Avec Les yeux bleus du désert, livre dédicacé « à tous les enfants du monde », Christine Bergougnous publie un conte sobre et exaltant, initiatique à plusieurs titres.
Des idées intériorisées
Quatre enfants aveugles, dont les yeux offrent un regard teinté de bleu qui n’en est pas un. Pourtant, la cécité n’empêche pas de voir. Une autre sensorialité se met en place. Ils savent qu’ils doivent « apprendre à voir avec le cœur. » C’est ce que constatera le lecteur qui s’attachera vite à ces enfants qui ont, malgré tout, leur façon de percevoir les réalités du désert qui les entoure.
Des idées fortes émaillent ainsi tout le récit où « ce que l’enfant voyait, aucune personne ne pouvait le voir. Parce que l’essentiel est invisible aux yeux. » Cela est vrai car l’essence de toute chose, ce qui la représente dans son infinie diversité est en effet invisible parce que très concrètement abstraite.
La luxuriance n’est pas la chose du désert la mieux partagée. On y survit comme l’on peut. Dans leur fièvre du métal jaune, les orpailleurs ont recours au mercure qui tue les dromadaires buvant dans les flaques d’eau.
Le magique et le merveilleux le disputent au sordide : les djinns du désert ne quittent pourtant jamais le désert et veillent. Si les migrants se noient en mer, d’autres meurent dans le désert. Tout le monde y est fataliste. Ce qui doit arriver adviendra.
En matière d’idées, que peut donc la littérature et dans le cas précis de ce livre, que peut le conte ? Éternelle question à laquelle répond Christine Bergougnous par une démonstration dans laquelle la conscience de chaque personnage s’appuie sur les performances de quatre sens.
Un récit lumineux
Quatre enfants donc, en plein désert mauritanien. Baba a peut-être dix ans, « l’âge d’un petit prince qui tombe d’un astéroïde ». Il demande à ses deux sœurs, Mariem et Zeinebou, ainsi qu’à son frère Mohamed Lemine, de marcher droit devant eux sans jamais se retourner. Il leur promet qu’en marchant ils retrouveront la vue. La magie va-t-elle opérer ? Et comment ?
L’auteure s’est promis de relire le Coran pour savoir s’il explique aux orphelins qu’ils retrouveront leur mère dans les jardins de Dieu.
Cet univers où l’on pourrait croire qu’il n’y a rien, s’avère abondamment empli de signes, de significations et de vie. Le désert n’est pas vide, mais plein d’espace, de sable et de vent ; plein du vol des oiseaux sauvages. Le monde des odeurs devient pour les enfants une réalité aussi tangible que la pierre qu’ils effleurent de leurs petites mains, ou que le chahut des vents dont ils connaissent si bien les psalmodies sauvages.
Les quatre enfants savent si bien voir avec les yeux de l’auteure qu’elle parvient à nous montrer et à nous faire vivre finement ce qu’est la cécité congénitale. Cela sans effets larmoyants ni sensiblerie. Pas d’effets de style facile…Du simple et du sincère au plus près d’un dénuement moral et matériel.
Très vite, le lecteur ne souhaite plus qu’une chose : que le conte fabuleux se réalise. Que le miracle souhaité s’accomplisse, que le merveilleux soit juste, qu’il refonde une justice entre les êtres.
Bien avant cela le père des petits aveugles doit comprendre ses propres songes et se mettre en chemin vers le pays de bienveillance.
C’est alors que la narratrice dit je pour la première fois. Elle réside en dehors et en dedans de l’histoire. Ce livre est celui de l’humilité, du savoir simple, de l’amour des gens, de leur pays de lumière et de sable.
Des personnages universels
L’histoire repose sur quelques personnages, plutôt au service d’une existence commune qu’individuelle. Le désert aime-t-il les gens seuls, lui qui est la solitude même ?
Entre les lignes du livre de Christine Bergougnous, qualifiée d’humanitaire autonome, on aperçoit la figure de son père. Il est cet « ancien militaire engagé dans la Première Compagnie Saharienne Motorisée, décédé très jeune. » Elle parcourt la Mauritanie pendant dix ans à bord de son véhicule « à la recherche d’une mémoire perdue. »
Un style…
L’auteure compose avec les convenances du conte tout en les dépassant. Écrites dans le registre du conte, ses phrases d’une longueur modérée à courte favorisent un agréable rythme soutenu de lecture.
Il en résulte un beau texte, écrit avec beaucoup d’empathie, dans l’esprit des personnages, de leur imagerie et de leur spiritualité.
Une langue cristalline
Ces paroles du désert lentes, patientes et habitées, résonnent comme une ode de sagesse et d’attachement à l’humanité—une poésie existentielle au plus près du vrai, qui dit la portée cathartique du voyage, la valeur formatrice de l’itinérance
Ce sont aussi les paroles de la prière pour laquelle on se frotte les mains, les bras et les jambes avec du sable, avant de s’agenouiller, de dérouler son turban et de poser son front sur le sol brûlant. Et aussi les paroles du chant pour fêter la récolte des dattes.
Les quatre enfants savent si bien voir avec les yeux de l’auteure que cette dernière parvient à nous montrer et à nous faire vivre avec finesse ce qu’est la cécité congénitale. Cela sans effets larmoyants ni sensiblerie, bien sûr.
Hommages aux Mariem, Baba, Mohamed Lemine et Zeinebou de la Terre ! Le livre de Christine Bergougnous les fait entrer pour longtemps dans notre sensibilité et notre mémoire.
Pierre-Jean Brassac