Le voleur sans frontières des livres

17 December, 2024 - 22:49

Vendredi dernier j’ai eu le privilège d’écouter intégralement l’entretien de mon ami et collègue Mbarek Ould Beyrouk à RFI  dans l’émission « Littérature sans frontières ».

Cheikhou, comme il signait et comme on l’appelait au quotidien national Horizons, s’était exprimé avec une aisance extrême. Dans sa spontanéité habituelle, il avait raconté, aussi en vrac et d’une façon brute, voire brutale, les péripéties de son aventure culturelle.
Sa première lecture, à l’âge de 13 ans selon lui, les misérables de Victor Hugo, va servir de déclic qui marquera tout le reste.
Le livre en question fut une recommandation de son père, instituteur engagé dans le mouvement politique indépendantiste de l’époque. De son père, Beyrouk a hérité le goût de la lecture sans l’engagement politique. Pas de problème: moi, à sa place, sans concertation aucune, j’ai assumé la périlleuse tâche d’engagement, avec tous ces risques, que Cheikhou voudrait peut-être éviter pour ne pas perturber sa concentration littéraire, en plein désert ou sur la plage de Nouakchott.
Toujours avec son franc parler habituel, Cheikhou reconnaît, sans le moindre détour,  avoir volé de nombreux livres au Centre Culturel Français. C’était l’unique moyen, encore selon lui, de se procurer de la lecture. Là, je lui donne raison. Là, aussi il m’incite à reconnaître comme lui qu’à mon niveau, et probablement au même âge, j’avais volé des dizaines de livres littéraires et journaux à la bibliothèque de l’église de Rosso. Aussi pour les mêmes raisons évoquées par lui. Dans ses confessions, le philosophe français J J Rousseau étale au grand jour des aventures pires, et qui n’ont nullement entamé sa réputation. Espérons que, nous aussi, nos lecteurs nous comprennent. D’ailleurs, il serait très possible, que dans leur mission favorisant l’expansion de la langue française, il se pourrait que les deux institutions en question, soient préparées pour ce genre de comportement.

 

Un réactionnaire pur et dur

Aussi, comme Cheikhou, moi aussi, je me suis beaucoup fourni en lecture chez les vendeurs de rue, notamment chez un marchand, probablement pular, qui avait élu domicile devant le building de la BNM, SMB à l’époque. Il serait le même que celui dont parle Cheikhou.
Rappelons, pour l’occasion que Cheikhou est le premier à lancer un hebdomadaire privé en 1988: Mauritanie Demain. Donnant ainsi le coup d’envoi à l’éclosion de la presse indépendante, posant ainsi une première pierre dans la voie de la démocratisation de l’espace public national.
De toute façon, ici je tiens à souligner, qu’ici je ne me permets nullement de me mesurer à un monument littéraire du niveau de Cheikhou, qui est dans son huitième ouvrage et honoré par plusieurs prix internationaux. Ici je regrette que les français, pour des calculs purement politiques, réservent toujours leurs grands prix littéraires à des œuvres littéraires souvent très en deçà des chefs-d’œuvre de Beyrouk.
Seulement voilà: je tiens à me démarquer de Cheikhou sur quelques points, peut-être de seconde importance. Cheikhou publie en français et uniquement en français, au moment où le lecteur français tend à disparaître de notre espace. D’ailleurs il reconnaît, qu’à l’intérieur de notre pays, que son unique interlocuteur en français c’est le livre quand il se mit à le lire. Alors qu’à mon niveau je me tracasse à chaque fois pour se faire entendre par mes concitoyens en majorité formés en arabe. Un autre point de démarcation avec un ami qui m’est particulièrement cher. Cheikhou crie haut et fort, que lui, personnellement, est un réactionnaire pur et dur, se démarquant ainsi de mon sens d’engagement permanent. Pourtant, la dame qui l’avait interviewée lui reconnaît un intérêt profond pour les faibles et les marginaux de la société. Là aussi on se rejoint. Peut-être à partir d’ongles différents.
Toujours dans sa spontanéité Cheikhou condamne au même degré et sans appel l’Islam politique et ce qu’il appelle les corrompus. Ici il se pourrait encore que son éloignement volontaire de la politique l’empêche de voir de façon claire les racines sociales profondes des deux phénomènes. En effet, l’islamisme politique constitue une forme logique de protestation, parfois et notamment contre la corruption de certains régimes arabes et musulmans. On peut ne pas être d’accord avec le système d’alternance qu’il propose. Mais il y’a lieu de lui reconnaitre une certaine légitimité dans son combat contre l’arbitraire de beaucoup de nos gouvernants, y compris leur  corruption.  C’est une forme de militantisme qui supplanta les idéologies militantes du XXe S.
Un autre point de convergence avec un auteur si difficile à accompagner. Cheikhou aime le folklore, notamment Elmedh ou les éloges du prophète Mohamed (PSSL). Ici je lui rappelle l’itinéraire que les gens prêtent à la musique maure. On raconte: qu’elle est née au Hodh, grandit au Tagant, atteignit son troisième âge au Trarza, avant de mourir en Adrar. Raison pour laquelle en Adrar et dans son prolongement inchiren et sahraoui, on ne rencontre comme musique que le genre Elmedh. Ici les griots sont souvent de passage.

A S Elmoctar