Hilaire de Crémiers écrivait dans son article « La folie des grandeurs » que « c’est le régime qui la suscite. Celui qui tient le pouvoir veut y briller comme un homme providentiel. » Cette observation soulève une question essentielle sur la tentation de certains leaders à se positionner comme les « sauveurs » de leur nation. Cette aspiration à briller peut se révéler à la fois comme un moteur d’ambition et un terrain glissant vers l’autoritarisme.
L’homme providentiel se présente comme un leader aux pouvoirs quasi mythiques, un «sauveur » sans qui l’avenir de la nation serait compromis. Porté par une vision personnelle de «mission » pour son peuple, il développe un discours exalté, centré sur son rôle unique dans l’histoire. Une rhétorique de grandeur et de nécessité qui, sous le vernis d’une mission historique, cache souvent une volonté de centraliser le pouvoir et de marginaliser les institutions.
Soif de pouvoir excessive
Dans cette dynamique, l’homme providentiel devient plus qu’un simple dirigeant. Il aspire à incarner l’État lui-même, à devenir indispensable au point où la structure même du pouvoir repose essentiellement sur lui, au détriment des institutions démocratiques et de leur équilibre.
Cette « folie des grandeurs » en politique, décrite par de Crémiers, se manifeste par une soif de pouvoir excessive, doublée d’un mépris pour les institutions de la République, souvent perçues comme des freins à l’action du « sauveur ». Dans ce cadre, la quête de grandeur conduit le leader à voir toute institution ; le parlement, la justice et la presse comme un obstacle à contourner, voire à soumettre.
Sous couvert de résoudre des crises, de répondre aux aspirations populaires ou de mener la nation à sa « renaissance », ce type de dirigeant cherche à neutraliser toute forme de critique. Seul détenteur de la vision et de la solution, il se présente comme irremplaçable. Cette exclusivité de la vision légitime son autorité et fragilise le principe de séparation des pouvoirs, base de toute démocratie.
La posture de « sauveur » fascine souvent les citoyens, surtout en temps de crise ou d’incertitude. Elle peut susciter un soutien populaire large et mobiliser des foules en période électorale. Cependant, l’idée d’un « sauveur » en politique n’est jamais sans risque. Lorsque le pouvoir repose sur une seule figure providentielle, il laisse peu de place à la critique, au débat, ou à toute forme de remise en question.
En étouffant la pluralité, ce mode de gouvernance menace la liberté d’expression et la richesse du débat démocratique. Les contre-pouvoirs sont marginalisés, intimidés, voire harcelés. Les voix dissonantes sont vite considérées comme des obstacles à l’« avancée» du pays, ou, pire, des ennemis de la nation.
Pour maintenir son emprise et s’imposer comme la seule option possible, le « sauveur » utilise souvent la propagande. Contrôle des médias, manipulation de l’information, mise en avant de ses succès et minimisation de ses échecs : tout est orchestré pour façonner l’opinion publique à son avantage.
Citoyens déresponsabilisés
Ce culte de la personnalité fait taire toute critique en transformant celle-ci en attaque contre l’État, la nation ou la stabilité du pays. Toute contestation est perçue comme une trahison, tandis que les réformes sont façonnées autour de la vision du dirigeant, ignorant souvent les principes démocratiques qui prônent la transparence et le partage du pouvoir.
Les critiques et opposants sont souvent intimidés, réduits au silence ou marginalisés. Dans un contexte où le dialogue devient impossible, le débat constructif s’étiole et la société en pâtit. Les citoyens, privés de leur pouvoir d’influence et déresponsabilisés, deviennent spectateurs d’un système où leurs opinions n’ont plus de poids réel.
En supprimant toute possibilité de débat ou de responsabilité partagée, cette dynamique menace le « vivre ensemble » et érode la cohésion sociale, transformant les citoyens en sujets passifs.
La véritable force d’une société repose sur l’équilibre des pouvoirs, la transparence et la capacité de ses institutions à accepter la critique. C’est en cultivant la diversité des perspectives et en permettant l’expression de voix dissidentes qu’une démocratie peut se prémunir contre les dérives autoritaires.
Si le rôle d’un leader est essentiel, il ne peut se substituer aux institutions ni s’imposer comme figure providentielle sans menacer l’ordre démocratique. Il appartient à chaque citoyen, à chaque institution et à chaque acteur de la société civile de veiller à ce que la démocratie reste le rempart contre les excès d’un pouvoir qui se voudrait sans limite. Seule une gouvernance équilibrée, fondée sur le respect des principes républicains, garantit la préservation de nos libertés et de nos droits.
Sy Abdoulaye
Secrétaire général de l’institution de l’opposition démocratique Mauritanienne