Le mirage du désert nous est familier, une illusion de flaques d'eau réverbérant sous le soleil ardent et reculant à mesure qu'on se rapproche. Un autre type de mirages est en train d’acquérir le droit de cité dans notre lexique : c'est le mirage de la mer, ou l'histoire des déceptions de notre zone maritime.
Il y a une vingtaine d'années, on s'emballait pour le pétrole offshore et l'ère de prospérité qu’il devait ouvrir à notre pays. Un fantasme finalement qui vécut juste le temps de nous léguer le titre d'un portefeuille gouvernemental. Des années auparavant, le même élan d’enthousiasme avait accueilli la mise en exploitation du potentiel halieutique national. Victime de sa réputation, ce potentiel est vite tombé sous les appétits des autres, sans jamais arriver à assouvir le nôtre.
Le principal avantage à tirer de ces ressources est celui d'avoir du poisson à la portée des consommateurs. En réalité, les prix sont exorbitants et les choix très limités. Par un tour de force, le minuscule "ya-boy", que les vendeuses se plaisaient à offrir en bonus, joue maintenant dans la cour des grands. Un peu comme les petits poussins qui ont remplacé les vrais poulets dans les commerces au même prix que leurs défunts parents. Il y a fort à parier que le ya-boy, recours alimentaire des revenus modestes, fera bientôt ses adieux, du moment que les tévayas lui ont trouvé des débouchés au Brésil.
Échaudés par la chimère du pétrole et les frustrations du marché au poisson, les citoyens ne peuvent qu'être sceptiques face à la nouvelle gestation de nos eaux territoriales. Ils rêvent de célébrer la venue au monde d'un rejeton marin porteur de bien-être et de baraka, mais leurs esprits sont hantés par la silhouette d'un mirage de plus. Cela fait trois ans que nous balançons au gré des péripéties de ce projet gazier.
Citoyens sceptiques
Aux perturbations de calendrier s’ajoute un penchant officiel pour le flou artistique. Au plus fort de la vague d'émigration des jeunes, le ministre des Finances avait fait allusion à la manne gazière pointant à l'horizon. Promptement, son collègue de l'Economie est monté au créneau pour tempérer les ardeurs, en déclarant : « les bénéfices substantiels ne se matérialiseraient que plusieurs années après le début de l'extraction ».
Des questions se posent tout de même : pourquoi le ministre clame la dèche, alors que le FMI tambourine, en tablant sur une croissance du pays supérieure à 14% à l'horizon 2025 ? Pourquoi prêcher la déprime quand les bailleurs de fonds mènent la danse et ouvrent les vannes à grands flots ? Pourquoi minimiser l'impact prévu chez nous, au moment où les partenaires sénégalais valorisent la portée de leur quote-part, égale à la nôtre et soumise aux mêmes conditions de remboursement ?
Qu'importe ! L'Etat a adhéré au Forum des producteurs gaziers et, aussitôt, les commerçants ont laissé flamber les prix, en salivant d'avance à l'idée que le gaz rimera avec bombance. Selon un relevé de compteur fourni par le ministre en charge du secteur, les travaux du projet ont été exécutés à 95%. Ce pourcentage est normalement significatif, mais pas en ce qui concerne GTA. Tout simplement parce qu'il est malaisé de prédire le temps que peuvent prendre les 5% restants, à la vitesse d'une grande tortue attelée à une montagne (Ahmeyem).
De toute manière, il n'y a pas vraiment de quoi jubiler. La perspective de « plusieurs années sans bénéfices substantiels » est déjà suffisante pour désappointer les attentes. Elle est davantage assombrie par le spectacle des signatures en cascades de conventions de financement portant sur de gros montants. A lui seul, le portefeuille de la Banque mondiale se balade allègrement au-dessus du milliard de dollars.
Si nos économistes croient sincèrement aux bienfaits du surendettement, qu'ils nous expliquent, car ce qu'on voit ailleurs n'est pas proprement engageant. Regardez comment le Kenya, classé bon élève des institutions financières internationales, s'est trouvé embourbé dans une spirale infernale d'endettement qui a dégénéré en émeutes sanglantes. Même situation au Nigéria, secoué par des violences meurtrières, dans un climat de révolte généralisée contre la gabegie, les réformes économiques et la vie chère.
Vos prières sont donc instamment requises afin que le gaz, volatil par définition, ne s'évapore pas avant d'éponger la dette monumentale amassée sous son enseigne. Pour le reste, la population saura, encore une fois, reporter ses espoirs sur d'autres indices : des gisements d'uranium par exemple, d'hydrogène vert, de terres rares ou, plus rares encore, des gisements… de bonne gouvernance.
Mohamed Salem Elouma Memah
Entre-citoyens