En se déclarant compétente pour juger l’ancien président de la république, sans tenir compte de la décision du Conseil Constitutionnel n°09/2024 du 5 novembre 2024, la cour d’appel botte en touche.
L’article 2 de la loi n°2016.014 relative à la lutte contre la corruption en son alinéa b1, définit l’agent public comme « toute personne civile ou militaire qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif, judiciaire, qu’elle soit nommée ou élue, à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit rémunérée ou non, et quel que soit son niveau hiérarchique ou son ancienneté ».
C’est cet article qui, aux yeux de la justice mauritanienne, justifie le renvoi de l’ancien président de la République devant les juridictions de droit commun, au motif qu’il rentre dans la définition de l’agent public telle que formulée par ledit texte, faisant de la sorte fi des droits dont bénéficie le président de la République au vu de la constitution, en sa qualité de garant de la constitution, de président du conseil supérieur de la magistrature, de chef suprême des forces armées, d’incarnation de l’Etat……….. Et en violation du privilège de juridiction que lui reconnaît l’article 93 de la constitution, aux termes duquel il ne peut être jugé que par la Haute Cour de Justice, et seulement pour haute trahison, ne pouvant de surcroît être mis en accusation que par l’Assemblée nationale, statuant en séance plénière, à la majorité absolue de ses membres.
Non-conformité partielle
Le collectif de défense de l’ancien président de la République, Mohamed ould Abdel Aziz a attaqué cette définition, en inconstitutionnalité ; ce sur quoi le conseil constitutionnel a décidé d’interpréter le texte attaqué, s’étant convaincu que cette interprétation est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité, au motif sous-jacent, que l’article attaqué ne respecte pas le principe de clarté, et l’objectif de valeur constitutionnelle, d’intelligibilité, et d’accessibilité de la loi.
Ce principe, dit principe de clarté de la loi, consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1789, impose au législateur de formuler les textes relevant de sa compétence de manière non-équivoque, pour éviter que les autorités administratives et juridictionnelles, ne s’arrogent le droit de fixer par le biais de l’interprétation, des règles dont la détermination, est exclusivement confiée par la constitution à la loi.
S’il en est autrement, les sujets de droit se trouveront de la sorte, exposés à toutes sortes d’interprétations, aussi arbitraires les unes que les autres, ayant pour seul objectif d’altérer le sens de la loi, au profit d’intérêts particuliers, et en rébellion contre l’Etat de droit.
Ne dit-on pas que l’interprétation est la forme civile de la rébellion ?
Au vu donc de cette approche proprement pédagogique, le conseil constitutionnel a affirmé, dans sa décision n°09/2024 du 5 novembre 2024, la conformité de l’article attaqué à la constitution, sous la réserve que cette conformité ne viole pas l’intangibilité de l’article 93 de la constitution proclamant les droits et prérogatives du président de la République.
C’est ce qui ressort du dispositif de la décision du conseil, ainsi libellé :
a) L’alinéa b 1 de l’article 2 attaqué n’est pas anticonstitutionnel.
b) L’alinéa b 1 de l’article 2 n’altère en rien le caractère intangible des droits et libertés du président de la République, tels que définis par l’article 93 de la constitution.
Il s’agit donc d’une non-conformité partielle, le conseil constitutionnel ayant admis le caractère constitutionnel de l’article 2, tout en y apportant une exception fondée sur l’article 93 de la constitution.
Or, que dispose la constitution, en son article 93 ?
-Que le président ne peut être jugé que pour haute trahison.
- Qu’il ne peut être mis en accusation que par l’assemblée nationale statuant au scrutin public, et à la majorité de ses membres.
-Qu’il ne peut être jugé que par la Haute cour de justice.
Par ailleurs, la décision du conseil constitutionnel s’inscrit en droite ligne dans la jurisprudence de celle rendue par la même assemblée en date du 13 novembre 2024, sous le n°8/2024 qui retient dans ses motifs que « Le président de la République est le garant de la constitution, et qu’il est l’incarnation de l’Etat…».
Quand la Constitution prévaut
Il reste à préciser que la Convention des Nations Unies contre la corruption consacre la primauté de la loi et des principes constitutionnels de l’Etat Partie, sur le contenu de la convention ; à titre d’exemple, on retiendra la définition par la Convention de l’enrichissement illicite qui, en son article 20 stipule que « sous réserve de sa constitution et des principes fondamentaux de son système juridique, chaque Etat Partie envisage d’adopter les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale, lorsque l’acte a été commis intentionnellement, à l’enrichissement illicite, c’est-à-dire une augmentation substantielle du patrimoine d’un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes » ; l’expression « sous réserve de sa constitution et des principes fondamentaux de son système juridique » apparaît en plusieurs endroits de la Convention des Nations Unies contre la corruption, c’est dire que s’il y a conflit entre un texte de la Convention des Nations Unies contre la corruption et un autre de la constitution de l’Etat Partie, c’est la constitution de l’Etat Partie qui prévaut, et cela explique que le conseil constitutionnel se soit réservé sur l’applicabilité de l’article 2 de la loi contre la corruption, au président de la République.
Fort de la décision du conseil constitutionnel, le collectif chargé de la défense de l’ancien président, Mohamed ould Abdel Aziz, a demandé à la cour d’appel, de se dessaisir du dossier et d’en ordonner le renvoi à la Haute Cour de Justice, par application du privilège de juridiction tel que proclamé par l’article 93 de la constitution.
Se prononçant sur cette requête, la cour d’appel a botté en touche, en considérant que la décision du conseil constitutionnel est sans incidence sur le déroulement de la procédure ! Cela constitue un déni de justice, car il appartient à la cour, de statuer sur l’exception d’incompétence, à la lumière de la décision du conseil constitutionnel, sans pouvoir l’ignorer, et faire comme si cette décision n’a jamais existé, ou pire encore, comme si elle constituait un acte inexistant.
En agissant de la sorte, la cour d’appel viole l’article 87 de la constitution, aux termes duquel, « les décisions du conseil constitutionnel, s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».
Nous sommes bien en face d’un déni de justice.
*Avocat à la Cour
*membre du collectif de défense de l’ancien président de la république Mohamed ould Abdel Aziz.