M. Balla Touré, député FRUD à l’Assemblée nationale et président du groupe « Espoir Mauritanie » : ‘’Le PM s’est contenté de promesses de politique générale qui ne changeront pas grand-chose à la marche actuelle des affaires publiques’’

25 September, 2024 - 12:03

Le Calame : L’Assemblée nationale a été réunie, il y a quelques semaines, pour entendre la DPG du nouveau PM, monsieur Moctar ould Diay. Vous l’avez certainement écoutée. Qu’en avez-vous tiré ? Diriez-vous qu’elle est trop ambitieuse ou, au contraire, réalisable ; sinon simple catalogue de bonnes intentions ?

Balla Touré : Merci pour l’occasion qui vous m’offrez de m’exprimer sur la récente DPG. Ce fût un rendez-vous politique important. À l’écoute de celle-ci, nous avons constaté que monsieur le Premier ministre décrivait sans complaisance la situation socioéconomique du pays. Il a reconnu et déploré la faiblesse des institutions, le bas niveau de notre économie mais également les défaillances des actions publiques dues à la mal gouvernance et à la corruption. Face ce constat alarmant, nous nous attendions à des intentions plus osées et même révolutionnaires. Or nous avons eu droit à des promesses de politique générale qui ne changeront pas grand-chose, nous le pensons, à la marche actuelle des affaires publiques. Nous nous suffirons de deux exemples pour illustrer le manque d’ambition qui ressort de cette DPG. Même mensuel, l’objectif de produire mille emplois pour les jeunes nous parait dérisoire. Dans la promesse de mettre fin à la mal gouvernance, l’absence d’engagement de s’autosaisir des cas pendants et non encore soldés au niveau de l’IGE constitue pour nous un signal aux voleurs et futurs voleurs des derniers publics que l’impunité pourrait encore avoir de beaux jours devant elle dans notre pays.

Dans l’objectif de lutter contre la pauvreté, la faim et le sous-emploi, les actions doivent être orientées prioritairement vers le secteur agropastoral. Avec les énormes ressources foncières agricoles et hydriques dont dispose le pays et une politique dirigée vers un soutien accru aux agriculteurs et aux éleveurs, la Mauritanie pourrait assurer son autosuffisance alimentaire. De la production à la distribution des produits agricoles et animaliers, en passant par la transformation et autres domaines connexes, le secteur agropastoral a un fort potentiel de génération d’emplois et de richesses. Des dizaines de milliers de jeunes pourraient bénéficier d’une insertion professionnelle durable et, bien au-delà de l’objectif d’atteindre son autosuffisance alimentaire, la Mauritanie pourrait nourrir toute l’Afrique en céréales et viandes rouges. Quelques mois suffiront pour enclencher ce grand bond en avant. N’est-ce pas là une perspective radieuse pour notre pays ? Nous nous serions alors définitivement débarrassés de la grande misère qui frappe nos populations dans toutes les régions. Il resterait au gouvernement de travailler à améliorer nos systèmes de santé et d’éducation, l’accès de tous à l’eau potable et à l’énergie, ainsi que les infrastructures de transports et de télécommunications. On me demandera où trouver les ressources financières pour un tel ambitieux projet national ; ma réponse est simple : la rente issue de l’exploitation des ressources minières doit profiter à tous les Mauritaniens. On en est loin à ce jour.                      

 

- Dans son discours d’investiture, le président réélu, Mohamed Cheikh Ghazouani a préconisé la tenue d’un dialogue inclusif pour régler les problèmes du pays. Selon vous, de quels problèmes spécifiques pourrait-il s’agir ? Irez-vous à ce dialogue s’il arrivait à se tenir ?

- Dans son discours d’investiture à son premier mandat, le président Ghazouani avait déjà promis un dialogue inclusif, avant de se rétracter, quelques mois plus tard, en déclarant que la Mauritanie n’était pas en crise, n’avait nul besoin de dialogue et qu’une simple concertation entre les parties prenantes suffirait. Vous connaissez la suite.

Depuis des décennies, les Mauritaniens sont en attente. Ils espèrent un espace national apaisé et serein. Dans la situation actuelle du pays, cela ne peut être obtenu que par un dialogue inclusif. Quant aux questions d’importance nationale qui doivent être à l’ordre du jour, elles sont connues de tous. L’esclavage et ses séquelles – surtout l’accès des esclaves et anciens esclaves à la propriété foncière –, la lourde question des exécutions extrajudiciaires des années de braise (1986-1991), la place des langues nationales, les interrogations politiques/électorales – liberté d’association et d’expression, découpage électoral, gestion du processus électoral… – voilà, entre-autres, les problématiques à discuter impérativement. Mais le plus important, c’est et restera le niveau de sincérité des autorités qui avancent aujourd’hui cette offre de dialogue. Après cette dernière quinzaine d’années, nous n’en sommes pas à un dialogue près, avec cette question en suspens : à quoi ont abouti tous les shows précédents ?     

 

- Vous étiez membre du directoire de la campagne présidentielle de maître El Id Mohameden M’Bareck. Les membres de cette coalition sont restés assez discrets au lendemain de la proclamation des résultats. Pouvez-vous nous dire pourquoi ? Comment évaluez-vous cette première participation de votre candidat ?

- Nous ne partageons pas votre avis selon lequel nous serions restés discrets après la proclamation des résultats. Nous nous sommes exprimés, à plusieurs occasions, pour dénoncer toutes les entorses à la loi électorale qui furent de nature à limiter le libre choix des électeurs en faveur d’un seul candidat, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Toute la machine gouvernementale s’est mise en marche : des ministres aux hakems, en passant par les généraux en fonction ou à la retraite, aucun ne s’est caché de son activisme au bénéfice du candidat du pouvoir. Quand nous avons présenté le cas d’un ministre qui avait été trop bavard, outrepassant son devoir de neutralité compte tenu de sa position de membre de l’Exécutif organisateur du scrutin, rien ne s’est d’ailleurs passé. La liste des anomalies fut très longue et nous n’avons pas manqué de la révéler. Bref et pour conclure, merci à nouveau de m’avoir permis de m’exprimer auprès de vos lecteurs.

 

                                                                                                 Propos recueillis par Dalay Lam