Des mini-putschs
Le nouveau pouvoir militaire regroupé au sein du Comité Militaire de Redressement National (CMRN), puis dans un deuxième temps, le Comité Militaire de Salut National (CMSN), fut dirigé par l’ex-chef d’Etat-Major de l’armée, le lieutenant- colonel Moustafa Ould Mohamed Salek. L’homme, descendant d’une tribu guerrière, était originaire de l’Assaba, à l’Est du pays. Il était entouré d’une équipe, civile et militaire, globalement représentative de presque la globalité des régions du pays avec une domination évidente des régions de l’Est.
Nous avons le commandant Jiddou Ould Salek (nouvellement nommé ministre de l’intérieur), Sid’Ahmed Ould Bneijara de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) et Cheikhna Ould Mohamed Laghdaf, homme d’affaires (fondateur de la société de construction SOCIM) et ancien administrateur. Les deux premiers, un tandem inséparable, étaient souvent cités comme les initiateurs du putsch du 10 juillet 1978. Il semblait qu’ils murissaient l’idée depuis leur séjour à l’université, encore étudiants, durant les premières années d’indépendance. Il semblerait aussi qu’ils ne cachaient pas leur sympathie pour le parti Baath d’Irak.
Pour un certain nombre de raisons, cette équipe ne fera pas long feu. Parmi ses handicaps, nous avons d’abord les tiraillements internes entre des hommes aux objectifs contradictoires. Rappelons à cet égard l’hostilité manifeste des amis de l’ancien régime, notamment le Maroc et la France, appuyées par les puissances occidentales, alliées naturelles de la France.
En dehors du retour aux dénominations traditionnelles des régions du pays, l’équipe de Ould Med Salek, qui n’avait fait qu’une année à peine, à cause des contradictions internes, était incapable de réaliser grand-chose sur le terrain, en dehors du retour aux anciennes dénominations des régions du pays, je ne me souviens de rien d’autre à comptabiliser à son compte.
Le premier PM du pays
Sans tarder, intervint un premier coup de palais. Un réajustement, avait-on dit. La création pour la première fois d’un poste de premier ministre fut décidée. Son titulaire était doté des pleins pouvoirs.
Il était confié au colonel Ahmed Ould Bousseif. La fonction de chef d’Etat, président du comité militaire, devint plutôt honorifique. Oud Bousseif, d’origine guerrière lui aussi, était issu de la même région, l’Assaba, que Ould Mohamed Salek. Autre chose caractérisant le nouvel homme fort du régime militaire: Ahmed Ould Bousseif, malgré son origine de l’Est, demeurait fidèle à la personne de l’ex-chef d’Etat, le président Mokhtar Ould Daddah. Il ne ratait jamais l’occasion d’en parler avec nostalgie.
Même devant ses collègues, les plus hostiles au président Mokhtar, à chaque fois qu’il évoquait son nom, il le faisait accompagner par « le père de la nation ». Ici, il y’ a lieu de reconnaitre que le président Mokhtar Ould Daddah jouissait véritablement d’une estime illimitée dans presque tout son entourage. De nombreux témoignages lui attribuaient un sentiment patriotique qui ne cessait de s’exprimer devant certaines délicates situations. En voici un exemple.
« Que vaut la formation en URSS? »
Tout dernièrement j’ai été voir Dah Sid’Elemine, un ami qui m’est particulièrement cher. Un rendez-vous fut fixé avec lui 48 heures auparavant. On a bavardé pendant un quart d’heure de tout et de rien. Puis il était sorti pour un besoin. Entre-temps j’eus un échange d’informations avec Mohemd Lehbib, un parent à lui, plus jeune d’une bonne dizaine d’années.
L’échange finit par se focaliser sur la SNIM, la société des mines de fer de Mauritanie. Mohemd Lehbib est un cadre sortant de l’URSS, dont la Russie actuelle faisait partie.
Des cadres exemplaires
Les noms de quelques premiers cadres de formation soviétique furent évoqués. A propos de la SNIM, une fois, l’un d’eux, lui révéla de précieux éléments d’information. Il portait le nom d’Elkebir. Probablement Elkebir Ould Sellami.
Celui-ci lui raconta qu’il se trouvait à Zoueirat lorsque la ville fut attaquée par des unités armées du Polisario, probablement au tout début de la guerre du Sahara. Au cours de l’attaque un Français travaillant à la SNIM avait trouvé la mort. Quelques heures après, le président français de l’époque, Valery Giscard D’Estaing, dépêcha un avion pour embarquer et rapatrier tous les employés français de la SNIM et leurs familles.
Très affecté par cette mesure, le président Mokhtar Ould Daddah, convoqua d’urgence à la présidence Elkebir, le cadre mauritanien, témoin des événements. Il le reçut rapidement. Le président Mokhtar le surprit par cette curieuse question: « que vaut la formation en URSS ? ». Encore sous l’effet de l’émotion, provoquée par la question, Elkebir lui répondit en citant deux exemples vécus par lui. Le premier concernait un pilote civil mauritanien du nom d’Elhaj, de formation soviétique, qui avait réussi à poser son appareil dans un lieu périlleux en vue de secourir des dizaines de nos soldats en difficulté après une attaque du Polisario quelque part au Sahara Occidental.
Le deuxième exemple concernait un médecin de formation russe qui, à son tour, avait traité avec succès des cas assez délicats de maladies. Il serait un certain Dr Abderrahmane. Le président Mokhtar le chargea de lui établir dans les meilleurs délais une liste comportant les noms de tous les techniciens mauritaniens formés en Union Soviétique pour occuper les postes restés vacants à la SNIM après le départ précipité des français.
Le même témoin rapporte qu’une fois le directeur général de la SNIM au moment de l’attaque lui raconta qu’il avait rencontré le président Mokhtar peu de temps après cette attaque du Polisario. Cet ex-DG de la SNIM, comme tous les cadres de formation occidentale de l’époque, notamment française, sous-estimaient tous la formation en Russie soviétique ou dans tout autre pays de l’Est. Cette fois-ci, il reconnut avoir fait son mea-culpa au président Mokhtar après avoir expérimenté sur le terrain le travail des cadres de formation russe. Il avait loué leur haute performance.
Un effet collatéral positif
Enfin, l’ex-DG de la SNIM indiqua aussi que le président Mokhtar lui avait affirmé que l’honneur de la nationalisation de MIFERMA (Minerais de Fer de Mauritanie) revenait au mouvement des Kadihines (MND). Il aurait aussi reconnu qu’au niveau de son gouvernement, ils n’avaient fait que céder à leur pression. C’était comme s’il se félicitait d’avoir pris la mesure de nationalisation de la Miferma avant que les Français ne le surprennent par un désengagement aussi précipité qu’inattendu. L’ex-DG en question serait probablement Ismail Ould Amar, le brillant cadre polytechnicien, premier patron de la SNIM après sa nationalisation en 1974.
À mon niveau, le témoignage de ce haut cadre m’apporta une réponse à une question qui m’avait toujours taraudé. Je me rappelle des propos de l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade lors d’une visite à la SNIM. Il accompagnait son homologue mauritanien l’ex-chef d’Etat Maouiya. Le président Wade, qui peinait à garder son émotion, déclara que: « au Sénégal la plus petite unité industrielle ne pouvait fonctionner sans l’assistance d’au moins un toubab, en l’occurrence un Français, alors que voilà en Mauritanie une société aussi géante comme la SNIM qui tourne depuis des décennies sans la présence d’aucun expatrié européen ! ». C’était incontestablement un véritable « effet collatéral », plutôt positif, de cette guerre des sables dont je manquais la moindre explication.
(À suivre)