La chasse aux sorcières
Pour la raison, évoquée ci-dessus, Ould Bousseif bénéficiait donc d’une estime illimitée de la part des partisans de l’ancien régime. Il leur donnait l’espoir, bien qu’éphémère, d’un retour possible du président Mokhtar à la tête du pays.
Si Ould Bousseif nourrissait l’espoir chez les nostalgiques de l’ancien régime, par contre, il inquiétait sérieusement dans les milieux de ses farouches opposants, notamment les militants du MND et les éléments baathistes à l’origine de l’initiative du putsch du 10 juillet 1978. Dès sa prise du pouvoir, il se mit à les pourchasser. Plusieurs furent arrêtés sans aucune raison valable. Sa disparition tragique, suite au crash de son avion en pleine mer au large de Dakar, va mettre fin à un épisode incertain du feuilleton des militaires de Mauritanie.
Le romantisme d’un poète
Quelques jours avant le tragique accident d’Ould Bouseif, je discutais de la situation de notre pays avec le grand ami, le poète Ahmedou Ould Abdelkader. Pour nous deux, la situation de notre chère Mauritanie, caractérisée par la persistance de la sécheresse et l’instabilité politique était particulièrement catastrophique. Dans la discussion, chez le poète Ahmedou, les commentaires s’inspiraient directement de la poésie.
Pour conclure, il m’interpella comme suit: « je vais te dire ce que je n’ai jamais dit à aucune autre personne: est-ce que tu sais qu’à plusieurs reprises il m’est arrivé de prendre une décision très grave ? ». « Laquelle demandai-je ? ». « Excédé par la gravité de la situation que vit notre pays, et à plusieurs reprises, il m’est arrivé de décider d’aller le plus simplement du monde en exil. Je préparai mon sac. J’arrêtai une date proche pour le départ. J’hésitais. Puisque je butai contre un obstacle infranchissable. Tu sais lequel ? ». Je répondis non. Puis il m’expliqua: «Mon problème était: comment amener avec moi « Ezouéra aleyha Ivrnanatt ?! ». Littéralement: comment amener avec moi un petit mont dunaire parsemé de quelques « Ivrnanatt: euphorbes», arbustes laiteux fréquents dans plusieurs régions du pays.
Si des mots peuvent bien tuer !
On dit souvent que les mots peuvent tuer. Je ne l’avais jamais compris avant ce moment. L’image romanesque de mon interlocuteur m’assomma immédiatement. Simultanément, je perdis la vue et un frisson émotionnel traversa l’ensemble de mon corps avant d’arrêter net ma respiration. Le tout heureusement n’avait duré que quelques fractions de secondes.
Quelques semaines après, le poète Ahmedou écrira un poème intitulé «Sevine » ou « bateau ». Dans ce poème, il décrit les conditions qui pourraient pousser un citoyen quelconque à emprunter un bateau pour aller en exil. Sa publication au quotidien national Echaab, provoquera un débat des plus passionnés qui durera plus d’une année.
Remue-méninges entre soldats du nord
Après la disparition tragique de Ould Bousseif en mai 1979, le tandem Haidalla-Ould Tayaa s’empara du pouvoir effectif (présidence du gouvernement et Etat-Major de l’armée). Dans un deuxième temps, Ould Haidalla s’installa à la présidence de la République, avec les pleins pouvoirs dont jouissaient feu Ahmed Ould Bousseif.
Ould Tayaa prendra la tête de l’Etat-Major de l’armée. Des modifications vont intervenir, suite aux événements du 16 mars 198. Ould Haidalla devint chef d’Etat et président du comité militaire, gardant pour lui ses pleins pouvoirs de premier ministre. Cette dernière fonction sera confiée par la suite au colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya. Ce sera le début du règne d’officiers supérieurs issus du nord sur le pouvoir en Mauritanie jusqu’à la fin de la dernière décennie de Mohamed Abdel Aziz. Le court séjour de Sidi Ould Cheikh Abdallahi à la présidence sous l’œil vigilant de Ould Abdel Aziz fut plutôt beaucoup plus symbolique que réel.
Un nouveau PM militaire
Le premier, premier ministre civil Sid’Ahmed Ould Bneijara, sera écarté. Sera écarté également pour de bon et en même temps que lui l’éphémère programme de démocratisation des institutions du pays. La direction de l’Etat-Major de l’armée fut confiée au colonel feu Yall Abdoulaye. Ces dernières mesures ne passeront pas sans dégâts. Elles entraineront aussitôt la perte de l’appui du MND au pouvoir des militaires. L’unique représentant de ce mouvement au gouvernement, Daffa Bakari, alors ministre de l’équipement, présenta immédiatement sa démission. Son départ fut mal interprété par le nouveau premier ministre militaire, le colonel Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya. Celui-ci avait toujours prêté une attention soutenue aux propositions politiques de ce mouvement. Il avait pris la démission de Daffa comme une forme de protestation contre sa désignation à la tête du gouvernement.
Un tandem intègre
Le Lt.-colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla était originaire du nord-ouest du pays (zone qui prolongeait le Sahara Occidental). Ould Haidalla et Ould Tayaa, deux hommes qui, après le décès de Ould Bousseif, vont occuper désormais des positions qui leur assuraient le contrôle de tout le système. Les deux ne cachaient pas leur empressement pour un retrait rapide de la guerre. Les deux aussi, contrairement à une bonne partie de leurs collègues militaires, manifestaient peu d’intérêt pour le matériel et l’argent.
Ils prêtaient une oreille attentive aux sensibilités politiques anti- guerre, notamment le MND après sa mutation. Le pouvoir des deux hommes ne durera que 5 ans à peine. Cette courte période, caractérisée par une impitoyable sécheresse, sera marquée par pas mal d’actions positives sur le terrain.
Le retour forcé de la paix
D’abord, concernant la guerre du Sahara, en 1979 des pourparlers furent aussitôt engagés avec la direction du Polisario. Ils aboutiront à la conclusion d’un accord de paix entre les deux parties. Conformément à ces accords, conclus à Alger, la capitale algérienne, la Mauritanie s’engageait à se retirer du conflit du Sahara Occidental. Elle devrait en même temps restituer au Polisario la zone du Rio de Oro, la partie qui lui était concédée par les accords de Madrid répartissant le territoire du Sahara Occidental entre le Maroc et la Mauritanie. A l’avenir, tout en observant une attitude de stricte neutralité, la Mauritanie devra soutenir les efforts des Nations Unies visant à chercher une solution pacifique au conflit.
Un acte de courage
Avant de s’engager dans une telle voie, défavorable à la position marocaine sur la question, la Mauritanie devrait résoudre un sérieux problème: celui de la présence sur son sol de plusieurs milliers de soldats marocains. Le Maroc ne manifestait aucun désir de les retirer en dépit des injonctions des autorités mauritaniennes. Il a fallu que Ould Haidalla surprenne le roi Hassan II par une visite inopinée pour lui forcer la main d’accepter de retirer ses soldats du nord de la Mauritanie.
Un bon matin, à bord d’un hélicoptère, accompagné uniquement par son garde de corps, Ould Haidalla atterrit à l’improviste à l’aéroport de Rabat et se dirigea droit au palais royal. On ne connait pas la teneur exacte de l’ultimatum de Haidalla au roi Hassan II. Tout ce qu’on savait est qu’au lendemain de cette visite, les soldats marocains se mirent à ranger leurs bagages pour évacuer aussitôt le sol mauritanien.
Naissance de l’AMD
La signature des accords de paix avec le Polisario n’avaient pas été du goût de tous. Les amis du Maroc et de l’ancien régime n’arrivaient pas à digérer ce qu’ils considéraient comme étant une amère pilule. Leur réaction ne s’était pas fait attendre. Ils exprimèrent haut et fort leur désaccord avec une telle évolution. Toutes les forces hostiles crièrent à la trahison et au scandale.
Dans l’ombre des salons d’hôtels marocains et sous les yeux des renseignements franco-marocains, ils mirent en hâte sur pied une organisation politique et militaire du nom de: « Alliance pour une Mauritanie Démocratique (AMD) ». Il reste à savoir quel type de démocratie compteraient-ils instaurer en Mauritanie à partir des antichambres du palais monarchique marocain! La nouvelle organisation comptait dans ses rangs plusieurs cadres civils et militaires mauritaniens, ainsi que des affairistes dont certains auraient beaucoup tiré profit, notamment du commerce d’armements durant la guerre.
L’échec d’un plan machiavélique
Pour plus d’efficacité, l’axe traditionnel Paris-Rabat-Dakar fut mis à profit. Un plan pour une action militaire rapide et que ses auteurs voulaient efficace fut concocté à la hâte. Pour ce qu’il était convenu d’appeler désormais l’opposition en exil, comme stimulant moral pour leur projet, « le régime mené par Ould Haidalla, était à la fois isolé et vomi par tout le peuple mauritanien ». Dans leur calcul, si on réussissait à couper la tête du système installé en Mauritanie, le corps en entier va obéir à toute autre nouvelle direction cherchant à ramener le pays dans « le droit chemin », le chemin de la guerre. C’était dans cet esprit machiavélique que fut préparé le fameux 16 mars 1981.
Le commando chargé de cette mission fut préparé et militairement entrainé au Maroc à l’aide d’une forte assistance française pour être mis en route en direction de la Mauritanie via le Sénégal. Au plan de l’inspiration et de la conception, l’opération est à rapprocher des coups de force du célèbre mercenaire français Bob Denard. Malheureusement pour ses concepteurs, les conditions prévues, supposées garantir le succès de l’action commando, n’avaient pas été au rendez-vous. L’opération échoua lamentablement. Les pauvres exécutants furent sacrifiés au moment où leurs commanditaires se frottaient les mains à l’extérieur. Voilà le récit succinct du fameux et dramatique 16 mars 1981 en Mauritanie.
(À suivre)