Madame Seniya Yarah Allah, activiste de la Société Civile : ‘’Il est crucial de commencer déjà par promulguer l'avant-projet de loi «Karama»’’

23 October, 2024 - 15:27

Présidente de l’ONG Femme et Résilience pour les droits Humains en Mauritanie, membre de l'observatoire National des droits des femmes et des filles en Mauritanie, point focal de la Société civile pour le partenariat de Ouagadougou, FP2030, Madame Seniya Yarah Allah est l’une des activistes les plus célèbres de la société civile.

 

Le Calame :  Vous êtes présidente de l’ONG Femme et Résilience pour les droits Humains en Mauritanie. Pouvez-vous nous dire ce que signifie « Octobre rose » et comment cet évènement est fêté en Mauritanie ?

Seniya Yarah Allah : Octobre rose est une campagne de sensibilisation au cancer du sein qui se déroule chaque année en Octobre. Elle vise à informer le public sur l'importance du dépistage précoce et à soutenir les personnes touchées par ledit cancer. De nombreuses actions sont organisées : marches, événements et initiatives de collecte de fonds pour la recherche et le soutien aux malades.

 

- Depuis quelques jours, les parents d’élèves, aussi bien des écoles publiques que privées, manifestent contre l’application de la loi d’orientation. Comprenez-vous leur colère ?

- Oui, leur colère peut être comprise. Ils sont inquiets des répercussions que peut avoir cette loi sur l’éducation de leurs enfants, que ce soit en termes de ressources, qualité de l’enseignement ou changements dans les programmes. Ils craignent également qu’elle ne réduise l'accès à l'éducation ou provoque des inégalités entre les écoles publiques et privées. La mobilisation des parents reflète donc un besoin de protection et d'amélioration de l'éducation pour tous les élèves.

 

- L’école républicaine qui entame sa 3ème année contribue-t-elle à renforcer l’unité nationale de notre pays ?

- Je vais d’abord commencer par rappeler la définition de l’école républicaine : en tant qu’institution, elle doit jouer un rôle crucial dans le renforcement de l’unité nationale. En enseignant des valeurs communes comme la société, la solidarité et le respect des droits humains, elle entend favoriser la cohésion sociale. De plus, en rassemblant des élèves de divers horizons socio-culturels, elle permet une meilleure compréhension mutuelle et réduit les tensions. Mais, sincèrement, les enfants des hauts cadres l’ont-ils jamais fréquentée ?  L’efficacité de cette école dépend aussi des moyens alloués et de la formation continue des enseignants, ainsi que de l’adhésion de toutes les familles, sans exception, à ses valeurs. En somme, si l’école républicaine continue d’évoluer positivement, elle a le potentiel de consolider l’unité nationale mais, dans le concret, nous allons toujours naviguer dans le plus grand pétrin.

Car ce que nous prétendons, en Mauritanie, est trop loin de la vérité et réalité du terrain. Si cette école républicaine se concrétisait telle qu'elle prétend se définir, il n’y aurait aucun problème. Or nous avons constaté un exode « éducatif » de beaucoup de familles mauritaniennes vers le Sénégal – pendant de ce qu’on appelait jadis l’exode « rural » – c'est donc dire que les mesures d'accompagnement ne sont pas suffisamment analysées. Nous avons vu, en plusieurs écoles, des classes pléthoriques de quatre-vingt élèves – quatre élèves par table ! – un défaut majeur auquel s’ajoute le port obligatoire de l’uniforme, une contrainte particulièrement dure pour les familles en extrême vulnérabilité économique qui se voient ainsi confrontées à de sérieuses difficultés, et l'arabisation forcée qui ne tient aucun compte des autres communautés linguistiques de notre nation. Même dans les pays arabes, l'arabe n'est plus une priorité. Comment la Mauritanie peut-elle nous imposer une arabisation qui refuse de dire son nom ?

 

- Vous êtes point focal de la Société civile pour le Partenariat de Ouagadougou FP2030, pouvez-vous nous parler brièvement de cette alliance ?

- Le partenariat de Ouagadougou FP2030 est une initiative visant à améliorer l'accès aux services de planification familiale et à renforcer les droits en matière de santé reproductive en Afrique de l'Ouest. Lancé en 2017, il rassemble des gouvernements, des organisations de la Société civile, des partenaires techniques et financiers pour atteindre des objectifs communs. Ce partenariat se concentre sur quatre axes. Accès accru aux méthodes de contraception : assurer la disponibilité et la diversité des options contraceptives. Renforcement des systèmes de santé : améliorer l'infrastructure et la formation des professionnels de santé. Sensibilisation et éducation : promouvoir l'information sur la planification familiale pour changer les mentalités et les comportements. Engagement communautaire : impliquer les communautés dans la promotion des services de santé reproductive. La Mauritanie est engagée dans cette alliance depuis des années et fait partie des dix pays qui constituent le « Partenariat de Ouagadougou ».

En tant que point focal de la Société civile pour ce programme depuis 2022, j'ai tout simplement compris que la Mauritanie progresse parmi les neuf autres pays. Lentement, certes, mais ce progrès peut se traduire de différentes manières : par exemple, la non-vulgarisation de la loi SR dans tous les corps de la Santé, particulièrement celui des sages-femmes, d'autant plus que cette loi doit être révisée. Dans l'entendement du ministère de la Santé, seules les personnes mariées peuvent utiliser le planning familial mais est-ce réellement écrit dans un verset du Saint Coran ? Je veux que nos religieux prennent résolument cette question en main et nous édifie là-dessus. Moi, j'aurai voulu, en militante ardente pour la bonne cause, que l'accès à la planification familiale soit ouvert à tous et je vous dis pourquoi : pour la simple raison d'éviter l’abandon de bébés dans les rues et livrés aux crocs des chiens. Il faut conscientiser les jeunes femmes et hommes en leur disant évidemment que c'est haram de succomber au zina (fornication, NDLR) mais aussi, s’ils refusent d’écouter, qu’ils doivent se protéger et protéger les enfants qui n'ont pas demandé de venir au monde.

 

- Vous êtes membre de l’Observatoire national des femmes et filles en Mauritanie. Pouvez-vous nous brosser brièvement la situation de leurs droits dans notre pays ?

- L'Observatoire national des droits des femmes et filles a été fondé fin 2021. Nous en sommes à son premier mandat qui prendra fin en Décembre prochain. À ce jour, on constate des avancées dans ces droits mais il demeure beaucoup de défis importants. Sur le plan des avancées, je citerai, sur le plan législatif, le Code pénal de l'Enfant, l'ordonnance sur les MGF et le Code Statut personnel, même si des manquements sont notables. Et, sur le plan éducatif, le fait que de plus en plus de filles accèdent à l'école, ce qui contribue à leur autonomisation.

Quant aux défis, tout d’abord les violences de genre. Domestiques et/ou sexuelles, elles restent largement répandues et souvent sous-déclarées. Ensuite, les inégalités économiques : les femmes ont un accès limité aux ressources économiques et aux opportunités d'emploi. Et, enfin, la sous-représentation politique : leur participation dans les instances de décision est encore insuffisante. Je conclurai en disant qu’il est crucial de continuer à sensibiliser et à mobiliser les ressources pour garantir l'égalité des droits et améliorer la condition des femmes et des filles en Mauritanie, en commençant déjà par promulguer l'avant-projet de loi « Karama ». Merci de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vos lecteurs et lectrices.

 

                                           Propos recueillis par Dalay Lam