Certains ne se sont pas retenus de rire, quand ils ont appris la décision du gouvernement mauritanien de faire, de l’année 2015, une Année de l’Education. Quelque part, ils n’ont pas tort de s’interroger sur cette belle trouvaille, pour sortir des ténèbres l’école mauritanienne… ou ce qui l’en reste. Le gouvernement aurait-il, enfin, décidé de réfléchir sur l’école d’aujourd’hui, afin d’envisager la société de demain ? Question légitime, dans la mesure même où tout le monde constate et déplore l’état actuel de notre école où l’on apprend presque rien et ce, pour plusieurs raisons : manque de motivation et, souvent, hélas, de niveau des enseignants, perdus dans des réformes en cascade, mal pensées, mal copiées-collées, salaires peu incitatifs, pesanteurs administratives, déficience des équipements… Les défis sont énormes.
Du privé pour dynamiser ou… tuer le public ?
C’est au moment où l’école publique abordait sa descente aux enfers que les pouvoirs publics décidèrent d’autoriser l’ouverture d’écoles privées. De programme français, comme Le petit Centre ou Sahel, comme de programme mauritanien ; du moins, ce qui en tient lieu. Deux écoles en parallèle, comme naguère : l’une dite « française », exclusivité, disait-on, des enfants négro-mauritaniens, l’autre « arabe », destinée aux enfants hassanophones. Un état de fait qui a consacré la séparation de nombreuses jeunes générations mauritaniennes et affecté, négativement, le fondement de l’unité nationale du pays.
L’école publique a souffert de l’arabisation érigée, selon certains mouvements nationalistes négro-mauritaniens, en un instrument politique sous-tendu par une idéologie d’« oppression et d’exclusion ». Sur le terrain, l’arabisation à outrance s’est vite essoufflée et la « bourgeoisie arabe » s’est tournée vers les écoles françaises implantées en Mauritanie, laissant, au bas peuple, une école publique en retard sur le temps. Outre le manque de conception d’ensemble, gérant rationnellement les réformes, l’école publique est également victime de ses « méthodes » souvent importées et mal digérées. La dernière en date – l’Approche Par les Compétences (APC) – a fait couler beaucoup d’encre et son greffage, sur le système éducatif mauritanien, tarde à prendre. Quasiment tous ces problèmes ont fait l’objet des fameux Etats généraux de 2014. Même si l’on regretta l’absence de certains partenaires de l’école, comme les mairies, les participants y ont élaboré des recommandations appréciables. On attendait leur concrétisation. Est-ce à cela que sera consacrée l’année 2015 ? Gros challenge en perspective.
Si les écoles privées à programme français ont l’avantage de disposer de programmes bien ficelés et d’enseignants bien formés, outillés et motivés, avec des perspectives d’avenir prometteuses, en ce qui concernent les études supérieures, les écoles privées sont devenues, dans la majorité des cas, de véritables « boutiques ». Un moyen comme un autre de se faire de l’argent, sans se soucier de l’avenir des enfants. Elles ont poussé partout et font notamment le massacre en banlieue où les parents se saignent aux quatre veines pour y envoyer leur progéniture, désemparés et dégoûtés qu’ils sont par l’école publique. Nombre de directeurs de ces écoles ne se soucient que de la paie ; les enfants et parents, par le passage en classe supérieure. L’équation est vite résolue par un véritable système « pousse-pousse jusqu’au bac », une frontière difficile à franchir. Dans ces écoles, on recrute n’importe qui pour enseigner, faisant ainsi fi des textes qui régissent le recrutement des enseignants mauritaniens et étrangers. Un laxisme à l’image de la Direction de l’enseignement privé, au ministère de l’Education nationale. Il y a bientôt une année, un reporter du Calame s’y était rendu. Il n’y avait trouvé aucune banque de données, le directeur passait le plus clair de son temps dans les autres directions du département, à se demander quel diable l’avait conduit là, si loin de l’école républicaine et démocratique.
Paradoxe : les écoles françaises, écoles de fils-à-papa.
Les écoles privées « programme français » sont des écoles réputées « haut-de-gamme », réservées aux fils-à-papa ; entendez, bourgeois aux bourses bien garnies. Elles coûtent donc très cher et fonctionnent en cercles très fermés. Les enfants du président de la République, de ses ministres, secrétaires généraux, hauts cadres de l’administration, des corps de défense et de sécurité les fréquentent, avant de s’ouvrir les portes des grandes écoles spécialisées : Faculté de médecine, Ecole polytechnique, Ecole des mines, Prytanée militaire et, dans une certaine mesure, Ecole nationale d’administration, de la magistrature et du journalisme, voire les universités privées. Des écoles qui coûtent, non seulement, cher mais dont l’accès s’obtient souvent, aussi, de façon « clandestine » : leurs concours d’entrée sont ouverts et fermés sans information du public ; les interventions font le reste, ce qui pousse certains à dire que les corps de défense et de sécurité sont devenus des espèces de castes, pour ne pas dire aristocratie.
Dans ces conditions, comment de tels gens, fussent-ils les premiers responsables du pays, qui, notons-le au passage, ne se soignent pas dans nos centres de santé, n’empruntent pas nos moyens de transport, ne s’alimentent même plus comme nous, sans parler de leur air, climatisé, à mille milles du nôtre, peuvent-elles se soucier de l’avenir de notre école publique ? Soyons sérieux. Nombre de Mauritaniens, particulièrement ceux du secteur, considèrent que décréter une année pour l’éducation est, certes, louable, mais demeure un énième leurre, pour le bas-peuple, une basse politique de fuite en avant. On voudrait se donner du temps, pour achever ce qu’il reste d’école publique, qu’on ne s’y prendrait pas autrement. « Il y a longtemps qu’il fallait effacer le tableau, bien trop surchargé » : jamais la saillie de feu Habib ould Mahfoudh n’aura été aussi vraie.
Ben Abdalla