La corruption et la drogue, deux fléaux de la Civilisation, se sont installées en Mauritanie voici des dizaines d’années. Ce n’est un secret pour personne, on se demande seulement laquelle a enfanté l’autre. L’ancien président de l’Assemblée nationale, Cheikh Baya, en parla à deux reprises dans ses discours d’ouverture ou de clôture des sessions parlementaires. Il les dénonça et mit notamment en garde contre la présence de produits psychotropes dans les écoles de la République, particulièrement à Nouakchott, au vu de tout le monde : éducateurs, encadreurs et chefs de famille… Les forces de sécurité du pays ne cessent d’annoncer la saisie d’énormes quantités de drogues sur les grands axes du pays menant à la capitale. Des rumeurs laissent croire que ces produits sont même introduits dans nos prisons. Les Mauritaniens n’ont toujours pas oublié l’atterrissage d’un petit avion à l’aéroport de Nouadhibou en 2007 ; ils entendent régulièrement, à la radio, et voient, sur leur écran de télévision, des reportages narrant l’incinération de telles substances. Mais le sont-elles vraiment ? L’opinion se pose la question.
Certes, nos frontières sont difficilement contrôlables mais l’aisance certaine avec laquelle la drogue entre au pays se poursuit visiblement le long de nos routes principales… grâce à la complicité de forces de l’ordre et de sécurité postées sur leur trajet ? Tous ceux qui le parcourent déplorent la facilité avec laquelle n’importe quoi peut entrer ou sortir de Nouakchott et des autres grandes villes du pays. La corruption est à ciel ouvert, les conducteurs glissent des billets dans les pièces de leur véhicule ou directement dans les mains et passent ainsi comme lettres à la poste. Le prétexte ordinaire de l’immobilisation d’un véhicule reste bel et bien la quête de bakchichs. Du coup, drogues, armes et autres produits illicites échappent le plus souvent aux filets...
Pays de transit et de consommation
Considéré comme un pays de transit de la cocaïne en provenance de l’Amérique Latine, via divers pays d’Afrique de l’Ouest, la Mauritanie est en train d’en devenir pays de consommation. Plaque tournante ? La question mérite d’être posée. Comme on le sait, la cocaïne permet de s’enrichir très vite, c’est pourquoi la richesse exhibée dans notre pays trouble-t-elle beaucoup de ses citoyens. Des hommes d’affaires, de hauts fonctionnaires, des civils, des membres des forces de défense et de sécurité ne peuvent qu’être soupçonnés de tremper dans ce trafic, tellement leur enrichissement est fulgurant. Les signes ostentatoires de celui-ci sont partout visibles dans nos grandes villes : palais et châteaux, bolides en bourses luxueuses, hôtels, appartements en Mauritanie et à l’étranger, auberges, vacances coûteuses hors du pays, financements des études des enfants dans des universités à Paris, Londres, Montréal, Ottawa, Ankara ou le Qatar, milliers de tête de bétail…Tout ça ou presque sur le dos de Dame République, grâce à la corruption via marchés publics. Et pourquoi pas au trafic de drogue dont on parle depuis quelques jours ? Le problème chez nous, c’est que tout le monde est conscient du danger, mais rares ceux qui dénoncent et qu’il reste encore à l’État d’agir enfin efficacement.
Alors ira-t-il jusqu’au bout après la décision du Parquet de Nouakchott d’ouvrir une enquête sur les rumeurs de corruption et de trafic de drogue, consécutives au pavé jeté dans la mare par un bloggeur ? Les Mauritaniens le souhaitent ardemment… mais craignent qu’elle soit vite enterrée. Le gouvernement a beau chanter sa volonté de les éradiquer, celle-ci se heurtera très probablement à la puissance des lobbies politiques, militaires et tribaux du pays. Ils tiennent les réalités du pouvoir – sont peut-être, à l’instar de tant de grands, ailleurs, et comme l’avancent encore certaines rumeurs de salon, les plus friands de cocaïne ? – et n’hésiteront pas à se dresser devant la justice. Pour rien au monde, ils n’accepteront qu’on scie la branche sur laquelle le système est bâti.
On se rappelle tous de la commission parlementaire de Février 2020 sur la gestion des dix ans de l’ex-président de la République Mohamed Abdel Aziz. Après un travail minutieux d’enquête, plus d’une centaine de hauts responsables et proches parents de celui-ci avaient été épinglés. À l’arrivée, seulement quelques personnes furent jugées et placées en détention : un véritable fiasco. Les Mauritaniens se sont sentis floués par le « nouveau » pouvoir qui voulait marquer un coup…et l’a tout de même bien réussi, tant ceux-ci avaient hâte de se débarrasser du précédent.
Dalay Lam