Introduction :
La Banque Centrale de Mauritanie (BCM) a récemment annoncé une réduction de son taux directeur de 50 points de base, le faisant passer de 5,5 % à 5 %, un niveau historiquement bas. Cette décision stratégique vise à soutenir la croissance économique, à stimuler les investissements, et à renforcer la consommation intérieure. Toutefois, cette mesure nécessite une gestion rigoureuse pour maximiser ses impacts positifs tout en limitant ses risques.
L’importance de la réduction du taux directeur :
Le taux directeur, principal outil de politique monétaire, joue un rôle déterminant dans la régulation de l’activité économique. En abaissant ce taux, la Banque Centrale diminue le coût du crédit pour les banques commerciales, qui peuvent alors accorder des prêts à des conditions plus favorables aux entreprises et aux ménages. Cependant, cette politique peut avoir des répercussions indirectes sur :
- L’inflation : En augmentant la demande, elle peut exercer une pression haussière sur les prix.
- Le taux de change : Une baisse des taux peut affaiblir l’attractivité de la monnaie nationale.
- L’épargne bancaire : Les taux plus bas peuvent dissuader l’épargne, réduisant ainsi la capacité des banques à financer l’économie.
Contexte économique et objectifs de la Banque Centrale :
Cette décision intervient dans un contexte de reprise économique post-pandémie et de défis liés à la volatilité des prix des matières premières. En 2023, la croissance économique de la Mauritanie était estimée à 4,5 % (Banque Mondiale), mais cette dynamique reste fragile, en raison de la dépendance du pays aux exportations de fer et d’or.
Les objectifs principaux de la BCM sont :
* Stimuler l’investissement : En rendant les crédits plus accessibles, la Banque vise à encourager les entreprises à investir dans des secteurs stratégiques comme l’agriculture, qui représente 26 % du PIB, et les infrastructures.
* Renforcer la consommation intérieure : La consommation privée représente environ 60 % du PIB et constitue un moteur essentiel de la croissance. Des crédits plus abordables pour les ménages devraient renforcer cette composante.
* Amortir les chocs externes : En compensant les fluctuations des prix des matières premières, cette politique monétaire vise à stabiliser l’économie.
Comparaisons avec d’autres pays africains :
* La Mauritanie rejoint d’autres pays africains ayant adopté des politiques monétaires similaires :
- Maroc : En 2020, la Banque Centrale du Maroc a abaissé son taux directeur à 1,5 % pour soutenir la reprise économique après la pandémie. Cette initiative a contribué à une croissance de 6,3 % en 2021 (Haut-Commissariat au Plan).
- Sénégal : En 2023, la BCEAO (Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest) a ajusté ses taux pour soutenir la croissance dans la zone UEMOA, confrontée à une inflation moyenne de 7,5 %.
- Égypte : Face à une inflation dépassant 30 %, la Banque Centrale d’Égypte a opté pour une gestion fine de ses taux, alternant entre hausses et baisses pour équilibrer croissance et stabilité monétaire (FMI, 2023).
Impacts économiques attendus en Mauritanie :
* Sur l’investissement et la consommation : En rendant les crédits plus abordables, cette mesure devrait dynamiser l’investissement des entreprises et stimuler la consommation des ménages. Cependant, le taux de bancarisation, limité à 22 % (Banque Mondiale, 2022), pourrait freiner l’impact de cette politique sur une grande partie de la population.
* Sur l’inflation : Une augmentation de la demande intérieure risque d’accentuer la pression inflationniste, surtout si l’offre locale est insuffisante pour répondre à cette demande. En 2023, l’inflation en Mauritanie s’élevait déjà à 4,1 %, principalement en raison de l’augmentation des prix des produits importés (FMI).
* Sur le taux de change : La baisse des taux pourrait affaiblir l’ouguiya face aux devises étrangères, rendant les importations plus coûteuses mais renforçant la compétitivité des exportations. Cette dynamique pourrait bénéficier aux secteurs clés comme la pêche, qui représente 10 % du PIB et 30 % des exportations (Banque Centrale de Mauritanie, 2023).
Défis et opportunités spécifiques à la Mauritanie :
* Inflation : Une demande accrue pourrait aggraver l’inflation, notamment pour les produits alimentaires importés.
* Économie informelle : Avec plus de 40 % de l’économie hors du système bancaire, l’impact de la politique monétaire risque d’être limité.
* Fragilité financière : Une dépréciation excessive de l’ouguiya pourrait affecter la dette extérieure, estimée à 64 % du PIB en 2023.
Opportunités :
* - Diversification économique : Les taux réduits peuvent inciter à investir dans des secteurs comme l’agriculture et la pêche, réduisant la dépendance aux ressources minières.
* - Création d’emplois : Une croissance stimulée par l’investissement pourrait réduire le chômage, actuellement estimé à 11 % (Banque Mondiale).
* - Inclusion financière : Les banques commerciales pourraient utiliser cette opportunité pour étendre leurs services à des segments non bancarisés.
Recommandations :
Pour maximiser l’impact de cette mesure, il est essentiel de :
* Renforcer la production locale : Des investissements dans l’agriculture et l’industrie sont nécessaires pour répondre à la demande intérieure et limiter l’inflation.
* Améliorer l’inclusion financière : Encourager la bancarisation à travers des initiatives ciblées, comme le microcrédit, pour atteindre les populations non bancarisées.
* Surveiller les déséquilibres macroéconomiques : Mettre en place des mécanismes pour surveiller l’inflation et stabiliser le taux de change.
Conclusion :
La réduction du taux directeur par la Banque Centrale de Mauritanie est une mesure ambitieuse qui pourrait accélérer la croissance économique du pays. Cependant, cette initiative ne pourra atteindre son plein potentiel que si elle est accompagnée de réformes structurelles et de politiques visant à diversifier l’économie.
L’expérience de pays comme le Maroc et le Sénégal montre que la réussite d’une telle politique repose sur un équilibre entre stimulation de la croissance et maintien de la stabilité macroéconomique. En Mauritanie, cette mesure représente une opportunité de relancer l’investissement, de diversifier les activités économiques et d’assurer une croissance durable et inclusive.
Références :
1. Banque Centrale de Mauritanie, Rapport annuel 2023.
2. Banque Mondiale, Rapport sur l’économie mauritanienne (2023).
3. FMI, Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne (2023).
4. BCEAO, Rapports sur les politiques monétaires dans la zone UEMOA (2023).
5. Haut Commissariat au Plan (Maroc), Rapport économique national (2021).
France, le 12/12/2024
Sid’Ahmed Ould Sidi Saleck
Inspecteur du Trésor