
La raison du plus fort
Depuis un certain temps, un cadre particulier me liait à mon ami Khallihinna: « le Cercle ». C’était comme ça on l’appelait. Il s’agissait en réalité d’une forme de club d’amis. L’initiative de l’organiser me revient. C’était suite à la situation délétère engendrée par les événements raciaux de 1989 à 1991. Les stigmates de ces événements étaient si profonds au point d’entraîner une rupture de confiance presque totale entre les deux principales communautés du pays: les maures et les négro-africains.
Sécheresse: effets collatéraux
Des frictions de routine opposant des agriculteurs à des éleveurs de bétail d’ethnies différentes sont à l’origine d’une confrontation sanglante entre deux communautés liées par plusieurs siècles de coexistence pacifique. Dans le passé, même récent, on assistait des fois à des frictions pareilles et des fois beaucoup plus importantes sans jamais que ça ne dégénère en conflit sanglant généralisé. Chez nos communautés rurales, surtout avant les derniers cycles de sécheresse, agriculteurs et éleveurs réussissaient toujours à régler à l’amiable leurs disputes provoquées souvent par les mêmes causes, du genre: du bétail d’un tel causant des dégâts dans le champ d’un tel.
Tout ce qu’il y’avait de nouveau fut que des décennies successives de sécheresse avaient décimé le bétail des éleveurs et détruit les champs des agriculteurs. Le monde rural était dépossédé de tout. L’élevage et l’agriculture, nécessitant désormais d’énormes moyens financiers, sont devenus l’apanage d’une poignée d’hommes nantis, généralement des hommes d’affaires ou hauts fonctionnaires de l’Etat ou de l’armée. L’agriculture traditionnelle a tendance à disparaitre.
Des bourgeois pas toujours « gentils hommes »
Les anciens ruraux et nomades sont transformés en ouvriers agricoles et en bergers de bétail au service de membres de cette nouvelle classe de
bourgeois, pas toujours « gentilshommes », des hommes aux grands moyens, puisant, presque exclusivement, dans les ressources de l’Etat. Organisés en lobbies et surtout en clans tribaux, les membres de la nouvelle classe dominante, désormais une sorte d’embryon d’une nouvelle bourgeoisie « nationale », se livraient une lutte sans merci afin de gagner le maximum d’influence au niveau du pouvoir d’Etat et de ses
détenteurs.
Ailleurs ça se passait dans des pays semblables au nôtre: une lutte inter-lobbies ou inter-clans, prenant la forme d’un conflit ouvert souvent entre groupes ethniques ou religieux. Son objectif final n’est rien d’autre que de s’emparer du pouvoir d’Etat pour le mettre officiellement au service de sa communauté ou plus exactement dans l’intérêt exclusif de son propre clan au nom de celle-ci et souvent d’ailleurs au détriment d’une majorité de nécessiteux parmi elle.
La perte de toute raison morale ou religieuse
C’était dans ce contexte qu’il fallait placer les événements intercommunautaires de 1989-1991 dans notre pays, ainsi que leur prolongement de conflit avec le Sénégal. Entrainé par des escouades de nationalistes chauvins, le clan le plus puissant, le clan majoritaire, issu généralement de la souche blanche de la noblesse maure, parvint, en usant des moyens de terreur et de violence (et en plein Ramadan), à éloigner toutes velléités de résistance chez les groupes appartenant aux ethnies minoritaires. Pourtant l’escalade sanglante fut engendrée par des provocations répétées menées par des éléments négro-africains chauffés à blanc par un courant ouvertement séparatiste et raciste du nom de FLAM. Des « FLAMMES » qui pourraient brûler leurs propres auteurs!
Les valeurs morales et religieuses étaient bafouées et cyniquement exploitées et interprétées au profit d’objectifs à la fois mesquins et criminels. Ailleurs, on assistait parfois, bien que rarement, à des groupes minoritaires, souvent à l’aide de moyens puissants et des complicités extérieures, qui réussissaient à gagner la lutte pour le pouvoir, marginalisant ainsi des communautés majoritaires dans leurs propres pays.
Les conséquences du pillage de nos ressources économiques et intellectuelles
La confrontation interethnique de 1989-1991, que certains esprits étroits croyaient comme étant spécifique à la Mauritanie et qui était mise en exergue par la présence de deux ethnies se distinguant par la différence de la couleur de la peau, fera tâche d’huile dans de nombreux pays africains et même au-delà. Partout c’est la raison du plus fort qui fera la différence.
En réalité dans la plupart de nos pays du Tiers Monde, le pillage systématique de nos ressources économiques et le détournement de nos ressources intellectuelles de la part, assez souvent, des anciennes puissances coloniales, eurent pour conséquence la paupérisation accélérée des populations de nos pays. Cette situation explique en grande partie la quintessence des luttes intestines opposant les diverses factions au sein des espèces de classes dirigeantes qui gouvernent nos différents Etats.
L’instinct grégaire pour le partage inégal
Dans de nombreux cas, il s’agissait à chaque fois, d’une nouvelle recomposition dans les équilibres des forces en présence. Logiquement, dans toute bataille, la victoire finale appartient au plus fort. Les péripéties du temps n’ont jamais démenti la Fontaine quand il affirmait que: « La raison du plus fort est toujours la meilleure », « La raison du plus fou », écrivait l’hebdomadaire sénégalais « Sud hebdo » au lendemain des événements sanglants opposant des communautés ethniques à cheval sur les frontières sénégalo-mauritaniennes. Rien n’indique que la folie explique tout ici. Pourtant on pourrait bien interpréter de folie des comportements irréguliers rencontrés chez certaines populations vivant des périodes de grandes pénuries dans leurs conditions d’existence. « Certaines classes sont victorieuses, d’autres sont éliminées. Cela c’est l’histoire, l’histoire de l’humanité depuis des millénaires », disait un grand penseur du 20e siècle.
(À suivre)