporter autant de sacrifices pour une cause quelconque.
J'ai savouré le récit de sa naissance, ses rapports avec ses maîtres (ou plutôt ceux qui prétendaient l'être), sa vie scolaire faite de détermination et de témérité et son parcours révolutionnaire qui l'a contraint à une éternelle clandestinité qui lui colle toujours bien d'ailleurs.
J'ai aussi détecté le visage humain et presque sentimental de Cheddad à travers ses rapports avec ses parents de tous bords et, aussi inattendu que cela puisse paraitre, ses sentiments affectifs à l'égard de ceux qui pensaient pouvoir le prendre à la légère et le maintenir dans un état primitif de dépendance sociale sans jamais réussir à le dompter.
Je n'y ai décelé aucune rancune, aucun sentiment d'infériorité et c'est peut-être cela qui a fait la force de l'homme et affermi ses capacités d'endurance.

Egal à lui-même
Aujourd'hui, je peux me prévaloir de connaitre le vrai visage de cet ami qui me paraissait hermétique. En plus de tout cela -et c'est le plus important- ce livre retrace fidèlement les moments forts de la plus sérieuse période de l'histoire politique de la Mauritanie indépendante: l'ère du MND et du mouvement (ou parti) des Kadihines.
Ces "camarades", pétris dans l'abnégation et la clandestinité, n'ont jamais voulu nous révéler les secrets de leur mouvement, au risque d'étouffer à jamais la lutte héroïque qu'ils ont menée contre le néocolonialisme et les premiers faux pas de la République naissante.
Et bien que plusieurs d'entre eux (pour ne pas dire l'écrasante majorité) aient vite oublié leur engagement au contact des climatiseurs et de l'argent bienfaiteur, certains - dont en tête Cheddad - sont restés égaux à eux-mêmes et se rappellent encore avec force détails les "belles" années de privations et de torture qu'ils ont endurées.
Je ne cesserai pas d'insister sur la force et la singularité de cet homme qui est resté le même face aux multiples changements que notre paysage politico-social a connus.
Le lecteur averti n'aura aucune difficulté à voir dans le récit de sa vie mouvementée sa ferme détermination à ne jamais dévier du but qu'il s'est tracé depuis sa tendre jeunesse et qui se résume en trois mots: Personnalité - Liberté- Indépendance.
C'est ainsi qu'il n'a jamais été séduit par les mouvements sectaires qui prétendaient servir les mêmes causes que les siennes. L'activisme tribal et le "notabilisme" en vogue, non plus... Et pourtant, il avait bien les moyens d'émerger à travers ces créneaux payants en mobilisant les siens (une parentèle cultivée et politiquement aguerrie) aux plus forts moments de nos innombrables campagnes électorales.
Rien de tout ceci ne l'a intéressé car le MND (mouvement national démocratique) l'a marqué à vie au fer rouge.
"Ce que je pense avant de tout oublier" est donc un livre-témoin dont la lecture m'a ouvert les yeux et permis de comprendre et d'apprécier un grand ami que j'ai toujours apprécié et aimé mais qui m'était jusque-là un parfait inconnu.
 

Mohamed Ould Ahmed Meiddah

 

 

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Condoléances
Foudroyé à l’instant par l’insupportable nouvelle de la disparition d’un plus qu’un ami, d’un plus qu’un frère, en somme d’un idéal humain, un patriote compagnon de lutte de première heure, qui m’était particulièrement cher: Mohamed Ould Ahmed Ould Elmeydah, le professeur inégalé des sciences humaines, le professeur, incarnation de l’ensemble de la production littéraire et artistique de notre pays..  Je m’excuse: les mots me manquent pour continuer!
Suite à cette douloureuse occasion, je présente mes sincères et profondes condoléances à moi-même, aux membres de la petite famille du regretté disparu, à tous ses parents et ses nombreux collègues et amis, ainsi  qu’à la Mauritanie (peuple et gouvernement), au Trarza, à l’Iguidi et à Mederdra chéri: espaces et populations.

تغمده الله برحمته الواسعة وإنا لله واليه راجعون

Ahmed Salem Ould El Moctar-Cheddad