Pollution tous azimuts

3 December, 2024 - 22:59

Asphyxiée, faute d'espace vert ou d'espace public tout court, Nouakchott subit une pollution galopante provoquée par la vétusté de son parc automobile et, plus encore, par l’irrésistible invasion des briqueteries qui jalonnent les principales artères de la ville, particulièrement la Route de l'espoir, faisant de la moughataa de Toujounine la zone la plus viciée de la capitale. Brouillards et vagues de poussière, débris de carrières et ciments sont partout et se déposent sur les produits alimentaires exposés aux étals mettant un péril la santé publique.

Des rafales de sable giflent les piétons chaque fois qu'un véhicule passe. La route est prise en assaut par toutes sortes de projets et activités encombrantes et polluantes, sinon polluées : réparations, vidanges et lavages de voitures, « Michelin », ordures á même le sol et sur le goudron, déchets solides et liquides, décrassages d'habits et d’immeubles, marchandises exposées en vrac, découpes en plein air de viandes, vente à l’étal de poulets, légumes et fruits, etc. Dans cet environnement des moins attractif, toutes les odeurs sont présentes… sauf celle des fleurs.

Les étrangers ne sont pas en reste puisqu'ils sont en mesure d’accomplir chez nous toutes les activités insalubres qu’ils ne sont pas autorisés à exercer chez eux : j'ai visité seize pays en Afrique, Amérique, Asie et Europe, sans jamais remarquer la moindre briqueterie dans l’espace public !  Chez nous, la pollution par le ciment est perceptible en chaque foyer de la moughataa de Toujounine ; tous ceux qui parcourent la Route de l'espoir se retrouvent souvent bloqués par des camions livrant carrières et ciment á ces dépôts encombrants qui déversent directement leur matériel sur le goudron. L'air de cette moughataa est empuanti par la fumée des ordures et des usines de recyclage de ferrailles…

Bref, une pollution tous azimuts qui s'amplifie d’année à l’autre dans cet espace où le peu d'urbanisme naguère visible dans le tracé des rares routes est quasiment réduit à néant, illégalement grignotées qu’elles sont de toutes parts, au point de devenir exigües et impraticables. Et les réseaux d'eau et d'électricité suivent cette nouvelle donne ! C’est devenu presque ordinaire de retrouver un poteau électrique au milieu de ce qui reste d’une route, tandis que le manque de suivi et, surtout, de concertation entre les services concernés renforcent le désordre régnant dans cette moughataa.

 

Enorme gaspillage

On parle d’investir plus de cinquante milliards d’ouguiyas MRO pour moderniser Nouakchott mais il faudrait d’abord commencer par sevrer les budgétivores qui ont littéralement « vaporisé » tous les financements dans les « secteurs-trous » comme l'eau, l'électricité, l'assainissement et surtout la voierie. Combien de milliards « investis » dans ces domaines sans jamais donner la moindre satisfaction ! En ce qui concerne l'eau, avec les extensions à l'infini de sa desserte à partir du Fleuve, la soif est encore loin d’être étanchée ! Pire, on peut voir un quartier de la ville immergé dans les eaux du vétuste réseau SNDE, alors que le quartier voisin n’en trouve pas une seule goutte. A-t-on jamais évalué l’étendue de cet énorme gaspillage ?

Pour ce qui est de l'électricité, il n’y en a pas moins à dire. Après l'électrification, tambours battants, de treize villes et le renforcement des capacités énergétiques du pays, au point de claironner une prochaine exportation de cette énergie, les délestages se poursuivent comme avant… et même bien plus qu’avant ! Quant à l'assainissement, il en est question à chaque hivernage, à chaque fois que les pluies inondent des quartiers entiers. Avec toujours les mêmes pis-aller des citernes circulant des jours durant en ronde pour aspirer les eaux fétides. La même rengaine à chaque saison de pluie, á défaut de trouver une solution définitive…

En termes d'infrastructures routières, notre retard est considérable, comparativement aux pays voisins pourtant moins dotés en ressources budgétaires. Aucun confort ni sécurité : les nids de poule, l'ensablement des villes et, entre elles, les vents de sable qui causent tant de pertes en vies humaines et en matériel ! Avec ici encore, le même pis-aller de la rotation incessante des bulldozers qui déplacent aujourd'hui le problème pour le voir revenir demain á la même place ! Il s’agit, là encore, de mettre en œuvre une nouvelle approche pour résoudre définitivement la question. La solution la plus appropriée fait appel à des projets agricoles le long des routes menacées, en irriguant ceux-là : en ce qui concerne l’axe Nouakchott-Nouadhibou, grâce au dessalement de l'eau de mer avant de la raccorder aux zones ciblées, et, pour ce qui est de la route Nouakchott-Boutilimitt, de recourir à l'eau du Fleuve.

Une telle solution répondra à quatre objectifs de développement : la sécurité alimentaire, la production d'emplois, la fixation des dunes et la lutte contre la désertification. Il y va de l'intérêt de notre pays d'instaurer un nouveau paradigme de gestion fondé sur la rigueur et l'éthique, après soixante-quatre ans de laisser- aller. Sans cela et quelle que soit l'ampleur des montants mobilisés, aucune infrastructure ou projet répondant aux normes n’est envisageable et le visage de Nouakchott restera terne… et de plus en plus pollué.

Mohamed Ahmed Cheikh

Ingénieur