
Autour du plat du Wali
Au moment où débutait l’opération électorale, on s’apprêtait à prendre notre repas, le Hakem de Lekhchaim m’invita à prendre place avec lui et le wali atour du même plat. On était, c’était sûr, accompagné par une quatrième personne. Je ne me rappelle pas laquelle. En principe elle devrait être le maire réélu il y’a quelques instants. Mais si mes souvenirs sont bons je suis sûr que ce n’était pas lui. D’ailleurs depuis le récent crash, le maire évitait tout rapprochement physique avec le wali. Un calme terrible régnait dans la grande salle de la mairie. La discipline du wali s’imposait à tous.
La nouvelle explosion suicidaire du wali
Puis, brusquement une deuxième « explosion » du wali éclata. Cette fois-ci contre ma propre personne. Le Hakem s’adressa à moi pour s’enquérir d’une information. Il avait introduit sa question par mon surnom « Cheddad ». Aussitôt le wali piqua une crise qui faillit le faire écrouler. Manifestement il cherchait ce nom Cheddad depuis son arrivée. Sa bouchée, déjà en grande partie engloutie dans sa bouche, tomba dans leplat. Son visage se déforma. Il fut secoué par le tremblement de tout son corps. Enfin, il réussit à entrouvrir ses petits yeux imbibés de larmes, puis la bouche encore couverte des graisses de la bouchée perdue, avant de cracher et encore difficilement:
« A !…A !…A !…A bon ! C’est…c’est…c’est…c’est toi… Che…dda…d !... ».
Le surnom diabolique
Ce surnom « diabolique » de Cheddad, ce surnom qui apparemment pourrait tuer, ne figurait pas dans la liste des conseillers. Mon nom d’identité est Ahmed Salem Ould Elmoctar. Il avait donc passé inaperçu au wali qui aussi n’a jamais vu mon visage pour lui coller un nom quelconque. Il était passé inaperçu à ses renseignements, qui, apparemment, ne cessaient de lui marteler ce surnom qui faillit l’assassiner: Cheddad.
Un face-à-face inconfortable
C’était donc par surprise qu’il le découvrit. L’effet de surprise eut sur lui l’effet d’un coup de foudre, pas évidement au sens amoureux du terme mais au vrai sens matériel, physiquement destructeur. Cheddad, le vrai, celui qui figurait dans les rapports écrits et oraux de ses renseignements spéciaux, était en ce moment assis devant lui, partageant le même repas avec lui. Probablement, ses renseignements m’avaient présenté pour lui comme un monstre, horrible et impitoyable.
C’était pourquoi, très probablement aussi, mon humble présence passait inaperçue à ses yeux. A sa grande surprise, il découvrit qu’il n’était pas devant un monstre, mais une personne, une si simple personne, jusqu’à l’effacement complet ! Décidément ce n’était pas la première fausse information de nos services de renseignements.
L’empathie pour un piteux wali
Pourtant nous étions encore loin du temps des « fake-news » et des pluies torrentielles déversées par les tweets du « fake-président » des USA, Donald Trump. Comme réaction de ma part, je le regardais droit dans les yeux pour lui répliquer: « c’est bien moi, Cheddad, monsieur le wali ! », en maintenant mon regard branché et offensif sur lui. Le public fut terrifié de nouveau. La dernière fois de la peur du wali. Cette fois-ci par pitié pour celui-ci.
Le hakem au secours de son chef
Pour juguler les éclats de la deuxième « explosion » de son wali, le Hakem intervint aussitôt. L’essentiel était de détourner du wali en difficulté l’attention du petit monde présent. Aux yeux de tous, l’mage qu’ils avaient du wali changea subitement: La première fois il leur apparaissait comme un éléphant, un vrai mammouth capable de dévorer toute une forêt. Cette fois-ci, il représentait à peine un simple ver de terre pressé de trouver une motte de sable humide dans laquelle il pourrait cacher son petit corps frêle, fragile. Pour sauver son wali d’une crise cardiaque imminente, le hakem introduisit un sujet absolument « hors sujet » pour déconnecter le public présent du sujet présent, conjugué intégralement au présent de l’indicatif.
C’était ainsi que l’habile et sage hakem réussit à désamorcer la mini-bombe « c-H » avant qu’il ne fasse trop tard. C’était aussi ainsi que, involontairement, je me suis vengé du wali pour le compte du pauvre maire. Une grande déception du wali, mêlée à une admiration illimitée pour moi s’empara de tous les membres de notre petite honorable assemblée.
Le sentiment de victoire change de camp
Les conséquences de la deuxième explosion du wali transformèrent subitement notre défaite en une éclatante victoire à la fois morale et politique de grande ampleur. Nous partagions tous un vrai sentiment de réelle victoire.
L’effet dérangeant d’un mauvais souvenir
Il arrive souvent que le hasard arrange bien les choses. Quelques années plus tard, je m’étais trouvé face à face avec le même wali « à explosions ». C’était au cours d’une visite du président Maouiya dans une région intérieure, celle du Hodh Echarghi en 1998. Je faisais partie de l’équipe des journalistes. Lui était directeur au ministère de l’intérieur. L’effet du hasard continuait à jouer à chaque fois. A plusieurs reprises, je me trouvais sans le chercher face à l’ex-wali, encore toujours autour d’un plat. A chaque fois il n’arrivait pas à dissimuler sa gêne de ma présence si près de lui. Ce qui risquait de le priver de déguster convenablement les délicieux repas du Hodh.
Un climat électoral sciemment entretenu
Les années 1990 étaient marquées par des élections à répétitions. Il ne se passait pas deux à trois ans sans l’organisation de nouvelles élections, souvent avant échéance. Il n‘y avait aucune explication plausible à cela. Il se pourrait que le régime de Ould Taya pour se perpétuer cherchait constamment à occuper les gens en permanence dans la préparation, l’organisation et le déroulement de nouvelles élections, le plus souvent avant terme. Il se pourrait aussi que les nombreux groupes de mafiosis qui pullulaient autour de lui, cherchaient à travers les élections à faire bouger l’argent à flots en vue d’en profiter à chaque occasion.
Une façon habile d’épuiser l’opposition
De son côté, l’opposition était en permanence occupée et secouée par des crises et de profondes mutations internes. Le principal parti d’opposition, l’UFD en était lameilleure illustration. C’était ainsi que l’UFD tout court va engendrer l’UFD/EN. Cette dernière accouchera, et difficilement, de deux formations: RFD et UFP. Auparavant, ils allaient se tirailler pendant une longue période sur le nom du parti. L’UFP était à dominante des militants de l’ancien MND, alors que le RFD fut constitué, en plus de quelques fils de grandes familles issues du régime du président Mokhtar, d’un grand nombre de cadres techniques et universitaires. Les différents pouvoirs qui allaient se succéder depuis à la tête de l’Etat mauritanien n’avaient cessé d’en recruter, sans jamais parvenir à les épuiser. Pour se faire remarquer par les détenteurs du pouvoir, certains cadres transitent volontairement par le RFD.
(À suivre)