Le gouvernement mauritanien a annoncé, il y a quelques jours, la décision de lancer un programme intégré d’urgence visant à développer et à moderniser Nouakchott, grâce à un financement de cinquante milliards MRO. Il s’agit, indique-t-on, de construire de nouvelles infrastructures, réhabiliter celles existantes dégradées ou inadaptées, améliorer les conditions de vie des populations de la capitale et d’en promouvoir de nouvelles... Une grosse somme pour certains ; un montant dérisoire, goutte d’eau dans un océan d’indigences, pour d’autres. Dans tous les cas, il est évident que les besoins de la capitale sont plus qu’énormes. Depuis que le montant est annoncé, les spéculations vont bon train, chacun y va de sa calculette. Les hommes d’affaires, les entrepreneurs, les bureaux d’études et de contrôle, les ministres et secrétaires généraux se lèchent les babines. Chacun imagine ce qu’il pourrait tirer de cette manne destinée à ce qui ressemble aux travaux d’Hercule du second quinquennat du président Ghazouani. La question que l’on se pose aujourd’hui est de savoir par quel bout les responsables seront impliqués dans cet ambitieux projet. Au cours d’une réunion tenue au palais présidentiel le 5 Novembre sous la présidence du chef de l’État, en présence du Premier ministre, les membres du gouvernement impliqués ont exprimé, chacun en ce qui le concerne, les besoins de son département. Les priorités fixées concernent l’eau, l’électricité, la santé, l’éducation, l’assainissement et l’hygiène, ainsi que les infrastructures routières et sportives, comme le rapporte « La Semaine » de notre présente édition. Un projet trop ambitieux ? En tout cas, l’énormité de l’enjeu appelle à un suivi très strict de la répartition du pactole et les arbitrage du PM ou du président de la République.
Compte tenu des lenteurs et la qualité, disons approximative – un euphémisme de bon aloi… – des travaux des différents chantiers exécutés ou en cours d’exécution depuis quelques années dans la capitale, plusieurs observateurs avertis pensent que le gouvernement devrait limiter ses ambitions à quelques axes prioritaires. L’état des voiries doivent notamment pousser le gouvernement à plus de prudence. C’est dire que les volets « infrastructures routières », « voirie » et « assainissement » doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
Les priorités de la capitale
Nouakchott a besoin d’énormément de choses pour se moderniser, avec des travaux assortis de plusieurs conditions. D’abord, un diagnostic sérieux des préoccupations des populations. En ce qui concerne le réseau routier, une commission d’experts interdisciplinaires en urbanisme, assainissement et d’ingénieurs en génie civil devrait plancher des mois durant sur ses différentes composantes pour éviter précipitations, chevauchements et bricolages. La réalisation des routes de Nouakchott a déjà démontré combien nos responsables ne tirent pas les leçons des expériences passées. Les travaux de construction de l’axe des PK, allant de la centrale chinoise au carrefour Bamako, n’en finissent pas : on bitume des ronds-points pour les casser en quelques mois ; les routes sont mal nivelées par rapport à certaines habitations ; le goudron est partout de mauvaise qualité – il se dissout même parfois dans l’eau ! – et se dilate par endroits. Cela doit cesser, on ne peut pas construire une route goudronnée à la va-vite.
En plus de ces défauts, il suffit qu’une petite pluie pour que quasiment tous les quartiers de la ville se noient ; l’eau stagne partout, bloquant la circulation des heures durant, voire des jours, et il faut déployer des citernes pour pomper les eaux. Les habitants de la capitale avaient cru en finir avec l’affligeante spectacle d’une ville sinistrée à chaque fois qu’il pleut ou vente. D’importants travaux d’assainissement n’avaient-ils pas été engagés, il y a quelques années, pour évacuer les eaux stagnantes vers l’Océan. Où en sont les fruits ?
La mauvaise qualité des infrastructures de la voirie de la capitale pose un sérieux casse-tête pour les autorités locales. La mobilité urbaine est en jeu. Circuler à Nouakchott, particulièrement en centre-ville aux heures de pointe, est devenu un calvaire. Trop de rues sont étroites et les mauvaises habitudes de conducteurs indisciplinés vient accentuer et aggraver les embouteillages. Certains mauritaniens cultivent un excessif goût d’esbroufe dans leur grosse cylindrée occupant le plus d’espace possible. En Europe, ce type de véhicule est très rare, les gens utilisant de petites voitures, plus faciles à manier et à garer. À cela s’ajoute l’absence de parkings et autres parcs de stationnement, notamment sous les grands immeubles. Pourquoi nos urbanistes ont-ils négligé ces opportunités ?
Les efforts de la mairie de Tevragh Zeïna dans le domaine de la mobilité urbaine sont à saluer et à démultiplier. Les résultats sont palpables en centre-ville où l’on circule plus aisément depuis quelques mois. Ces efforts de normalisation ont touché les alentours du marché Capitale, vidé de marchands ambulants et du désordre qu’ils semaient avec les boutiquiers. Les piétons éprouvent encore du mal à se déplacer dans les autres marchés et les dégâts, en cas d’incendie, pourraient y être énormes, tant l’accès est compliqué. La mairie de Sebkha s’efforce elle aussi à rendre accessible son grand marché. Sur ce plan, il faudra surtout discipliner les commerçants et les citoyens : ils doivent changer de comportement, leur rapport avec leur environnement et avec leur administration…
Des transports en commun indispensables
Nouakchott ne dispose pas de moyens de transport en commun confortables, accessibles et rapides. Un bon équipement en ce sens permet aux citoyens de se déplacer aisément pour se rendre au travail ou pour faire des courses personnelles et permet de réduire la pression des véhicules privés et la pollution. Il s’agit de proposer une alternative pertinente au goût des mauritaniens à se pavaner dans un véhicule personnel, histoire de l’exposer aux amis, collègues et voisins. Ce que propose à cet égard la Société Mauritanienne de transport Public (STP) est vraiment dérisoire : ses usagers perdent du temps, les lignes sont mal structurées, les arrêts informels, certains quartiers mal desservis ; ses bus ne circulent pas en permanence. Les taxis tout-droit et autres anciens cars ne règlent en rien le problème : en plus d’être inconfortables et chers, ils sont tout aussi soumis aux embouteillages que les véhicules personnels.
Un transport commun rapide et accessible règle beaucoup de problèmes dans la ville dont celui de la marche à pied. C’est aussi une boussole pour les visiteurs. On pense évidemment ici à des lignes de métro, un projet cependant particulièrement complexe dans notre univers de sable, singulièrement perturbateur des acquis fonciers et probablement excessivement onéreux. Mais il existe des solutions plus conciliantes : petits trains ou tramways. Avec des stations espacées les unes des autres de quelques centaines de mètres, les fonctionnaires et autres travailleurs n’auront que peu de pas à accomplir pour rallier leur lieu de travail, le matin, et regagner, le soir sans encombres, leur domicile jusqu’en banlieue lointaine. Une évolution d’autant plus remarquable qu’un nombre croissant de véhicules personnels n’auront plus à quitter journellement leur garage, aérant ainsi concrètement la circulation piétonnière…
Ces efforts doivent être accompagnés par l’interdiction systématique de la circulation en ville des gros camions entre 7h du matin et 22h le soir. On voit le désordre qu’ils sèment partout, notamment à Sebkha et El Mina (route carrefour Madrid-carrefour Bamako, route du Wharf et du Port, etc.). Derrière leur volant, certains de leurs conducteurs se comportent en roi de la jungle : « je suis l’éléphant, j’ai donc toute priorité »… et les chocs se multiplient. Avec les travaux qui traînent en longueur sur ces axes très passants, on mesure toute l’importance d’une telle disposition. Il faut rappeler qu’une mesure analogue avait été prise, il y a quelques années, par l’autorité de régulation des transports mais elle ne put prospérer, les grands commerçants s’y étant vite assis dessus. En toute impunité, comme toujours…
Enfin, si le projet de développement et de modernisation de Nouakchott doit passer par son développement en longueur et en largeur, il doit surtout évoluer sur la hauteur : les bureaux de notre administration sont trop dispersés. La chanson des pouvoirs publics : « une administration proche et au service des citoyens » signifie certes décentralisation mais pas éparpillement de tous les services. Il ne sert à rien de déshabiller les uns pour habiller les autres : il s’agit d’agir avec méthode en concentrant ce qui doit être regroupé et en déléguant ce qui peut l’être, avec un maximum d’autonomie.
Des libéralités à revoir, d’autres à exclure
À Nouakchott, les autorités et nos urbanistes ont laissé faire, distribuant à tour de bras, surtout à des privilégiés, des milliers de terrains à usage d’habitation ; certains en disposent en quantités et continuent à en obtenir. La fondation de nouveaux quartiers via distributions de lopins de terre, le plus souvent pour des raisons politiciennes, exige leur viabilisation : il faut y construire des infrastructures de base – eau potable, école, électricité, poste de santé, routes et service de sécurité, marché d’approvisionnement en produits vitaux, etc. – et cela nécessite de gros moyens. Or nombre de nos nouveaux quartiers banlieusards manquent de ces infrastructures essentielles et se rendre en centre-ville pour leurs habitants est tout autant une nécessité qu’un véritable calvaire.
Si l’on ajoute à tous ces problèmes la volonté d’améliorer les conditions de vie des populations, c'est-à-dire approvisionner régulièrement le marché en produits vitaux, réguler les prix et sanctionner les malfrats, on comprend que le gouvernement mauritanien a engagé de véritables travaux d’Hercule, comme nous l’annoncions en exergue de cet article. Espérons tout simplement que tous les profitards qui gravitent autour du pouvoir ne réussissent pas, comme par le passé, à s’accaparer des cinquante milliards ordonnés par le président de la République et à se les partager, au détriment de l’immense majorité de leurs concitoyens. C’est la lancinante question qui taraude les citoyens mauritaniens.
Dalay Lam